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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Journaliste, écrivain, homme de télévision André Bercoff, un passionné du verbe et de la houle sociale (photo)

André Bercoff. Une génération de Libanais l’a connu journaliste à «L’Orient» puis au «Le Jour», où il a été responsable de la page culturelle et des activités universitaires jusqu’en 67. Avant de sentir ce besoin de défi, de passion, bref d’un ailleurs. Par la suite, les francophones surtout ont découvert le journaliste et l’écrivain français d’origine libanaise. Avec André Bercoff, on a envie de faire parler le collègue devenu également écrivain, éditeur et homme de télévision, directeur général de «France Soir» et président du Club de la presse de France. Son parcours, ses souvenirs, ses projets, sa vision sur certains problèmes? Il commence toujours par un «Je vais te la faire courte» tant les idées foisonnent dans sa tête. Mais sa «vie est l’écriture, les mots». Chez lui tout est souvent bref, mais combien intense. À bâtons rompus avec un être passionné des mouvements de société. Une passion qui est le dénominateur commun de tout ce qu’il entreprend. C’est toujours curieux de savoir pourquoi les gens partent surtout lorsqu’il n’y a pas urgence. Pourquoi ils quittent un certain confort, un boulot intéressant. A priori, évidemment. Mais c’est oublier les rêves, les besoins de découvertes chez des jeunes curieux de tout. C’est le cas de Bercoff. Cap sur Paris en 67. C’était évident pour un francophone d’aller dans «la» capitale référence de l’époque. Il débarque à Jeune Afrique donc où il est aussitôt rédacteur en chef pendant deux ans. Il ne s’y plaît pas. Chômeur, il tombe en plein mai 68 et en profite à bloc, sans pour autant être ce qu’on appelle un soixante-huitard. «C’est un beau cadeau que la France m’a offert, et je me suis bien amusé.» Mais il lui fallait travailler pour ne pas s’adresser à la famille restée à Beyrouth. Le Point, Le Nouvel Obs, L’Express, c’était cette presse-là qui l’intéressait. C’est à L’Express qu’il échoue à la suite d’une rencontre avec Françoise Giroud. Elle s’intéresse à son «press-book» et l’embauche à la rubrique littéraire. Alors, Françoise Giroud? «Une étonnante femme à la fois extrêmement ouverte et extrêmement fermée. Une professionnelle fabuleuse. Je l’ai vue “tricoter un article”. À l’époque on utilisait encore la machine à écrire. Elle prenait le papier de quelqu’un et le refaisait devant lui en un rien de temps. Elle avait cette espèce de regard formidable sur le travail. Elle était en même temps très dure et très ouverte.» Bercoff semble carburer par cycle. Toutes les quelques années, il lui faut un nouveau défi, une nouvelle passion. La période de L’Express révolue, c’est vers l’écriture qu’il se tourne. L’écriture et l’édition. Il publiera trente ouvrages touchant à l’histoire, la politique, les affaires de société, l’économie, la religion. Il sera parallèlement directeur littéraire chez Pierre Belfond, puis chez Laffont, parce qu’il «aime aussi éditer les autres, les découvrir, essayer de les faire connaître». Il aura aussi sa période télé à France 3. Ces fameuses émissions Français si vous parliez, 500 au total, produites et animées par lui sur des problèmes de société, et pas n’importe lesquels. Il a été l’un des premiers à faire parler les gens directement à l’antenne sur l’émigration, le racisme, le chômage, le couple, le sadomasochisme, les orgies, l’échangisme, etc. Tomber dans le vulgaire tenait à un fil, chose qu’il a su éviter. «C’était une expérience passionnante», dit-il lorsqu’on le regarde étonné et amusé. Impressions Où se situe Bercoff dans tout ce foisonnement d’activités? «Mais tout cela a une espèce de dénominateur commun, répond-il simplement. Je suis un passionné des mouvements de société: comportements individuels, mœurs, mentalités, économie, géopolitique, géostratégie. Tout cela marche ensemble...» Ouf! Et les talk-shows? Qu’en pense cet homme polyvalent, aux antennes toujours à l’affût de nouveautés? «Ce n’est pas tant la formule, ni l’instrument utilisé qui sont en cause, mais bien la façon de faire. Aujourd’hui, la tendance est au voyeurisme, aux choses gratuites, faciles. Je déplore, en effet, ce qui se passe. Mais on peut choisir de zapper...» Bercoff a côtoyé les plus éminents collègues de la presse française et il a travaillé avec eux: Jean-François Khan, J.