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Actualités - interview

Témoignage - Arrêté à 19 ans, le militant communiste a passé dix-sept années dans les geôles israéliennes Anouar Yassine, ou comment rester un simple résistant malgré tous les honneurs

Anouar Yassine a 36 ans. Arrêté au mont Hermont au cours d’une opération anti-israélienne, le 16 septembre 1987, il a passé dix-sept ans dans les geôles de l’ennemi. Anouar Yassine a retrouvé le 29 janvier dernier sa famille. Il était le seul militant communiste à bord de l’avion qui ramenait au Liban 20 autres ex-détenus. De son long séjour dans les prisons israéliennes, entouré de prisonniers arabes de diverses nationalités, Anouar, originaire du village de Dallafé (Békaa-Ouest, zone anciennement occupée), a gardé, entre autres, un accent typiquement palestinien. Anouar Yassine avait 19 ans quand il a été capturé par les soldats israéliens. Le jeune homme qu’il était a donc grandi et mûri en prison, loin de sa famille, en territoire ennemi. Il n’a jamais perdu espoir, jamais baissé les bras, puisant sa force dans « les idées ». On l’aura compris, Anouar fait partie de ces hommes qui ont une cause et qui y croient dur comme fer. Malgré les honneurs et le retour triomphal, il y a tout juste deux semaines, il tient à rester « un homme du peuple, comme tout le monde ». C’est avec beaucoup de simplicité qu’il reçoit donc les journalistes et parle avec ses anciens amis et « camarades ». Authentique et franc : tels sont les deux adjectifs qui peuvent qualifier dès le premier abord cet homme qui a été plus tenace et plus fort que les murs de la prison. Rmeileh (Chouf), l’ancienne route côtière. La maison de l’ex-détenu est aisément reconnaissable. Devant l’immeuble blanc se dresse un arc de triomphe géant aux couleurs du Parti communiste ; au balcon du troisième étage flotte un drapeau du Hezbollah, et dans l’escalier, sur les murs allant jusqu’au troisième étage, des posters d’Anouar Yassine arborant un t-shirt à l’effigie du Che ont été collés. Il est 11 heures, Anouar est en survêtement, il parle au téléphone avec un « camarade » originaire du Golan et reçoit des proches qui n’ont pas encore eu l’occasion de bavarder longuement avec lui. L’ancien détenu parle avec des mots simples de tous les sujets, sauf quand il évoque « la lutte des peuples pour la libération et contre les injustices ». Et s’il voue au Che une admiration sans borne, c’est parce que Guevara « était un homme d’action, un véritable héros ». Après la libération de Cuba, il aurait pu rester sur l’île, avoir un poste important, devenir ministre, mais il a préféré partir pour vivre avec ceux qui luttent et souffrent, mener d’autres batailles », dit-il. Il décrit les images du Che bien gravées dans sa tête de militant : « Un homme en bras de chemise qui met la main à la pâte, malgré tous les honneurs reçus. C’est bien ça, les véritables héros », indique-t-il. 450 ouvrages et 4 grèves de la faim Anouar a séjourné dans huit prisons israéliennes durant ses dix-sept années de détention. Il a lu plus de 450 livres, observé à quatre reprises des grèves de la faim longues de plus de deux semaines chacune. Il a participé à toutes les activités de la prison, que ce soit des concours d’échecs ou des pièces de théâtre. « Tout ça est une façon de dire non au geôlier, une autre forme de résistance. Je savais que par le simple fait de lire, chanter ou rire, je gênais mes gardiens. Ils ne voulaient pas que l’on soit content », indique-t-il. « Que de fois on m’a placé, des semaines durant, dans une cellule individuelle, tout simplement parce que je rigolais après la présentation d’une pièce de théâtre ou un concours d’échecs que j’avais gagné », raconte-t-il. Résister et aller bien en arrêtant de manger ? « Je n’ai jamais voulu me laisser mourir. Les grèves de la faim avec d’autres détenus, c’était pour améliorer nos conditions de détention, notamment pour que l’on dispose de blocs-notes et de crayons ou encore de ventilateurs en été », répond-il. Anouar décrit avec minutie comment les prisonniers cassaient un seul crayon mine en plusieurs morceaux pour pouvoir le cacher et comment ils emmagasinaient les papiers des cigarettes afin d’écrire. Il parle aussi de l’humidité intenable des cellules en été... « Grâce à notre lutte, les cahiers et les crayons sont devenus disponibles dans la cafétéria de la prison, et des ventilateurs ont été placés dans les cellules », indique-t-il. L’ancien détenu a appris comment préserver sa santé, notamment ne pas abîmer ses reins et son estomac, malgré les longues grèves répétitives de la faim. « À mon réveil, je restais couché, j’avalais une bonne poignée de sel avant de boire un litre et demi d’eau... L’important, c’était surtout que mon corps ne rejette pas l’eau », dit-il, mimant presque la façon dont il avalait le sel avant de boire. Anouar Yassine est conscient qu’il a beaucoup évolué et mûri en prison. « C’est vrai que mes principes sont restés intacts, mais ma perception des choses a changé ; je suis devenu plus ouvert, j’ai gagné en maturité », dit-il. Pour illustrer ce qu’il