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Actualités - CHRONOLOGIE

FESTIVAL DE BYBLOS Le jazz d’Erik Truffaz : autour d’un rythme

Entre l’hystérie de la Star Academy, la Jamaïque bien chaloupée de Jimmy Cliff et la déferlante Placebo, un petit vent frais, celui du jazz d’Erik Truffaz, surligné d’un trait puissant de basse, s’est posé, samedi dernier, sur le Festival de Byblos, pour le concert unique du quartette réuni autour du trompettiste français. Vingt heures sur le site du concert, prévu à 21h. Le « sound check » court après le léger retard qui a été pris sur un planning assez serré. Il faut dire que les quatre musiciens sont arrivés à Jbeil quelques heures seulement avant leur passage sur scène. Après les vérifications sonores d’usage avec l’ingénieur du son du quartette de la batterie et des percussions de Marc Erbetta, du piano demi-queue préparé et du Fender Rhodes – synthétiseur mythique des années 70 – de Patrick Muller et de la guitare basse de Marcello Giuliani, c’est au tour d’Erik Truffaz de faire ses tests sur scène. En noir, pieds nus, ce Pierrot-dans-la-lune sait faire pleurer sa trompette. Mais motus sur l’étape cruciale d’un concert, sans lequel celui-ci ne peut pas exister. Les organisateurs reculent d’un quart d’heure le début du concert. En coulisses, les musiciens se détendent. Autour d’une salade orientale, d’une Almaza et d’« excellentes olives », Erik Truffaz, interviewé, est à la fois drôle, réfléchi et distant face au magnifique parcours accompli depuis ses débuts, dans les années 80. De ses passages, avec le groupe Cruzero do Sul, au Brésil, qu’il découvrait pour la première fois en même temps que New York, il dit simplement, de concert avec son complice Marcello Giuliani, qu’il s’agit de « la préhistoire du groupe ». « Nous jouions du jazz, se souviennent-ils, mi-amusés, mi-nostalgiques. C’est notre jeunesse, un peu comme une colonie de vacances. » Les quatre bosseurs, une fois définitivement réunis en quartette en 1996, ont, depuis Out of a Dream, premier album français jamais signé chez Blue Note, largement montré de quoi ils sont capables. Excentrique Pierre Henry La puissante impulsion de la guitare basse, amorcée par l’impressionnant Marcello Giuliani, a éclaté comme un coup de tonnerre au-dessus du parterre jazzeux de l’Hexagone en 1998, avec la parution du deuxième opus, The Dawn, qui faisait également appel au rap du compositeur américain Nya. « La mise en avant imposante de la basse, entre ces deux disques, a permis l’accès d’un public autour d’un certain rythme », explique Truffaz, entre deux bouchées de fattouche, visiblement bien assaisonné. Voilà comme l’on ne joue plus que du jazz et que l’on empiète, dans la joie et la bonne humeur, sur les plates-bandes du rock, du rap et de l’électronique. Et voilà comment l’on participe à l’émergence de l’album de remixes, stratégie promotionnelle dominante des maisons de disques. Le quartette d’Erik Truffaz ne déroge pas à la règle, en 2001, avec Revisité, qui reprend les titres, ainsi que des inédits, des trois précédents enregistrements (avec Bending New Corners, en l’an 2000). Un certain Pierre Henry, l’un des papes de la musique électronique des années psychédéliques, collabore à ce travail. « C’est un personnage fantasque et excentrique, raconte à son propos, visiblement aussi amusé que respectueux, le trompettiste. Il est capable de qualifier une création de “commerciale” alors qu’elle est passablement élaborée, et la musique de J.J. Cale, bluesman américain, de “musiquette à deux sous”. Son œuvre est réellement difficile, autant que très contemporaine. » Brillante image 21h20 : le quartette rentre calmement sur scène, et Erik Truffaz est toujours pieds nus. A peine le morceau Wilfried est entamé que le muezzin de la mosquée voisine commence la prière du soir. Il n’en faut pas moins au groupe pour intégrer, d’une manière époustouflante, la mélopée à son interprétation. Le ton est donné, ainsi que la ligne de basse, qui décoiffe un peu les brushings des premiers rangs. Près de deux heures de concert ininterrompues où le quartette a donné une brillante image de lui-même : entente fusionnelle, tant amicale que musicale, qui libère tout le suc non seulement de la partition mais aussi des impressionnantes improvisations solistes ; authenticité de la mélodie, qui se laisse « lire » avec les oreilles comme un journal de voyage (Erik Truffaz précise d’ailleurs qu’ils sont quatre cocompositeurs); déplacement des instruments vers des sections peu habituelles : la guitare basse et la batterie en solistes dominantes, et la trompette et le piano dans la fonction d’accompagnateurs. Bien sûr, les frontières ne sont pas aussi nettes, mais elles sont traversées en toute liberté. Enfin, il arrive aussi que trompette et synthétiseur deviennent caméléons, grâce aux distorsions et aux pédales « wawah », se rapprochant pour la première de la sonorité enrouée et cuivrée de l’harmonica, et pour le second des « riffs » de la guitare électrique – et, sur un autre plan, les bruitages impressionnants d’un hilarant Marc Erbetta. Les quatre grands messieurs connaissent sur le bout des doigts le répertoire et les capacités de leurs instruments, si bien qu’ils ont été capables d’offrir à une partie du public, médusée (l’autre étant occupée à siroter bruyamment des bières), une performance dans la droite lignée des recherches de feu Miles Davis, à savoir débridée, sauvage même, et parfaitement maîtrisée. Quand le rock et le jazz ne font plus qu’un, il faut lorgner du côté d’Erik Truffaz. Un concert « pépite », inoubliable. Diala GEMAYEL
Entre l’hystérie de la Star Academy, la Jamaïque bien chaloupée de Jimmy Cliff et la déferlante Placebo, un petit vent frais, celui du jazz d’Erik Truffaz, surligné d’un trait puissant de basse, s’est posé, samedi dernier, sur le Festival de Byblos, pour le concert unique du quartette réuni autour du trompettiste français.

Vingt heures sur le site du concert, prévu...