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Actualités - CHRONOLOGIE

SOCIÉTÉ - Après deux ans et demi de détention, le journaliste est désormais un homme libre Pour Antoine Basssil, un calvaire « injuste » prend fin

Le journaliste Antoine Bassil est sorti hier de la prison de Roumié. Arrêté à l’issue de la rafle d’août 2001 et condamné par le Tribunal militaire, tout comme l’ancien conseiller du chef des FL dissoutes Samir Geagea, Toufic Hindi, et du journaliste Habib Younès, pour intelligence avec l’ennemi, Bassil, 52 ans et père de deux enfants, a passé deux ans et demi en prison, purgeant une peine qu’il considère ne pas avoir méritée. Hier, toute la famille Bassil, les frères et sœurs d’Antoine, leurs enfants et amis, ainsi que les proches de son épouse Reine, se sont retrouvés dès 9 heures, malgré le froid et la pluie, à l’entrée de la prison de Roumié. Certains d’entre eux ont pensé aux grands bouquets de fleurs, d’autres aux drapeaux libanais. Quelques instants plus tard, sous une pluie battante, Antoine Bassil franchit en voiture le portail de la prison. Il indique aux journalistes que la journée n’est « pas uniquement importante pour lui mais aussi pour sa famille, sa femme et ses enfants qui ont beaucoup enduré ». Avant de rentrer à Mansourieh, dans l’appartement où son épouse avait emménagé peu après son emprisonnement, le journaliste, ancien correspondant de la radio MBC à Beyrouth, effectue une halte au centre de l’Ajem (Association justice et miséricorde). C’est là qu’Antoine Bassil prend son premier café chaud « dans une tasse en porcelaine avec une soucoupe ». En prison, ce sont les tasses de café en plastique qui étaient utilisées. Il bavarde un peu avec les quelques correspondants de presse qui se sont déplacés jusqu’à Roumié. « La prison est un monde à part », dit-il. « En deux ans et demi de détention, je sais ce que tous les détenus ressentent », ajoute-t-il, évoquant « ceux qui n’ont pas de famille, qui ne bénéficient pas du droit à la réhabilitation et ceux qui sont pris en charge par des malfaiteurs aussitôt qu’ils arrivent à Roumié. » Antoine Bassil tient à remercier « l’Ajem, dirigée par le père Hady Aya, les associations caritatives qui encadrent les détenus, l’aumônerie de la prison et les journalistes qui font leur travail ». En réponse à une question relative aux Ordres de la presse et des journalistes, il relève tout simplement que « les deux organismes ont besoin de sang neuf ». « Suis-je victime d’une injustice ? Et vous, qu’en pensez-vous ? Si ce n’était pas le cas, tout ce monde que voyez là ne serait pas venu m’attendre aujourd’hui », indique-t-il encore en réponse à une question. Antoine Bassil est entré en prison en homme discret et simple. Il en est sorti le même, discret et simple. À plusieurs reprises, au centre de l’Ajem ses yeux se remplissent de larmes, notamment quand il prend ses deux enfants et son épouse dans les bras ou encore quand il étreint son ami journaliste, Habib Younès, arrêté et emprisonné avec lui, et qui s’est déplacé hier jusqu’à Roumié pour l’accueillir. C’est un convoi d’une quinzaine de voitures, arborant des drapeaux libanais, et conduites par les membres de la famille proche et quelques amis, qui a accompagné l’ancien détenu à Mansourieh, où son épouse a déménagé après son arrestation. Reine Bassil, qui a habité ainsi l’espace de deux ans un appartement d’un immeuble appartenant à ses parents, avait choisi d’être plus proche de son époux, emprisonné à Roumié. Le bâtiment est cintré de drapeaux du Liban et les balcons du premier étage sont noirs de monde. Sur le pas de la porte, le journaliste est accueilli par les applaudissements et les youyous. Antoine Bassil est désormais un homme libre. Il s’installe au salon avec son camarade de cellule Habib Younès, l’ancien détenu des geôles syriennes et volontaire auprès de l’Ajem, Joseph Hallit, le président de l’Union catholique internationale de la presse au Liban, le père Tony Khadra. Antoine lève son verre et boit pour « la liberté de la patrie ». Et indique que Habib et lui n’ont jamais perdu espoir en prison. Serge a 13 ans. Il est en classe de quatrième. Le premier projet qu’il compte effectuer avec son père ? « Je veux lui parler de tout ce qui s’est passé durant son absence, et puis on ira à Ajaltoun jouer ensemble au basket et au volley-ball », dit-il. Nancy a 16 ans. Elle prépare son bac cette année. Elle aussi veut parler « de tout » avec son père. Passer beaucoup de temps avec lui, une manière de rattraper le temps perdu. Les enfants de Bassil lui rendaient visite en prison uniquement lors des congés scolaires, notamment à Noël, à Pâques et en été. Reine, son épouse, allait à la prison de Roumié trois fois par semaine. Elle a passé deux ans et demi de sa vie à pleurer, prier et attendre. Elle ne pense pas qu’elle pourrait supporter de vivre encore une fois le malheur qu’elle avait vécu et qui avait commencé une matinée d’août 2001, quand elle était rentrée à la maison de Ballouné pour la trouver vide, cherchant Antoine dans l’appartement et le jardin pour trouver enfin un papier