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Actualités - CHRONOLOGIE

Communautés - Haro sur la corruption, l’injustice, l’atteinte à la coexistence : un message du carême particulièrement musclé de Bkerké Sfeir : Quelle place occupe encore la culture chrétienne au Liban ?

En ce début de carême, le patriarche maronite se devait de réexposer, dans son message traditionnel, les thèmes qui lui tiennent à cœur depuis bien longtemps et qu’il ne se lasse jamais de répéter, même face à un pouvoir et une classe politiques dont l’inertie n’est plus à démontrer. L’indépendance perdue, le déficit de la démocratie et le développement de la corruption demeurent au centre de ses préoccupations, aux côtés des problèmes plus classiques de société. Mais, l’actualité aidant, le cardinal Nasrallah Sfeir ne pouvait naturellement pas ignorer la grave menace que fait peser sur l’avenir de ce pays un acte aussi irresponsable que le projet de loi autorisant l’adhésion du Liban à l’équivalent islamique de l’Unesco, dont il a beaucoup été question ces jours derniers. Face à la dérive que représente cet acte fou, le patriarche s’interroge tout simplement sur la place qu’occupe encore la culture chrétienne au Liban. Dans son message, le chef de l’Église maronite consacre d’abord une part non négligeable à l’analyse des problèmes liés à la modernité. Il dénonce l’intrusion à grande échelle de la pornographie dans les médias, déplore les ravages de la toxicomanie et de l’alcoolisme, et, tout en saluant la libération et l’émancipation de la femme, met en garde contre la dislocation des valeurs familiales et les ratés de l’éducation. Puis viennent les grands sujets à portée nationale. « Le développement de la prévarication, de la fraude, du mensonge et de la corruption (...) est illustré on ne peut plus éloquemment par les déclarations des uns et des autres autour d’affaires comme celle de la banque al-Madina, de l’avion du Bénin et de la liste récemment évoquée par les médias comprenant des noms de plusieurs Libanais » qui auraient touché des coupons pétroliers du régime de Saddam Hussein en échange de leurs services, commence le patriarche. « Il suffit à ce propos de rappeler ce qu’a dit un ancien responsable : les scandales suscitent le dégoût. Les affaires d’escroquerie, de pots-de-vin, de carrières, de faillites frauduleuses, de marchés douteux occupent la une des journaux, des grands noms y apparaissent, puis elles s’effacent peu à peu avant de disparaître complètement, comme si rien ne s’était passé. Personne ne réclame des comptes, alors que les cas d’enrichissement illicite sont légion et que pas un seul n’est sanctionné par la loi », relève-t-il. « Dans les pays développés, où l’opinion publique pèse d’un poids important, ces affaires déclenchent aussitôt des enquêtes et conduisent à la prison ou à des peines d’inéligibilité à des fonctions publiques, sans parler de la colère légitime du peuple », constate le patriarche. « Nous avons déjà dit qu’il était du devoir de l’État de respecter les croyances des citoyens et de leur donner pour cela la possibilité d’envoyer leurs enfants aux établissements scolaires de leur choix », rappelle par ailleurs Mgr Sfeir. « Les pouvoirs publics peuvent aider les parents à exercer ce droit en instituant un système scolaire dont le financement ferait au préalable l’objet d’un accord, au lieu de contraindre les écoliers à fréquenter des établissements publics qui coûtent à l’État beaucoup plus cher que les écoles privées et qui ne parviennent pas aux résultats souhaités. » Il note que « le rapport de l’Inspection centrale évoque le cas d’établissements publics abritant sept écoliers et trente enseignants ». « Après cela, on se demande où se trouve le gaspillage et pourquoi les Libanais croulent sous le poids de la dette », souligne-t-il. « Il y a un autre péril, qui ne menace pas seulement l’école au Liban, mais la culture libanaise dans son ensemble, ajoute le prélat. Depuis plus de vingt ans, plusieurs tentatives ont eu lieu pour obtenir l’adhésion du Liban à l’Organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture (Isesco). Et voici qu’une nouvelle tentative, menée rondement et de manière planifiée, voit le jour, ses auteurs