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Actualités - OPINION

Putsch Bush

Il y avait la déclaration Balfour, il faudra enseigner aussi à nos écoliers la déclaration Bush. Par la première, chef-d’œuvre de duplicité, la Grande-Bretagne considérait avec bienveillance, dès 1917, la création d’un foyer national juif en Palestine, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits des Arabes locaux. Par quel prodige il se proposait de concilier l’eau et le feu, le gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté ne le disait évidemment pas. Ce serait présumer bien généreusement de sa sagacité politique que d’évoquer, en revanche, la duplicité d’un président américain aussi manifestement, aussi aveuglément engagé aux côtés d’Israël que l’est George W. Bush ; le voilà pourtant, qui après avoir asséné le plus rude des coups aux espérances des Palestiniens, trouve encore moyen de leur faire miroiter citoyenneté d’État, bien-être, progrès et développement, à charge pour eux de combattre le terrorisme. Oui enthousiaste au plan Sharon qualifié de « courageux » et d’« historique », pas de retour aux anciennes frontières car il faut tenir compte des réalités démographiques apparues dans l’intervalle sur le terrain, pas de retour des réfugiés ailleurs que dans les territoires qui leur seront concédés : tout cela, c’est du jamais-vu à la Maison-Blanche et comme le fut naguère la déclaration Balfour, c’est dûment consigné par écrit. Et le président qui, levant tous les tabous, lance cette stupéfiante volée de bombes est celui-là même qui reprochait à tous ses prédécesseurs d’avoir gaspillé temps et énergie dans leurs efforts de paix au Proche-Orient, allant durant ses premiers mois de pouvoir, jusqu’à afficher la plus totale indifférence pour ce dossier. Les attentats antiaméricains du 11 septembre sont venus tout changer, et ce n’était naturellement pas pour le mieux. Le simple bon sens commandait aux États-Unis de s’attaquer avec plus de détermination que jamais au cancer de Palestine, ne fut-ce que pour embrigader le gros du monde arabo-musulman dans une légitime offensive mondiale contre le terrorisme islamiste de Ben Laden. La même logique s’imposait de même lors des préparatifs de guerre contre l’Irak, et c’est seulement à l’insistante initiative de son allié Tony Blair que Washington se résigna à parrainer une « feuille de route » pour la paix en Palestine. Mais il ne s’agissait là que d’un itinéraire erratique ne pouvant mener, comme en Irak, qu’au chaos. Une Amérique toujours prompte à dénoncer les violences palestiniennes et à couvrir au contraire celles commises par Israël : la couleur était annoncée, c’était déjà Bush-Sharon même combat. Même échange de bons procédés, aussi. Bush a eu droit hier (et pour cause !) au titre de meilleur ami d’Israël qu’ait jamais abrité la Maison-Blanche, cadeau de prix pour tout candidat à une (ré)élection présidentielle aux États-Unis. Sharon, lui, gagne sur tous les tableaux : il n’abandonne le coupe-gorge de Gaza que pour mieux s’incruster là où cela compte réellement, en Cisjordanie ; ce n’est pas avec Arafat qu’il menaçait hier encore de faire assassiner, mais avec l’Amérique qu’il a négocié et obtenu satisfaction ; et fort de cette victoire, il est assuré de faire taire les ultras du Likoud qui lui reprochaient d’évacuer quelques arpents de sable. C’est un véritable séisme qui a eu lieu hier, dont les secousses se feront sans doute sentir longtemps encore. En bénissant d’avance l’intégration à Israël des gros centres de peuplement juifs en Cisjordanie, Bush ne fait autre chose que reconnaître la règle du fait accompli et qu’absoudre à retardement l’acquisition de territoires par la force militaire : on peut parier que le précédent sera invoqué pour les hauteurs syriennes du Golan ; et de manière plus générale, c’est une licence d’occuper et d’annexer que le chef du « monde civilisé » offre objectivement à tous les États en mal de frontières, pour peu qu’ils comptent parmi les proches alliés ou vassaux. Par-delà l’immense injustice – une de plus ! – infligée aux Palestiniens, Bush fait insulte à l’intelligence du monde entier en ajoutant que ses vues ne déterminent en rien l’issue finale, appelée en effet à être déterminée par voie de négociation entre les parties. Il fait offense à toutes les résolutions de ces mêmes Nations unies, tenues en mépris lors de son équipée en Irak, mais dont il réclame maintenant la coopération pour l’aider à se désembourber. Il fait table rase d’une doctrine diplomatique américaine constante depuis près de quatre décennies à quelques nuances près et qui, malgré la coupable passivité de Washington, persistait à voir dans la colonisation un obstacle à la paix. Car non seulement le principe de base de la conférence de Madrid initiée par son père devient caduc, mais le président des États-Unis renie aussi sa propre « feuille de route », dont il a l’outrecuidance de soutenir qu’elle se trouve revigorée, au contraire, par le plan Sharon. Le rêve américain existe bel et bien et le président de guerre, comme il aime se présenter aux électeurs, est assuré désormais d’entrer dans l’histoire. Par la petite porte, vu l’énormité du gâchis. Issa GORAIEB
Il y avait la déclaration Balfour, il faudra enseigner aussi à nos écoliers la déclaration Bush.
Par la première, chef-d’œuvre de duplicité, la Grande-Bretagne considérait avec bienveillance, dès 1917, la création d’un foyer national juif en Palestine, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits des Arabes locaux. Par quel prodige il se proposait de concilier...