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Actualités - OPINION

Permis très spécial

Unilatéralisme. Le mot effraie à juste titre, car il vient confirmer les appréhensions d’un monde qui s’inquiétait déjà que la globalisation, phénomène essentiellement économique, ne devienne un jour synonyme d’empire, éminemment politique celui-là. Se portait-elle mieux, notre vieille planète, à l’ombre de deux superpuissances que l’équilibre de la terreur paraissait condamner à une laborieuse mais nécessaire coexistence ? Du moins la guerre avait-elle l’élégance, en ce temps-là, de se dire le plus souvent froide ; et même quand la chaleur montait, les petits pays n’étaient pas totalement dénués d’options. On pouvait ainsi choisir son camp avec tous les avantages et les risques que cela comportait ; les plus avisés pouvaient toujours louvoyer et s’essayer à jouer, au gré des circonstances, un géant contre l’autre. Et puis surtout, l’Europe incarnait l’espoir d’une sorte de troisième force susceptible de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre dans les situations requérant des solutions pressantes, mais où le bras de fer américano-soviétique commandait la perpétuation du statu quo. Irak, Palestine : c’est bien dans notre région que la règle nouvelle du jeu fait pour le moment le plus de ravages. Chaque jour apporte sa moisson de témoignages – le dernier en date est celui du journaliste Bob Woodward, un des deux héros de l’affaire Watergate – qui viennent confirmer le gros mensonge auquel s’est livrée l’Administration de George W. Bush pour réaliser son phantasme guerrier contre l’Irak de Saddam Hussein. Elle a abusé en premier lieu le peuple américain lui-même, prêt à tout croire au moment où il émergeait du terrible traumatisme de septembre 2001. Et elle a superbement ignoré la vive opposition manifestée à cette démentielle entreprise par la plupart des États que compte la planète, mais aussi par les opinions publiques unanimes. Non point seulement qu’elle était injuste et injustifiable cette expédition, et que de surcroît elle puait le pétrole ; mais il eut fallu être aveugle pour ne pas réaliser que loin de porter un coup fatal au terrorisme islamiste d’Oussama Ben Laden, l’opération n’allait faire que stimuler celui-ci : qu’au lieu d’unifier dans une grande fête démocratique les Irakiens libérés de l’oppression saddamienne, elle risquait de déboucher sur un sanglant chaos, qu’au lieu de paver la voie à un règlement de paix au Proche-Orient, elle allait, au contraire, compliquer encore plus la situation. Encore plus scandaleuse d’ailleurs est l’exclusivité de la décision que s’arroge le président américain dans le conflit de Palestine quand, au mépris de toutes les résolutions de l’Onu, il dénie aux réfugiés palestiniens le droit au retour, quand il tient pour irréversibles les « réalités sur le terrain » que sont les colonies juives édifiées en Cisjordanie occupée (à quand le fait accompli de Jérusalem ?). Car il ne s’arrête, cet unilatéralisme américain, que là où en commence un autre, israélien celui-là : un unilatéralisme concédé dans les faits, par simple acquiescement, à Ariel Sharon, tant ce dernier a réussi à se positionner en première ligne dans la campagne obsessionnelle que mène Washington contre le terrorisme ; tant aussi, un malheur n’arrivant jamais seul, le vote juif est devenu primordial pour le président qui a envoyé son armée s’enliser dans les sables d’Irak. Il faut croire absolument Condoleezza Rice quand elle assure que l’Administration US n’avait pas été informée à l’avance de l’assassinat, samedi dernier, du chef du Hamas Abdelaziz al-Rantissi : pourquoi en effet eut-il fallu l’informer, du moment qu’elle a invariablement couvert – et par conséquent encouragé – ce genre très particulier de terrorisme (encore plus condamnable, car d’État) pratiqué par Israël ? C’est objectivement une licence de tuer que George W. Bush a délivrée à Sharon : licence de tuer des « terroristes » et inévitablement, avec eux, des innocents, que ce soit à Gaza ou bien à Damas ou à Beyrouth, comme l’annonce déjà Israël. Licence de tuer surtout, à l’aide de colonies de peuplement, de murs de séparation et de savants redécoupages territoriaux, toute possibilité de voir apparaître un jour un État palestinien réellement viable. De missiliser l’un après l’autre les chefs du Hamas a-t-il quelque chance de liquider ce genre d’organisation née du désespoir cultivant l’esprit de suicide ? De démontrer avec tant de pervers acharnement le savoir-faire israélien en matière de guerre sale peut-il paver la voie à l’apparition d’une direction palestinienne « raisonnable », c’est-à-dire prête à se soumettre à la raison du plus fort et à se satisfaire de quelques mini-cantons même pas géographiquement communicants ? Chimères, la violence ne pouvant qu’engendrer la violence, et la solution musclée n’étant rien d’autre finalement que l’absence certifiée de toute solution. Il y a confusion de recettes de cuisine, chez les cuistres de Tel-Aviv comme de Washington. Car la paix peut très bien cuire à feu vif ; mais jamais, jamais à l’unilatérale. Issa GORAIEB

Unilatéralisme. Le mot effraie à juste titre, car il vient confirmer les appréhensions d’un monde qui s’inquiétait déjà que la globalisation, phénomène essentiellement économique, ne devienne un jour synonyme d’empire, éminemment politique celui-là.
Se portait-elle mieux, notre vieille planète, à l’ombre de deux superpuissances que l’équilibre de la terreur...