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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Un peu de blanc dans la grisaille

Si vous croyez qu’il est des noms prédestinés, regardez un peu du côté de l’Égypte. Monsieur Propre (Nazif, en arabe) : c’est ainsi en effet que s’appelle le nouveau Premier ministre de ce pays, le plus puissant, le plus peuplé – et même surpeuplé – du monde arabe ; mais aussi un des plus ravagés par ces deux terribles fléaux que sont l’inertie bureaucratique et la corruption. Le plus réjouissant, c’est que le produit paraît être conforme à l’emballage : Monsieur Propre passe effectivement pour avoir les mains immaculées. Ingénieur électricien de formation, spécialisé en informatique au Canada, il détenait le portefeuille des Télécoms dans le gouvernement sortant d’Atef Obeid. Et il s’était promis d’ouvrir à tous les jeunes Égyptiens l’accès à Internet, de même qu’à informatiser de fond en comble une administration aussi inefficiente que pléthorique. À 53 ans, Ahmed Nazif apporte, par ailleurs, une relative et salutaire jeunesse à un Exécutif égyptien depuis longtemps voué à la gérontocratie. Forcément issu du parti au pouvoir, le PND, il faisait partie du groupe de réformistes qu’anime Gamal Moubarak, fils du président égyptien. Qui, outre Nazif, obtient pour ses poulains une bonne portion du nouveau gouvernement formé hier, les ministères dits « de souveraineté » demeurant réservés toutefois aux dinosaures proches du président. Contrairement à d’autres pays arabes, l’Égypte n’est pas une république héréditaire, a répété ces derniers mois le vieux Raïs à la santé déclinante ; mais Gamal, qui à 40 ans n’a jamais occupé pourtant la moindre fonction officielle (il se contente de présider le « comité politique » du parti), est, à l’évidence, l’étoile qui monte. Des réformes, mais sans séismes : l’option dynastique n’est pas pour déplaire aux chantres du Moyen-Orient démocratique, installés à Washington, à en juger par les commentaires élogieux et autres « cover stories » que réserve à Moubarak fils la grande presse américaine. Tant bien que mal, c’est en somme une brise de modernité qui semble devoir souffler doucement sur l’Égypte ; reste à savoir si au pays des pharaons, en proie à la récession, au chômage, à une démographie galopante et à la flambée des prix, sang neuf pourra avoir raison des vieilles momies. Significatif à cet égard, d’ailleurs, est le précédent de la Syrie. Le jeune président Bachar el-Assad est lui aussi un homme épris de progrès, qui a bien connu le monde occidental, qui entre autres souhaits déclinait volontiers celui de mettre le Web à la portée des jeunes générations avides d’oxygène, car longtemps confinées dans l’univers clos du Baas. Mais quand la démocratie fait funestement défaut, le propre – et le drame – des rois est d’être tributaire de ceux qui les ont faits rois ; ainsi et malgré une réelle volonté d’ouverture saluée par la population dès son accession au pouvoir, Bachar el-Assad n’a toujours pas réussi à ce jour à se défaire du carcan légué par son prédécesseur et père, entouré, encerclé qu’il est par la « vieille garde » du parti, ce puissant club d’apparatchiks civils et militaires en place depuis des décennies, jaloux de leurs privilèges et, par définition, réfractaires à tout changement. Dès lors, le régime de Damas continue de se dérober à la libéralisation et refuse de donner des gages sur des questions aussi sulfureuses pourtant, au vu de l’expérience irakienne, que les armes chimiques et les liens avec des organisations radicales : ce serait en effet, argue-t-il, céder ignominieusement aux pressions américaines, dont la plus formelle est l’« Accountability Act ». C’est avec la même constance pourtant que la Syrie résiste aux avances d’une Europe encore plus authentiquement exigeante que les États-Unis en matière de droits de l’homme et de libertés publiques, et qui lui offre d’alléchantes perspectives d’association ou de partenariat. Parlant de sang nouveau, de changement et de progrès, est-ce trop faire preuve de candeur que d’imaginer, à la faveur de l’échéance présidentielle de l’automne, une échappatoire libanaise qui vaudrait à la Syrie un regain de respectabilité internationale ? Et quel risque y aurait-il pour elle, qui ne manque pas d’alliés locaux, à ménager ne serait-ce que dans les formes une opinion publique libanaise assoiffée de normalité ? Le fait est que la règle dynastique, fort heureusement, n’a pas cours dans notre très particulière république ; mais plus aberrante et anachronique encore est l’étrange théorème de filiation politique dont se prévaut Damas pour désigner, comme il ferait d’un mohafez de province, le chef de l’État libanais. Et même de le désigner à répétition, le cas échéant, en parrainant des reconductions de mandats qui sont autant de violences faites à la Constitution. Le Liban n’est ni l’Égypte ni la Syrie, c’est entendu. Mais c’est encore lui qui, le plus, a besoin de sang nouveau.

Si vous croyez qu’il est des noms prédestinés, regardez un peu du côté de l’Égypte. Monsieur Propre (Nazif, en arabe) : c’est ainsi en effet que s’appelle le nouveau Premier ministre de ce pays, le plus puissant, le plus peuplé – et même surpeuplé – du monde arabe ; mais aussi un des plus ravagés par ces deux terribles fléaux que sont l’inertie bureaucratique...