rédigé par son mari sur la table de nuit : « Les services de renseignements m’ont embarqué. » Pardonner pour être pardonné Depuis des semaines, Reine anticipe la remise en liberté de son mari. Elle a retapé la maison de Ballouné, où dès ce soir, elle réaménage avec Antoine et les enfants. Maintenant que on époux a été libéré, Reine pense avant tout à « accompagner Antoine chez le médecin pour qu’il effectue un check-up général et des analyses ». Elle se rendra avec lui ensuite dans plusieurs églises pour faire des vœux. Bien que rayonnante hier et savourant son bonheur, Reine n’oubliera jamais l’injustice. Elle la racontera à ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, dit-elle, répétant : « Je ne pardonnerai jamais. » Pas Antoine Bassil qui récite une phrase du Pater Noster : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé », dit-il, expliquant : « Je suis chrétien et croyant à ma manière. Et pour être pardonné, je dois pardonner ». « Mais bien sûr, je n’oublierai jamais », ajoute-t-il. Antoine Bassil, connu pour ses qualités humaines avant son entrée en prison, est sortie de sa geôle, malgré les injustice subies, encore plus humain. À Roumié, il a vu en face le malheur des autres. Il a été surtout touché par la situation des travailleurs étrangers sans papiers. « Selon la loi, ils devraient être rapatriés après 30 jours de détention. Mais, la plupart d’entre eux restent des mois à attendre à Roumié », dit-il. « Ces étrangers n’ont pas de famille au Liban et en prison ils sont traités comme des détenus de deuxième zone », relève-t-il dénonçant le racisme. Il évoque aussi les longues 24 heures passées avant l’exécution, en janvier dernier, de trois condamnés à mort. « Les chiens policiers n’ont pas arrêté de hurler toute la nuit, jusqu’à l’aube. C’est comme si l’ange de la mort planait au-dessus de la prison et quand la première balle a été tirée, j’ai senti qu’elle m’avait atteint. Et puis, durant plus d’une minute, on pouvait écouter le silence », raconte-t-il. Antoine a beaucoup lu en prison, beaucoup écrit. Il publiera probablement, dans les mois à venir, des passages de ce qu’il appelle « son journal intime », où il prenait note de ses lectures, racontait ses journées, décrivait les personnes qui l’entouraient… Mais il ignore quels passages choisir, répétant un adage journalistique anglais : « Dans une ville de 100 000 personnes vous avez 100 000 histoires ; la prison c’est un peu ça aussi. » « En prison on rencontre toutes sortes de personnes, du dealer, au faux-monnayeur en passant par le voleur, l’assassin… Maintenant je les connais tous, je sais comment ils pensent et agissent, et comment souvent ils sont convaincus de leur innocence », ajoute-t-il. Antoine Bassil a vu de près que « tout criminel, tout tueur, a aussi des qualités humaines ». Il a appris à trouver des qualités dans tous les êtres qu’il a pu rencontrer, même ses geôliers. « Des personnes obligées de passer leur temps en prison, comme les condamnés, juste pour gagner leur vie «, indique-t-il. « Eux aussi sont des victimes », poursuit-il, notant que « la prison est un monde à part, une expérience unique, un mode de vie particulier, un endroit où il n’y a pas d’obligation, où l’on peut tout dire… où le pire est déjà là. » Il relève également que c’est grâce à la prison qu’il a remarqué que ses enfants ont grandi. Antoine Bassil lisait et relisait chaque lettre que Nancy et Serge envoyaient en « décortiquant chaque terme », dit-il. « Quand on est proche au quotidien de nos enfants, on ne se rend pas compte qu’ils grandissent, qu’ils ont leur propre personnalité et qu’ils sont indépendants », explique-t-il. Antoine Bassil parle aussi des aumôniers de la prison, les cite tous, n’oublie pas sœur Monique, une religieuse antonine « chargée de la chorale cacophonique de Roumié » où il chantait. Il évoque ses correspondances avec les membres de l’ONG française Acat (Association chrétienne pour l’abolition de la torture et de la peine capitale). Il se penche sur ses lectures durant ces trente mois : L’Alchimiste de Paulo Cuelho, les ouvrages du dalaï-lama, l’œuvre posthume de Charles Malek, The challenge of Human Rights… Grâce à ces livres, le journaliste a appris qu’il ne faut pas chercher le bonheur très loin, que les choses qui existent sont parfois beaucoup plus belles que les idéaux… L’ancien détenu aimerait aussi retourner à son métier de journaliste. Hier, au cours de l’après-midi, Antoine Bassil s’est rendu à Sahel Alma où il s’est recueilli sur la tombe de son père, décédé le 6 mai dernier alors qu’il était derrière les barreaux. Aujourd’hui, il devrait se rendre à Bkerké pour rendre visite au patriarche maronite, Nasrallah Sfeir. Patricia KHODER
Le journaliste Antoine Bassil est sorti hier de la prison de Roumié. Arrêté à l’issue de la rafle d’août 2001 et condamné par le Tribunal militaire, tout comme l’ancien conseiller du chef des FL dissoutes Samir Geagea, Toufic Hindi, et du journaliste Habib Younès, pour intelligence avec l’ennemi, Bassil, 52 ans et père de deux enfants, a passé deux ans et demi en prison, purgeant...