Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

ANALYSE Existe-t-il une volonté d’occulter des pans de la mémoire collective libanaise ? La statue de Riad el-Solh serait délogée d’un instant à l’autre

La statue de l’ancien Premier ministre Riad el-Solh, l’un des piliers du pacte national de 1943 et l’un des pères de l’indépendance, serait sur le point d’être délogée, selon des informations publiées hier par l’agence d’informations al-Markaziya. Délogée de la place qui porte son nom au centre-ville, et reléguée dans un jardin annexe de la rue des Banques, bien à l’abri des regards, pour, dit-on, pouvoir construire un parking souterrain et un mégacomplexe commercial. L’ingénieur Riad el-Assaad, petit-fils de Riad el-Solh, a confirmé à L’Orient-Le Jour que l’entreprise de « transfert » est apparemment imminente, en pointant du doigt la société Solidere. Par ailleurs, les statues de Béchara el-Khoury, autre père de l’indépendance, et de Sami el-Solh n’ont toujours pas réintégré leur socle. Et aucune dynamique n’est actuellement entreprise pour rendre à ces personnalités libanaises la place qui leur revient de droit au niveau de l’espace public et du patrimoine national. La statue à la gloire des martyrs n’en finit pas d’être rénovée, même si le président du conseil municipal de Beyrouth, Abdel Menhem Ariss, s’est engagé à la remettre en place. Une promesse que le Premier ministre Rafic Hariri a d’ailleurs reformulée hier, estimant qu’il était « exclu que le monument ne réintègre pas la place des Martyrs, et ce quelles que soient les circonstances et la situation de l’espace concerné ». Devant ce tableau fort peu réjouissant, il est bien légitime de se demander, sans pour autant sombrer dans un état avancé de « complotite », si toutes ces omissions relèvent du simple concours de circonstances, ou si nous sommes face à une offensive supplémentaire contre la culture consensuelle – cette dynamique du pacte national de 1943 – qui est à la base même de l’édification du Liban. Même si l’on invoque souvent des prétextes « techniques » pour expliquer l’absence de retour de toutes ces statues qui incarnent un pan important de la mémoire collective et de la mémoire nationale du Liban, l’on est également en droit de se demander si ce laxisme ne cache pas quelque part d’obscures arrière-pensées politiques. D’autant – il faut bien le rappeler – qu’il a fallu que l’influent émir Walid ben Talal, petit-fils de Riad el-Solh, fasse un forcing certain pour que la statue de l’ancien Premier ministre regagne la place qui porte son nom au centre-ville. Et ce n’est pas un hasard, dit-on, si les monuments érigés à la mémoire de ceux qui ont fondé le Liban indépendant et souverain soient tout bonnement occultés, jetés aux oubliettes, alors que d’autres personnalités – pas touours libanaises, mais bien plus représentatives de l’image du Liban d’aujourd’hui – ont désormais droit à des poses chevaleresques visant à les figer en héros locaux pour l’éternité. Selon Riad el-Assaad, il n’y a pas de doute sur la volonté de déboulonner les symboles du Liban originel – une initiative qui s’inscrirait dans le cadre d’une dynamique anticonsensuelle, aux antipodes des principes mêmes sur lesquels le Liban a été bâti. Mais M. Assaad affirme n’être que très peu étonné par cette décision d’arracher Riad el-Solh à la place qui porte son nom. Il rappelle incidemment cette demande faite tout récemment par quelque parti(e) de réouvrir le dossier d’Antoun Saadé, fondateur du Parti syrien national social (PSNS), exécuté en 1949 sous le mandat de Béchara el-Khoury (Riad el-Solh était Premier ministre) pour « tentative de coup d’État ». M. Assaad se demande s’il n’existe pas une volonté de vouloir aujourd’hui renverser les rôles et par là même « d’innocenter Antoun Saadé pour faire de Riad el-Solh un traître ». Qu’est-ce qui peut bien expliquer cette entorse à la mémoire de la République que l’on fait en refusant de rendre l’hommage qu’ils méritent à des personnalités qui ont fait le Liban ? Pourquoi la statue du président Béchara el-Khoury, qui devrait en principe être de nouveau à sa place, est-elle toujours loin des regards ? L’histoire du Liban de l’indépendance est-elle à ce point honteuse qu’il ne faudrait en aucun cas lui rendre les honneurs ? Est-il devenu gênant pour certains d’évoquer cette phase de l’histoire du pays, si bien qu’il soit nécessaire de l’occulter purement et simplement de la mémoire collective ? Pourquoi l’avenue Sami el-Solh est-elle orpheline du monument dédié à la mémoire de celui à qui elle doit son nom ? Béchara el-Khoury et Riad el-Solh sont-ils devenus la honte de la République, à tel point qu’il est devenu nécessaire de les cacher ? Toutes ces questions se posent, et nul – dans les cercles officiels – n’y apporte pour l’instant des éléments de réponses satisfaisants. Une nation qui n’a pas de mémoire est une nation dont l’avenir est sérieusement compromis. Mieux encore, une nation qui a décidé – mais est-ce seulement de son plein gré ? – d’opter pour une mémoire sélective à bien des égards n’est tout simplement plus une nation. Ces bustes et autres sculptures qui sont dédiés à la mémoire de ceux qui ont fait l’histoire du Liban remplissent une fonction d’entretien de la mémoire collective. Ils appartiennent à l’identité même de ce pays, à son histoire. Ou bien faut-il concéder, en se bornant à constater qu’aucune initiative n’est prise au niveau des responsables pour réintégrer ces statues dans leur environnement, que, comme le disait Chamfort autrefois cité par Georges Naccache, « il n’y a d’histoire digne d’attention que celle des peuples libres ; l’histoire des peuples soumis (...) n’est qu’un recueil d’anecdotes ». Michel HAJJI GEORGIOU
La statue de l’ancien Premier ministre Riad el-Solh, l’un des piliers du pacte national de 1943 et l’un des pères de l’indépendance, serait sur le point d’être délogée, selon des informations publiées hier par l’agence d’informations al-Markaziya. Délogée de la place qui porte son nom au centre-ville, et reléguée dans un jardin annexe de la rue des Banques, bien...