Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

EN DENTS DE SCIE Cruautés lexicologiques

Quinzième semaine de 2004. Le hasard, disait Roland Barthes, est souvent capable d’engendrer des monstres. Ces sept derniers jours ont donné la part belle, en en dévoilant les vices, les limites, la suprématie ou la prépondérance, à des noms communs (ou propres) du genre exclusivement féminin : opposition, chaise, répression, Chambre, Lituanie, Allemagne... Des mots a priori incompatibles, mais qui, libanisés, placés dans un cadre totalement pervers et vicié – la vie politique locale –, créent très harmonieusement un champ sémantique des plus terribles : celui des regrets. Des regrets infinis lorsque l’on se rend compte que tout concourt ici pour que cet ici soit mieux qu’ailleurs, mais que cet ailleurs reste désespérément plus civilisé, plus intelligent qu’ici. Quinzième semaine de 2004. L’opposition. Pas celle, kafkaïenne, qui fait allusion aux antihaririens comme aux antilahoudiens qui, les uns comme les autres, squattent l’Exécutif. C’est de la véritable, la pleine et la très nécessaire opposition qu’il s’agit, qu’elle soit parlementaire ou pas : le très hétéroclite Kornet Chehwane, béni par le patriarche, ainsi que le Courant patriotique libre, parrainé par Michel Aoun. Et quand cette opposition comprend, même très tard, même après qu’on le lui eut expliqué à maintes reprises, l’utilité et les vertus de l’unité, voire même, parfois, de l’union sacrée, elle devient vectrice de très belles et très bleues promesses. Bleues comme les espérances, bleues comme le protocole de Sodeco, signé par KC et le CPL. La quasi-totalité des membres de cette opposition originelle privilégie et défend bec et ongles la prééminence du facteur politique et national des municipales à venir, prenant ainsi le contre-pied direct du pouvoir, tout entier focalisé sur les seuls critères du développement des villages et des villes et de la bonification du quotidien des Libanais. En posant ce bienheureux axiome, l’opposition suggère ainsi aux citoyens dont elle attend les suffrages qu’elle plébiscitera où que ce soit la bataille contre le pouvoir, qui est la quintessence absolue du protocole de Sodeco lui-même. Sauf que lorsqu’il s’agit de passer des belles intentions aux actes, lorsqu’il s’agit d’aller mouiller sa chemise sur le terrain, lorsqu’il s’agit de se lancer dans la mère des batailles – Beyrouth –, tout le bel édifice construit pendant des heures et des jours menace de s’écrouler. Miné de dedans par les petits calculs ou autres considérations personnelles, par les envies de revanche, par les manques de confiance, par les coups de Jarnac – rien de bien surprenant finalement au sein d’une opposition aussi plurielle... C’est bien joli de créer l’attente et l’espoir, c’est bien joli de tonner place de l’Étoile, c’est bien joli d’évoquer sans discontinuer la réelle urgence d’un pouvoir de substitution – encore faut-il y travailler, s’inspirer, par exemple, et toutes proportions gardées, de l’édifiante expérience de la gauche française. Surtout que les municipalités 2004, par les caprices du calendrier, ont définitivement acquis, à quelques mois de la présidentielle et des législatives, une importance majeure. Et politique. Quinzième semaine de 2004. Les chaises. Celles du palais de Baabda sur lesquelles se sont assis cette semaine, presque côte à côte, Émile Lahoud, Nabih Berry, Rafic Hariri, Jean Obeid et... l’incontournable ministre syrien des Affaires étrangères, Farouk el-Chareh, en tremblent encore. D’émotion. Cela faisait des siècles que la troïka ne s’était pas retrouvée aussi soudée, puisque déterminée à faire bonne figure devant le tuteur syrien. Les présidents Lahoud, Berry et Hariri ont sans aucun doute fait de très belles choses, ensemble ou séparément, pour le Liban. Mais il est un bien triste exploit qu’ils ont commis, volontairement ou pas, et que les Libanais ne sont pas prêts de leur pardonner : ils ont réussi, ne serait-ce que pour un instant, à faire croire aux plus incrédules de leurs concitoyens que le Liban était incapable de s’autogérer, de présider à son propre destin ; qu’il avait réellement besoin de la tutelle syrienne. Sauf que ces Libanais – et notamment ceux qui ont été en butte aux pires répressions en voulant exercer pacifiquement et sereinement leur droit de manifester – ont vite réappris à distinguer les vessies des lanternes. Et à faire la queue devant les ambassades des pays farouchement attachés aux principes de souveraineté, d’indépendance et de libre décision. Quinzième semaine de 2004. La Chambre. Celle des députés. Une Chambre devenue non seulement totalement blasée, mais qui a prouvé, encore une fois cette semaine, son incapacité à remplir sinon l’ensemble du moins l’une des missions majeures censée être la sienne : demander des comptes, interpeller, sanctionner. En un mot : travailler. Un minimum de décence exigerait une autodissolution, mais la plaque bleue semble concentrer en elle un nombre étonnant d’avantages... Les Libanais ont les élus qu’ils méritent ? Ce serait trop facile. Ils ont simplement les élus qu’une loi électorale malsaine et délétère continue de leur imposer, comme un miroir aux alouettes. Quinzième semaine de 2004. La Lituanie. Le Parlement lituanien a destitué cette semaine le président Rolandas Paksas pour « grave violation de la Constitution ». Il avait accordé d’une façon illégale la citoyenneté lituanienne à un homme d’affaires russe qui avait été son principal financier durant la campagne présidentielle. L’Allemagne. Le président de la Banque centrale allemande, Ernst Welteke, s’est mis « en congé » au moins provisoirement de ses fonctions à la suite des révélations de la presse sur un cadeau (une invitation dans un hôtel de luxe) qui lui a été offert en 2002 par une banque privée, la Dresdner Bank. Et même si Lituanie et Allemagne sont féminins et le Liban masculin, cela fait rêver. Ziyad MAKHOUL
Quinzième semaine de 2004.
Le hasard, disait Roland Barthes, est souvent capable d’engendrer des monstres. Ces sept derniers jours ont donné la part belle, en en dévoilant les vices, les limites, la suprématie ou la prépondérance, à des noms communs (ou propres) du genre exclusivement féminin : opposition, chaise, répression, Chambre, Lituanie, Allemagne... Des mots a...