faisant totalement abstraction du fait qu’il existe au Liban deux religions, et donc deux cultures et deux civilisations, la chrétienne et l’islamique. » « En dépit de cette dualité, le Liban abrite un seul peuple dont les fils vivent ensemble dans un climat de respect mutuel, essayant de se boucher les oreilles pour ne pas entendre ceux qui veulent instiller la zizanie entre eux. Car si une fraction de ce peuple prenait le dessus sur l’autre, ce sont les fondements du Liban qui seraient ébranlés », souligne-t-il. « La charte de l’Isesco prévoit de “placer la culture islamique au centre de l’enseignement dans toutes ses phases”, de “soutenir la culture islamique” et de “préserver l’indépendance de la pensée islamique en luttant contre les facteurs d’invasion culturelle”, relève le patriarche. Elle commande aussi d’“imprégner de teinte islamique tous les aspects de l’art, de la culture et de la civilisation”. » « Face à une orientation aussi dangereuse que prendrait l’enseignement au Liban, si d’aventure il adhérait à cette organisation, la question qui se pose est de savoir quelle est la place de la culture chrétienne. Le Liban aurait-il donc perdu son visage fondamental et serait-il devenu un pays islamique ? » s’interroge-t-il. « La société libanaise est composite. Ses villes et ses quartiers l’attestent. Il y a des secteurs de la capitale où l’on se croit dans une ville européenne, d’autres où l’on se sent dans une cité arabe. Voilà pourquoi on a parlé des deux visages du Liban, l’un qui regarde la Méditerranée, l’autre qui est tourné vers le désert. Et voilà pourquoi le Liban dément l’allégation du choc des religions et des civilisations », assure-t-il. La réconciliation, un « beau rêve » « Mais, poursuit Mgr Sfeir, la société libanaise porte toujours en elle les séquelles des guerres qui se sont succédé sur sa terre et les esprits demeurent imprégnés des conséquences des exodes, des destructions et des tueries, d’autant que la réconciliation nationale reste un beau rêve qui n’a pas encore été traduit dans la réalité. » « À cela s’ajoutent les divisions qui déchirent les groupes et les partis politiques, dues principalement à des facteurs extérieurs et à la faiblesse de l’allégeance nationale », constate-t-il. « Mais ce qui affaiblit encore davantage cette société, c’est l’émigration de la plupart de ses jeunes, à la recherche d’opportunités de travail quasi inexistantes au Liban. Sans parler de l’oppression politique qui pousse les jeunes à la fuite intérieure. Quant à la misère, qui conduit certains à fouiller les poubelles dans l’espoir d’y trouver de quoi les empêcher de mourir de faim, elle ne fait qu’aggraver ce sentiment d’être un étranger dans son propre pays », lance le patriarche, avant de passer à un autre registre, celui des relations entre gouvernants et gouvernés. « Si les citoyens sont tenus de respecter les lois édictées par les autorités en place, celles-ci sont de leur côté tenues d’œuvrer en vue de l’intérêt des citoyens. Il est arrivé que des responsables ont adopté des lois injustes ou pris des mesures iniques. Dans ce cas, (les citoyens) ne sont pas tenus moralement de respecter ces mesures », déclare-t-il. « Les citoyens, ajoute le patriarche, sont en droit de réclamer du pouvoir de faire régner la justice, œuvrer au développement équilibré de toutes les régions du pays et assurer des opportunités de travail aux jeunes. Sauf qu’en démocratie, rien ne pourrait s’arranger sans le pouvoir de sanctionner les responsables, et ce par le biais d’une loi électorale claire et juste, une loi qui ne coupe pas le fil qui relie le peuple à ses dirigeants. » « Mais il est impossible de parvenir à cette fin tant que la volonté du peuple restera confisquée, incapable de prendre la moindre décision libre et soumise à une volonté supérieure qui lui dicte tout ce qu’elle doit faire », conclut-il.
En ce début de carême, le patriarche maronite se devait de réexposer, dans son message traditionnel, les thèmes qui lui tiennent à cœur depuis bien longtemps et qu’il ne se lasse jamais de répéter, même face à un pouvoir et une classe politiques dont l’inertie n’est plus à démontrer. L’indépendance perdue, le déficit de la démocratie et le développement de la...