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Actualités - ANALYSE

analyse - Quinze ans après le 13 octobre, les Libanais ne se sont toujours pas assis à la même table L’Est politique souffre toujours des conséquences de la guerre

Il suffit d’ouvrir l’oreille aux revendications principales de ce qu’on appelle toujours « l’Est politique », à la lumière notamment des sit-in et manifestations pour la libération de Samir Geagea, afin de se rendre à l’évidence : la guerre du Liban n’est pas vraiment terminée. Ou, du moins, pour être plus précis, si le canon s’est tu, au lendemain de l’assaut syrien contre les troupes de l’armée libanaise sous le commandement du général Michel Aoun, le 13 octobre 1990, il convient d’admettre que rien n’a été fait depuis pour remettre sur les rails le processus d’une réconciliation nationale générale. En d’autres termes, force est de constater que, pour inverser la formule de Clausewitz, la guerre se poursuit par d’autres moyens, en l’occurrence politiques, au sens large du terme. On a souvent parlé de « ihbat » – « désenchantement » au sens littéral – pour qualifier le sentiment et le comportement des élites chrétiennes d’après-guerre. Mais le qualificatif en soi n’est pas vraiment révélateur. Il s’agit même, dans une certaine mesure, d’une perversion, d’un contournement du problème, que d’user de ce terme pour décrire ce qui peut s’expliquer en réalité par des causes politiques bien déterminées. Le mot « désenchantement » est utilisé pour désigner « une personne qui a perdu son enthousiasme et ses illusions », si l’on en croit le Petit Robert. User de ce terme relève donc de l’inexactitude, de l’imprécision. Et pour cause : le problème découle immédiatement de la guerre, dont les plaies ne sont toujours pas cicatrisées. Quinze ans après le 13 octobre 1990, les Libanais ne se sont toujours pas assis à la même table pour des raisons endogènes, mais aussi et surtout exogènes. Le Pacte national a officiellement été rétabli, à travers l’accord de Taëf. Mais une partie de l’Est (le courant aouniste ainsi que d’autres opposants) considère depuis 1989 que cet accord manque de légitimité, dans la mesure où il a fait des concessions sur la souveraineté libanaise, ce qui va à l’encontre du principe même du document de 1943. De toute façon, le texte fondateur de la IIe République a été bafoué par les pôles politiques de l’après-Taëf. L’ancien président de la Chambre Hussein Husseini a affirmé, depuis 1989, que Taëf était un document d’entente nationale, donc « contraignant sur le plan éthique ». Les décideurs locaux et régionaux sont passés outre. Éthique et realpolitik n’ont d’ailleurs jamais fait bon ménage. Mercredi, les anciens députés signataires de l’accord de Taëf, qui ont aujourd’hui le sentiment d’avoir été floués, réclamaient, par la voix de l’ancien ministre Edmond Rizk, l’application des clauses de ce document. Il reste que l’Est politique vit, depuis 1990, dans le sentiment de la défaite, de la marginalisation et de l’injustice. Des sentiments que les décideurs locaux et régionaux ont d’ailleurs entretenus, voire aggravés et sciemment renforcés, sans chercher à trouver de réelle solution. De facto, il en ressort que les revendications politiques de cette frange de la population sont directement liées à la guerre : retrait des forces syriennes et application de l’accord de Taëf pour une partie et de la résolution 520 du Conseil de sécurité pour une autre, libération de Samir Geagea, retour du général Michel Aoun et fin des ingérences de la part des Syriens et des services de renseignements au niveau des partis politiques. Ce n’est pas un hasard si les portraits brandis par les jeunes manifestants d’aujourd’hui, qui n’ont pas connu la guerre, sont ceux de Béchir Gemayel, de Dany Chamoun, de Samir Geagea et de Michel Aoun. Cela veut dire que, pour eux, les principes qui sont associés à ces personnalités continuent d’être valables. Exclus du système politique dans son ensemble, ils se sont repliés sur les symboles politiques d’une époque précise. Pourtant, ces différents courants ont tenté à plusieurs reprises d’entrer dans le système sans pour autant faire de concessions majeures. Par deux fois, le pouvoir, au lieu de les entendre, leur a opposé un net refus. Les rafles du 7 août 2001 et le tabassage des étudiants devant le Palais de justice le 9 août ont été les réponses à la réconciliation de la Montagne. Autre tentative, même message : la partielle du Metn et la victoire de Gabriel Murr, qui s’était engagé à représenter tous les exclus au Parlement. Même réponse du pouvoir : fermeture de la MTV et destitution de M. Murr. Depuis quinze ans, et malgré leurs divisions, les courants de l’Est politique sont plus que jamais dans les mêmes tranchées de cette guerre virtuelle. Le travail qui aurait dû être accompli à l’échelle nationale depuis 1990 pour le dialogue, la réconciliation, la normalisation et la purification de la mémoire de la guerre est resté au niveau zéro. Trop peu de pas ont été faits en faveur du dialogue et les gouvernements qui se succèdent n’ont rien à voir avec le cabinet d’union nationale prévu par le processus de réconciliation nationale de Taëf. La loi du vainqueur (le camp prosyrien) et du vaincu (l’Est politique) prévaut plus que jamais. Rien ne présage d’une libération rapide de Geagea, du retour de Aoun, de l’application de Taëf ou de la volonté de mettre en place un nouveau pacte national, plus légitime. Le « désenchantement chrétien », qui n’est rien de plus qu’une forme de révolte passive, a donc des causes évidentes. Il est le résultat d’une action concertée. Il a aussi de multiples conséquences, à commencer par celle de mettre aujourd’hui tous les groupes libanais hors de la formule du pacte consensuel, alors que l’État libanais est prisonnier de ses contradictions. Le seul moyen d’en sortir est d’initier le processus du dialogue national sur des bases souveraines. Michel HAJJI GEORGIOU
Il suffit d’ouvrir l’oreille aux revendications principales de ce qu’on appelle toujours « l’Est politique », à la lumière notamment des sit-in et manifestations pour la libération de Samir Geagea, afin de se rendre à l’évidence : la guerre du Liban n’est pas vraiment terminée. Ou, du moins, pour être plus précis, si le canon s’est tu, au lendemain de l’assaut...