-F. Revel, Claude Imbert et d’autres comme Georges Henein, ce surréaliste copte égyptien connu à Jeune Afrique puis à L’Express, un des plus grands poètes francophones qui «rewritaient» Le Point. Quelle casquette lui conviendrait le mieux, journaliste, écrivain, homme de télé ou éditeur? «Je me retrouve dans le côté passeur de relais. Si je me définis, je suis au sens littéral du terme un haut-parleur. Ce qui m’intéresse, en d’autres termes, c’est essayer de faire passser un certain nombre de choses à un certain nombre de lecteurs. Je valorise autant le livre que la télé. Pour moi, il n’existe aucune valeur hiérarchique question chiffre de lecteurs ou d’auditeurs. Je suis bien plus un homme de mots et d’écriture que de télévision. C’est ma vie», répond-il clairement sans hésiter. Et l’uniformisation de la presse française ? Pour lui, cela est dû à plusieurs facteurs, «mais, généralement, il y a une absence de repère, de plan de vol. Les gens sont un peu perdus. D’une part, 70% de la presse française est détenue par deux ou trois groupes. Même s’ils n’exercent pas une censure directe, ce sont quand même des groupes industriels. D’autre part, les gens ne voient plus de solution. Non pas que cela va mal, mais ils n’ont rien à proposer. Il s’agit là d’un phénomène européen plus nettement ressenti en France. Côté presse, il y a un mimétisme. On se copie. Heureusement qu’il y a d’autres qui font des enquêtes et des recherches», explique le directeur général de France-Soir. Souvenirs et projets Et les souvenirs dans tout cela? «Sans embellir, sans tomber dans la nostalgie, j’ai un souvenir assez enchanté du Liban. Trois facteurs à cela: une enfance heureuse et choyée, avec des parents qui m’ont beaucoup aimé. Puis comme j’étais scout, j’ai beaucoup profité de la montagne, du pays. Il me reste des odeurs, des senteurs, des images, des visions, le mezzé, la mer, le souvenir de ma mère descendant le panier retenu par une corde du troisième étage jusqu’à chez l’épicier. Le Liban c’est cette espèce de dolce vita, voilà. Enfin et surtout, le fait d’avoir commencé le journalisme dans ce pays a été pour moi une immense chance. Comme je m’occupais de culturel, j’ai eu des rapports directs intéressants avec Brel, Brasseur, Barbara, Nourissier, César, Aznavour, Belmondo, Romain Gary, Gribouille, que je n’aurais jamais eus ailleurs. C’était un formidable apprentissage de journalisme pendant les 5 ou 6 ans que j’ai passés avec Jean Choueiri et Édouard Saab (rédacteur en chef). Ce sont un climat et des souvenirs très forts.» Les projets? «Il faut d’une manière ou d’une autre trouver une possibilité de créer une circulation entre la France et le Liban en dehors des activités officielles. Cela doit se faire à travers la presse, la radio, la télé, l’Internet. On devrait travailler sur deux fronts: la francophonie, qui est le combat de la France le plus important. Si j’ai une conviction politique, elle est là. L’autre front, c’est la Méditerranée. Là aussi il est absolument besoin que quelque chose se fasse en dehors des visites officielles. Mais je ne sais pas encore quelle forme l’action prendra. » Bercoff promet de revenir plus souvent pour concrétiser ses propositions et les échanges. La politique du Moyen-Orient Président du Club de la presse de France, le journaliste est à Beyrouth pour animer des séminaires sur les techniques de la communication. Il a également donné une conférence sur la «Géopolitique: la guerre des mots et des images au Moyen-Orient» chez les pères antonins, à Baabda. Pour lui, «ce qui attend le Moyen-Orient est passionnant. Personne n’a le privilège de dire ce qui va se passer, dit-il. Mais je ne crois pas du tout qu’il faut s’arrêter, hélas, aux drames journaliers. Je pense qu’il va se passer des choses qui ne sont pas du tout celles qu’on attend en Irak. Je ne crois pas à la vietnamisation, au bourbier, etc. Je veux dire que je crois absolument à un axe Turquie-Iran, un autre moyen-oriental basé sur le rééquilibrage sunnite/chiite qui est extrêmement important et qui va au-delà du rééquilibrage religieux. Il s’agit d’un équilibrage politique. Le Liban aura-t-il sa carte à jouer? C’est toujours la question à X dollars. C’est un autre problème. Je ne parle pas du Liban, mais du Moyen-Orient». Bercoff pense également qu’il y a, «grosso modo, comme il dit, six puissances qui se dégagent: l’Amérique, la Chine, l’axe Turquie-Iran, le cœur arabe, le côté Inde-Pakistan (deux puissances atomiques) qui trouveront un modus vivendi, l’Asie et l’Amérique latine. Une grande question se pose sur une région qui semble mal partie: l’Afrique subsaharienne. L’autre continent qui n’est pas mal, lui, mais sur lequel on peut se poser des questions, c’est l’Occident. Que va devenir l’Europe? Gros point d’interrogation ! Il n’y a pas de volonté, pas de politique ni d’énergie communes...» Une réflexion qui fait penser à l’une des nombreuses affiches placardées par les étudiants en mai 68 où on pouvait lire: «Cours camarade, le vieux monde est derrière toi.» «Eh bien, conclut Bercoff, le vieux monde l’a rejoint, et le camarade a pris sa retraite, mis ses charentaises, posé ses fesses sur le fauteuil et ne bouge plus. Et quand on ne bouge plus, on est mort.» Maria CHAKHTOURA
André Bercoff. Une génération de Libanais l’a connu journaliste à «L’Orient» puis au «Le Jour», où il a été responsable de la page culturelle et des activités universitaires jusqu’en 67. Avant de sentir ce besoin de défi, de passion, bref d’un ailleurs. Par la suite, les francophones surtout ont découvert le journaliste et l’écrivain français d’origine...