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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Haute tension

Le procédé est des plus irrévérencieux, d’accord. Mais ça défoule sacrément, ces agents d’Électricité de France en colère contre le mot d’ordre européen de privatisation et qui, non contents de plonger dans le noir les Champs-Élysées et de souffler comme bougie d’anniversaire la scintillante tour Eiffel, ont coupé le courant au palais de l’Élysée, au domicile de Raffarin et à une bonne douzaine de ministères. C’est qu’elles mériteraient bien, les nôtres d’excellences, de se voir administrer de temps à autre un échantillon des mille et une misères, grandes et moins grandes, qu’endurent leurs administrés. Mais ne rêvons pas trop de jets de tomates, d’œufs pourris et autres tartes à la crème qui ne seraient pas perdus pour tout le monde. Ou de tapageurs et supersoniques attelages d’officiels verbalisés pour l’exemple. Ou encore de certaines piscines républicaines qu’une main justicière assécherait sans pitié parce que l’eau se refuse à couler des robinets dans les maisons. Ne rêvons pas parce que, dans notre doux pays, les fonctionnaires de l’État qui surchargent l’Administration ont peu de raisons, eux, de rudoyer leur employeur ou de se mettre en grève : après tout, les sinécures c’est bien agréable, que le zaïm ou le bey en soit éternellement remercié. Et tant qu’à parler de grève, ce sont les services publics qui la font en non-stop, tout seuls, comme des grands. Et grande parmi les grands est cette EDL en crise endémique dont la réhabilitation, entamée au tout début des années 90, a coûté des sommes considérables mais qui, pour fonctionner tant bien que mal – et plutôt mal que bien –, demeure tributaire d’avances périodiques du Trésor. Il est de notoriété publique que les contrats pour le rééquipement ou la modernisation des centrales et la réfection du réseau ont donné lieu à d’énormes commissions perçues par des responsables, et cela souvent au détriment du niveau de l’exécution. Comme par magie, nul responsable, nul enquêteur judiciaire ne s’est jamais ému d’un si flagrant pillage. Nul n’a été inquiété, nul bouc émissaire n’a même payé pour les requins en eau profonde. Après le pillage, le gaspillage. Dans le déficit chronique de l’EDL, vient d’entrer en jeu une hausse considérable du prix du fuel. Mais on voudrait bien savoir pourquoi on n’a jamais achevé d’équiper certaines centrales capables de fonctionner économiquement au gaz naturel au lieu du fuel, ces deux combustibles étant achetés au demeurant à la Syrie, laquelle nous vend aussi des kilowatts d’appoint. Mais le plus étrange reste le phénomène des passe-droits. Car nous avons là un État qui nous rebat les oreilles de sa vague qualité d’État, qui menace de ses foudres ceux qui oseraient en douter. Qui tabasse sauvagement les étudiants manifestant précisément pour l’édification d’un véritable État, qui tire même à l’occasion sur la foule. Mais qui est impuissant à supprimer les branchements illicites ou même à percevoir les factures dans certaines régions de la capitale et du pays. Si bien qu’une partie des abonnés paie pour elle-même et pour l’autre, et le paie plus cher que de raison pour ne voir satisfaire – la boucle est bouclée – qu’une partie de ses besoins en courant électrique : le manque ne pouvant être comblé, nouvelle dépense, que grâce aux générateurs de quartier. Ainsi va, titubant dans le noir, une république dont les comptes ont irrémédiablement viré au rouge. Reconstruisez maintenant, payez plus tard : le président Émile Lahoud est étranger bien sûr au hasardeux pari de Rafic Hariri ; mais le pouvoir, dans toutes ses branches et ramifications rivales, est solidairement et conjointement responsable d’une régression constatée dans tous les domaines, les moindres n’étant pas l’absence de toute réforme, de toute vision claire de l’avenir, même prochain. L’avenir ? Il ne va pas plus loin, pour le chef de l’État, qu’un second sexennat lequel, grâce à la trouvaille des accords de swap – une dette contractée pour honorer une dette antérieure –, ne commencerait pas par une faillite financière du plus mauvais effet. Ce ne serait que partie remise, avertit de son côté un Hariri hostile à la reconduction, car dans trois ans, la dette publique aura atteint le chiffre astro- nomique de 45 milliards de dollars. Toujours dans le noir ? C’est dans l’air qu’elle est, l’électricité.
Le procédé est des plus irrévérencieux, d’accord. Mais ça défoule sacrément, ces agents d’Électricité de France en colère contre le mot d’ordre européen de privatisation et qui, non contents de plonger dans le noir les Champs-Élysées et de souffler comme bougie d’anniversaire la scintillante tour Eiffel, ont coupé le courant au palais de l’Élysée, au domicile...