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Actualités - interview

Interview - La dynamique des mutations est amorcée au plan régional, affirme l’ancien chef de l’État Amine Gemayel : Le pouvoir tente d’imposer aux Libanais une culture de la servitude

Au lendemain de son rapport politique au congrès du Courant réformiste Kataëb, au début du mois, à Aïn Saadé, durant lequel il a notamment remis en question les effets négatifs de la pseudo « pax syriana » qui règne sur le Liban, Amine Gemayel a été violemment pris à partie par les milieux loyalistes et prosyriens, lesquels l’ont accusé de tenir un langage « sioniste » et « outrecuidant ». Qu’à cela ne tienne, l’ancien président de la République campe sur les positions qu’il a exprimées à Aïn Saadé. Il s’agit avant tout pour lui de dénoncer la stratégie suivie par le pouvoir, qui vise à « endormir les Libanais, à consolider le climat d’accoutumance qui règne, pour habituer les citoyens à se soumettre au fait accompli ». « L’objectif est d’empêcher toute réaction, et surtout toute réflexion allant à l’encontre du principe de la langue de bois, qui caractérise le discours politique à tous les niveaux. On tente d’imposer aux Libanais une nouvelle culture, celle de la servitude, de la soumission. C’est la pire des cultures, l’anticulture par excellence », souligne l’ancien chef de l’État. « C’est pourquoi il était nécessaire de réveiller l’opinion publique et de rappeler que le Liban existe toujours et que, quels que soient les moyens utilisés pour museler les Libanais, nous ne sommes pas disposés à nous soumettre. Pour nous, la culture de la liberté est inhérente à la pérennité de l’entité libanaise. Les deux sont indissociables. Détruire cette culture, c’est détruire le Liban lui-même, poursuit-il. Et, à partir du moment où l’on cherche à briser ce mur du silence, toutes les foudres du ciel s’abattent sur nos têtes, et par tous les moyens. J’en sais quelque chose... ». Amine Gemayel se tait, marque un temps, songeur, sans rien ajouter. Mais il ne fait pas l’ombre d’un doute que l’allusion porte sur les poursuites contre son gendre, Michel Mekattaf, dans l’affaire des dinars irakiens, une réponse au discours tenu par l’ancien chef de l’État à Aïn Saadé, estime-t-il. Comment expliquer la véhémence des réactions au discours de Aïn Saadé ? « Ce n’est pas la première fois que cela se produit. En 2001, Walid Joumblatt avait tenu un discours audacieux. On se souvient comment, en plein hémicycle, un député s’était déchaîné, proférant des menaces à peine voilées. Il existe un genre de terrorisme politique. Tous les hommes politiques qui se permettent de tenir de tels propos sont la cible d’une terreur politique directe, fruit d’un système stalinien. Dès que les normes du “politiquement correct” sont dépassées, les agents de service se mobilisent. Malheureusement, ceux-ci disposent des moyens de leur répression, dont la justice, instrumentalisée à souhait. » M. Gemayel évoque « les cas de la MTV, de l’annulation du mandat parlementaire de Gabriel Murr, de l’arrestation de Habib Younès, Toufic Hindi, Antoine Bassil, Nadim Lteif, etc. » et « les procès politiques qui n’en finissent plus ». Qu’en est-il du congrès du Courant réformiste en tant que tel ? Quels en sont les objectifs et les motivations ? Il s’agit de restructurer les rangs, de mobiliser les cadres et de dynamiser le mouvement. « C’est la pression de la base qui a poussé à la tenue de ce congrès. Il y a des partisans frustrés de voir leur parti confisqué, ses principes bafoués et ses slogans exploités à des fins contraires à leur essence même », dit-il. Mais il ne s’agit pas, selon lui, d’une réponse au congrès organisé par la direction du parti Kataëb à Adma. « Cela fait longtemps que nous avons tiré un trait sur les membres de l’équipe de Saïfi, lesquels sont devenus les instruments aveugles et dociles d’une politique que le parti a toujours combattue. L’essentiel est de préserver l’âme d’une institution qui était incontournable dans l’histoire moderne du Liban, dont elle a même été la pierre angulaire », explique-t-il. La prorogation serait un nouveau 52 L’ancien président de la République passe ensuite en revue les principaux points de l’actualité. D’abord, le réchauffement au Liban-Sud après l’incursion israélienne en territoire libanais. Déplorant « l’atteinte à la souveraineté libanaise » et « l’agression directe d’Israël », il estime toutefois qu’il revient à l’armée libanaise de défendre le front du Liban-Sud. « Il ne faut pas faire l’amalgame entre opérations de résistance et opérations militaires. C’est à l’armée de réagir à de telles incursions. Il en est de même en ce qui concerne les tirs de DCA contre l’aviation israélienne qui viole l’espace libanais. Tout cela crée une confusion générale et met le Liban dans une position