Perspectives - L’opposition ira plus ou moins unie ; le développement et les familles primeront sur le politique à Jounieh et Byblos Le Metn au cœur des batailles du Mont-Liban dimanche prochain

C’est ce dimanche 2 mai que les électeurs du Mont-Liban iront choisir, pour les six prochaines années, leurs nouveaux conseils municipaux. Avec, en toile de fond, deux enjeux majeurs, qui pourraient se traduire dans les urnes de façon parfois très surprenante. Primo : si les Libanais ont été nombreux à souhaiter que cette échéance particulièrement locale soit l’occasion de mener, à l’échelle du territoire, des batailles éminemment politiques, qui se concrétiseraient par une compétition – comme une quintessence idéalement saine de la démocratie – entre l’opposition et le pouvoir, ils vont pourtant rester sur leur faim. Au Metn certes, mais plus encore dans le Kesrouan et dans le caza de Jbeil. Parce que lorsque l’on veut chasser le naturel libanais, c’est au grand galop qu’il revient. Et avec lui, reviennent les batailles entre familles, axées beaucoup plus sur le développement des municipalités que sur une volonté – plus présente et plus porteuse, il est vrai, lors des législatives – de modifier ou d’inverser la donne politique. Deuxio : dans quel état d’esprit – et quel état physique – sera l’opposition de l’Est politique à l’ouverture, ce dimanche, des bureaux de vote ? A-t-elle compris, assimilé et digéré l’évidence même selon laquelle plus elle sera unie, plus elle pourra espérer conquérir et diriger des municipalités ? A-t-elle décidé de privilégier la bataille au consensus ? Est-ce que le protocole de Sodeco, arraché au forceps, et qui a consacré l’alliance finalement naturelle de deux entités partageant le même but (parvenir à un « pouvoir de substitution ») mais pas les mêmes méthodes – Kornet Chehwane et le Courant patriotique libre – résistera-t-il aux piques assassines lancées par Michel Aoun en fin de semaine dernière contre KC ? C’est surtout dans le Metn que cette opposition, certes présente à Jounieh par le biais d’une liste commune aounistes-FL-BN, et à Byblos par l’alliance aounistes-BN, tente depuis des semaines de répondre à ces questions. Et dans ce Metn où trois hommes se partagent les faveurs des électeurs – Nassib Lahoud et Amine Gemayel pour KC, et Michel Murr pour le pouvoir –, l’opposition ira finalement plus ou moins unie à l’échéance dominicale. Sauf là où les aounistes ont accusé les Gemayel d’avoir conclu des accords avec l’ancien vice-président du Conseil – une accusation démentie par le député Pierre Gemayel – : Dbayé, Beit Chabab et, surtout, Jdeidé, entre autres. « Amine Gemayel est un opposant pur souche, un opposant malgré lui, mais il est obligé de composer avec le système s’il veut conserver son influence locale. Quant à Michel Aoun, c’est comme s’il était en train d’ouvrir un compte en banque ; c’est un nouveau venu qui veut voir son drapeau flotter dans chaque village. Nassib Lahoud, pour sa part, a décidé de privilégier n’importe quel représentant de l’opposition, quelle que soit son identité ; il a décidé de jouer les fédérateurs, au risque de frustrer parfois son électorat à coups de sacrifices. Ces options sont toutes les trois compréhensibles et légitimes », juge avec beaucoup de bon sens un fin analyste metniote, purement opposant. Qui reconnaît en outre que Michel Aoun « a fait plusieurs concessions, mais qu’il n’a pas toujours été récompensé en retour », tout en martelant que si l’opposition avait été moins fragilisée, plus solide, elle aurait eu des résultats effrayants pour le pouvoir. « Michel Murr est à la tête d’un empire, avec près de 45 municipalités sur 52, dont beaucoup avaient été élues en 1998 grâce à l’opposition, mais qui ont viré casaque, à cause du système. Je pense que 25 ou 30 d’entre elles vont passer dès lundi prochain dans l’opposition. » Ce qui fait qu’à l’exception de Jdeidé, Dbayé ou de Beit Chabab, les choses vont aller plutôt dans le bon sens entre les aounistes et les différents pôles de KC, malgré certains accords ultraconsensuels dans quelques municipalités-clés, justifiés par leurs instigateurs par l’incontournable nécessité de prendre en compte les notables locaux. Cet état de fait est beaucoup moins pregnant à Jounieh, où la liste aounistes-FL-BN fait face à deux poids lourds locaux : une liste crypto-loyaliste parrainée par le surprenant tandem Georges Frem-Mansour el-Bone, et l’autre parrainée par Farid el-Khazen et Farès Boueiz, qui s’est plaint récemment des « exactions des Services ». La liste Frem-Bone est donnée gagnante par les analystes kesrouanais, à moins d’une alliance de dernière minute entre les deux autres formations, et qui pourrait créer de grosses surprises. À Byblos, les aounistes et le BN (qui s’est exclu de Kornet Chehwane) – auxquels ont voulu s’adjoindre les frères Tannous et Kamal Cardahi, les cousins germains du ministre des Télécoms, mais qui se sont heurtés au refus catégorique de Carlos Eddé – feront face à une liste proche du pouvoir menée par Joseph Chami et Gino Kellab (le neveu du commandant en chef de l’armée), et à celle, proclamée hier, que parraine Jean-Louis Cardahi lui-même et qui a à sa tête le président sortant de la municipalité, Raphaël Sfeir. Une liste certes un peu fourre-tout, mais qui a, pour elle, le grand capital sympathie du ministre Cardahi, ainsi que les résultats concrets du mandat Sfeir. Les électorats arménien, chiite et PSNS auront, dit-on, un poids très important dans le résultat final – reste à savoir par quelle(s) formation(s) ils seront récupérés. Quoi qu’il en soit, les résultats de ces municipales 2004 au Mont-Liban comme à Beyrouth seront sans aucun doute, et envers et contre tout, les plus politiques à l’échelle du pays. Ziyad MAKHOUL