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Actualités - OPINION

Atomes non crochus

Traître ou héros de la paix, cet énigmatique Mordechaï Vanunu qui a tant fait parler de lui ces derniers jours, pacifiste convaincu ou rien qu’un frustré attiré par l’argent facile, intelligence supérieure ou doux dingue ? Étrange (més)aventure, en tout cas, que celle de ce petit garçon juif de Marrakech émigré avec ses parents en Israël dans les années cinquante, employé plus tard comme technicien au centre nucléaire de Dimona dans le désert du Néguev et à qui l’on doit la toute première divulgation en 1986, photographies à l’appui, des secrets atomiques israéliens. Les installations qui y étaient décrites laissaient croire qu’Israël avait dépassé le stade de la production de bombes atomiques « ordinaires » et s’attaquait déjà aux engins thermonucléaires, du type bombe à hydrogène ou à neutrons. Ces documents hautement confidentiels, Vanunu ne les a pas livrés, au détour d’une ruelle obscure, à quelque puissance ennemie qui en eut usé à sa guise. Il les a fait publier dans le Sunday Times de Londres, mû par sa conviction que le monde devrait barrer à l’État hébreu l’accès au club nucléaire et couper court, ainsi, à la course aux armements non conventionnels au Proche et au Moyen-Orient. Mû aussi et surtout, soutiennent ses accusateurs il est vrai, par la perspective des cinquante mille dollars versés par le quotidien londonien pour l’exclusivité de ce scoop retentissant. C’est la suite cependant qui est le plus rocambolesque : raccolé en plein Leicester Square par une blonde vamp qui travaillait bien entendu pour les services israéliens – et qui n’acceptait de lui céder qu’à la faveur d’ un week-end amoureux à Rome –, voilà notre redoutable maître espion qui tombe tête baissée dans le plus grossier des pièges. Anesthésié par l’équipe d’agents qui l’attendait dans son nid d’amour, Vanunu est alors emmené à La Spezia et embarqué à bord d’un cargo israélien qui cingle aussitôt sur Haïfa. Son geste,Vanunu l’a payé bien cher : 18 ans de réclusion à essuyer les brimades de ses geôliers qui, non contents de lui faire expier sa trahison, le traitaient de rénégat car il s’était converti au christianisme. Tous ces sévices, il les a endurés dans les quelques mètres carrés du cachot individuel où on l’avait confiné, sous prétexte qu’il était encore susceptible de livrer à des tiers des informations relatives au centre de Dimona. On aura beau jeu de prétendre que tout cela a probablement fini de déstabiliser complètement un homme au parcours aussi tourmenté que celui de ce réserviste de Tsahal qui fait le coup de feu lors de la guerre de 1973 et fait une crise de conscience lors de l’invasion du Liban de 1982 ; qui, déçu par le judaïsme, se proclame laïc, cherche même à adhérer au Parti communiste pour finir, lors d’un voyage en Australie, par rallier l’Église anglicane. Et pourtant, l’idée fixe de Mordechaï Vanunu, libre et dénué du moindre regret, n’est pas celle d’un fou mais d’un homme resté parfaitement conséquent avec lui-même. Lui-même en effet, dans sa vieille conviction qu’Israël est tenu d’expliquer au monde pourquoi un État doté de l’armée notoirement la plus puissante de la région, de services secrets tentaculaires qui battent tous les records en matière d’opérations « sales » et qui occupe avec une belle insolence des territoires appartenant à autrui, s’emploie à amasser de surcroît un terrifiant arsenal nucléaire. Pourquoi, de même, un tel État s’autorise à voler les plans du chasseur-bombardier français Mirage pour en fabriquer des clones rebaptisés Kfir, à trahir son premier protecteur, les États-Unis, en recrutant le fonctionnaire du Pentagone Jonathan Pollard, à aller bombarder la centrale irakienne Osirak et sanctionne de la sorte, avec tant de haineuse sévérité, un homme qui n’a fait après tout que révéler un secret de Polichinelle. Car tout au long du dernier demi-siècle, Israël n’a cessé d’entretenir un savant équivoque sur sa capacité nucléaire, qui vit le jour grâce à la France d’avant de Gaulle. L’État hébreu ne songe guère à nier une telle capacité, qui est en effet une formidable arme de dissuasion ; et il se garde bien de la confirmer car cela lui ferait obligation de signer le traité de non-prolifération comme d’ouvrir les portes de Dimona aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Un tel aveu ne manquerait pas d’embarrasser en outre les États-Unis qui, après avoir détruit l’Irak, après avoir amadoué la Libye, multiplient les pressions sur l’Iran pour qu’il se soumette aux inspections internationales. De là où on prétendait le mettre au secret, Vanunu a envahi les écrans de télévision, et en Israël même se trouvé institué pour la première fois un débat public sur l’arme nucléaire. À peine purgée sa peine, il persiste à se poser en témoin à charge. Mieux, c’est le monde qu’il prend à témoin, qu’il appelle à la barre. Mais y-a-t-il seulement un juge dans le tribunal ? Issa GORAIEB

Traître ou héros de la paix, cet énigmatique Mordechaï Vanunu qui a tant fait parler de lui ces derniers jours, pacifiste convaincu ou rien qu’un frustré attiré par l’argent facile, intelligence supérieure ou doux dingue ?
Étrange (més)aventure, en tout cas, que celle de ce petit garçon juif de Marrakech émigré avec ses parents en Israël dans les années cinquante,...