inconfortable, notamment sur le plan diplomatique, alors qu’il est dans son droit », indique-t-il. Ensuite, la présidentielle. Amine Gemayel réitère son opposition à la prorogation ou à la reconduction du mandat Lahoud. « Une position de principe, en faveur de l’alternance au pouvoir, que Pierre Gemayel a toujours défendue, notamment en 1964 lorsqu’il s’est opposé à la reconduction du mandat de Fouad Chéhab alors qu’il en avait été le ministre incontournable tout au long des six années de ce mandat. Si chaque président va penser, dès sa prise en charge du pouvoir, à sa réélection, on serait en train d’encourager, pourquoi pas, un jour, la succession présidentielle héréditaire et l’instauration d’un système quasi dictatorial. Ce sont des dérives inadmissibles», explique-t-il. Concernant l’éventualité d’amendements constitutionnels au printemps prochain, dont l’un des objectifs serait de permettre la réélection, pour une fois, du président de la République, M. Gemayel indique : « Toutes ces élucubrations ne servent qu’à dissimuler les véritables intentions du pouvoir, qui vise à se maintenir en place. Nous refusons toutes ces manœuvres. Il faut que l’échéance se fasse à terme et qu’il y ait un consensus autour d’un président capable de restaurer la confiance dans les institutions et l’avenir du pays, laquelle a disparu depuis longtemps. La prorogation serait une catastrophe pour le Liban à plus d’un titre. Si cela devrait se faire, nous serions en train de vivre un nouveau 1952 », allusion à la révolution blanche qui avait empêché le président Béchara el-Khoury de briguer un nouveau mandat. « Le pays a atteint un tel degré de corruption et de laisser-aller à tous les niveaux. Jamais un pouvoir n’a été autant décrié. Une reconduction serait inacceptable », estime-t-il. Et d’annoncer qu’il appuie « tout candidat de Kornet Chehwane qui a des chances de pouvoir émerger. Nous allons nous entendre sur le candidat qui aura le plus de chances de gagner. Nayla Moawad a eu le courage d’annoncer sa candidature, sérieuse par ailleurs. Que les autres annoncent leur programme ». La logique du dialogue Évoquant par ailleurs la situation régionale et les remises en question d’une grande majorité des régimes de la région (Syrie, Libye, Iran, Pakistan, Afghanistan), M. Gemayel estime qu’il existe « de nombreux signes positifs, en dépit des apparences». Et, selon lui, le Liban doit s’engager dans la « dynamique de mutations amorcée, avant qu’il ne soit acculé à le faire par d’autres moyens ». Dans ce cadre, les appels du pied syriens en direction des États-Unis ne peuvent que déboucher : « Il existe une dynamique consistante en faveur de l’apaisement des tensions dans la région. Les uns et les autres n’ont plus les moyens d’une politique de confrontation. Cela va pousser les décideurs à s’engager dans une nouvelle logique. La période de l’équilibre dissuasif fondé sur le développement des armes nucléaires, chimiques et biologiques, la période de l’appui aux mouvements de résistance sont dépassées. Tout le monde se replace dans le cadre de la logique du dialogue et de la résolution diplomatique des conflits, à l’exemple de l’Iran ou de la Libye. Les États-Unis ne cachent pas non plus leur volonté de pousser les régimes du Moyen-Orient à adopter une telle attitude. On parle depuis quelque temps au Pentagone de constituer, d’ici à novembre, un commandement en Irak indépendant du Centcom, sous la direction d’un général quatre étoiles. Cette information a une portée beaucoup plus considérable qu’on ne le pense. Elle indique des intentions US bien claires. Cela prouve que les Américains se préparent à rester dans la région plus longtemps et à être opérationnels au Proche-Orient. Il y a un début de stabilisation en Irak, notamment au plan militaire. Et il semble qu’il y ait des objectifs qui vont au-delà de la frontière irakienne. » Ces appels du pied syriens en direction des Américains pourraient-ils déboucher sur une solution au détriment du Liban ? « Je ne pense pas qu’il soit question d’accorder des avantages hégémoniques à qui que ce soit, à l’avenir. Une paix régionale juste ne saurait être fondée autrement que sur le principe de l’autodétermination des peuples, c’est-à-dire leur liberté et leur souveraineté. On ne règle pas un problème pour en créer un autre : cela irait à l’encontre de la dynamique en cours. On ne libère pas le peuple palestinien pour en asservir un autre », conclut-il. Michel HAJJI GEORGIOU

Au lendemain de son rapport politique au congrès du Courant réformiste Kataëb, au début du mois, à Aïn Saadé, durant lequel il a notamment remis en question les effets négatifs de la pseudo « pax syriana » qui règne sur le Liban, Amine Gemayel a été violemment pris à partie par les milieux loyalistes et prosyriens, lesquels l’ont accusé de tenir un langage «...