dit, Anouar donne l’exemple d’un livre sur le Liban-Sud qu’il avait reçu en prison, il y a tout juste deux ans. « Dans le titre, on mentionnait “le Liban-Sud occupé”. Mes geôliers ont voulu le confisquer. J’ai négocié à plusieurs reprises. L’important pour moi était d’avoir accès à l’ouvrage. J’ai donc accepté que sa couverture soit déchirée. Je n’aurais pas agi ainsi à 19 ans », reconnaît-il. Ce qui lui a permis de tenir durant ses longues années de prison ? « Ma famille adoptive (en Israël, des familles peuvent prendre en charge les prisonniers étrangers en leur rendant régulièrement visite), les lettres de mes parents et les messages d’encouragement que je recevais de personnes que je ne connaissais pas », indique-t-il. Il marque une pause, puis : « Je devais tenir le coup. Je ne pouvais pas revenir en arrière. J’étais dans une cellule, je n’avais plus le choix. Alors j’ai attendu... sans jamais baisser les bras. » « Aucun être humain normalement constitué ne peut s’imaginer derrière les barreaux d’une prison, mais une fois qu’on est dedans, la perception qu’on a du temps et des choses change complètement et on parvient toujours à avoir de la force et du courage », ajoute-t-il. Hassan Nasrallah devrait être pris en exemple Anouar Yassine n’a donc jamais regretté l’opération qu’il avait effectuée tout jeune au mont Hermon. « Dans ma cellule, je repassais le fil de l’opération et je pensais que j’aurais pu améliorer ma performance pour qu’elle soit plus réussie », dit-il. En dix-sept ans de détention, Anouar Yassine a compris que l’on ne peut pas revenir en arrière, abréger le présent, ou encore oublier le moment présent pour rêver à un avenir meilleur. Aurait-il voulu appartenir à une autre organisation, maintenant que le Parti communiste n’est plus ce qu’il était et que certains ne reconnaissent même plus son mérite à lutter pour la libération du Sud ? La question fait sourire l’ancien détenu, qui répond : « Un parti, ce n’est pas uniquement des adhérents. Le communisme, c’est avant tout des idées et une histoire. C’est vrai que le monde a changé en dix-sept ans, mais il y aura toujours des combats à mener. Au Liban par exemple, on peut continuer à lutter contre la pauvreté, l’injustice, l’environnement... » « En prison, je n’ai jamais eu peur des murs de ma cellule, à Beyrouth, le béton m’a effrayé », explique-t-il. N’aurait-il pas préféré appartenir à la Résistance islamique au lieu de faire partie de la Résistance nationale ? « La résistance et la lutte contre Israël c’est la même chose. Si, pour des raisons régionales, l’appellation de cette résistance a changé, le cœur du sujet ne change pas, c’est-à-dire le combat pour le Liban-Sud », dit-il. « Je me sens sur la même longueur d’onde que sayyed Hassan Nasrallah. J’apprécie sa manière de voir les choses », ajoute-t-il. Mais le Hezbollah n’est pas uniquement Nasrallah, qui n’est d’ailleurs pas éternel. « C’est vrai, mais si un jour des problèmes avec le Hezbollah se présentent, j’espère qu’il y aura toujours une place au dialogue. Et Hassan Nasrallah, dans ce cas, sera toujours pris en exemple », dit-il. Et l’ancien détenu relate une histoire récente. Un incident qui a eu lieu quand il s’est rendu dans son village de Dallafé, où toute la presse était présente ainsi que les supporters du Parti communiste. « Mes camarades au village m’avaient reçu avec des drapeaux rouges, et quand je suis arrivé, ils ont commencé à scander des slogans communistes, la correspondante de la chaîne de TV al-Manar m’a donc demandé, virulente : “c’est ainsi que vous remerciez sayyed Hassan Nasrallah ?”. J’ai alors répondu simplement : “N’oubliez pas que le secrétaire général du Hezbollah a personnellement œuvré à ma libération parce que je suis un résistant. Je n’ai pas été capturé et je n’ai pas passé 6 000 jours en prison parce que je volais des poules au mont Hermont” ». « La correspondante d’al-Manar, qui est originaire de mon village, n’a plus rien dit ; je pense que le message est passé », poursuit-il. Anouar Yassine refuse d’être qualifié de symbole. Il veut être « un résistant comme un autre. Un homme du peuple comme tout le monde ». Se présentera-t-il aux municipales, aux législatives ou encore rêve-t-il d’occuper un poste important au sein du Parti communiste ? Le jeune homme éclate de rire. « Cela ne m’intéresse pas. Je viens de sortir de prison, je n’ai pas eu le temps de penser à ce que je vais faire plus tard. Je suis avant tout un résistant. » Mais il sait qu’il « n’arrêtera jamais de lutter contre la pauvreté et l’injustice ». Quel métier rêve-t-il d’exercer ? « Agriculteur ». Anouar Yassine a l’air satisfait de sa réponse. Peut-être qu’il pense qu’il restera ainsi ancré à la terre fertile du Liban-Sud. Patricia KHODER
Anouar Yassine a 36 ans. Arrêté au mont Hermont au cours d’une opération anti-israélienne, le 16 septembre 1987, il a passé dix-sept ans dans les geôles de l’ennemi. Anouar Yassine a retrouvé le 29 janvier dernier sa famille. Il était le seul militant communiste à bord de l’avion qui ramenait au Liban 20 autres ex-détenus. De son long séjour dans les prisons...