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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - Issam Bou Khaled s’en va-t-en guerre avec «Maaarche» Bruit de bottes sur les planches du TDB

« Maaarche » est presque une pièce de théâtre. Mais pas tout à fait si on s’en tient à la doctrine communément répandue, selon laquelle une pièce comporte une histoire, des protagonistes, un dénouement. Ici, les personnages n’ont pas de noms, aucune chronique d’événements, point d’intrigue. L’auteur et metteur en scène Issam Bou Khaled s’offre même le luxe d’abolir tout dialogue, toute parole cohérente. Un puzzle, un melting-pot audacieux. Voilà ce que c’est. Oh et une chose encore à préciser: cela parle de guerre. Imaginez un théâtre qui se contenterait de présenter une scène se répétant à l’infini. Décor gris. Désespérément gris. Immense panneau en acier. Sur un côté de la scène, une chaise roulante traficotée pour servir de trépied à une caméra vidéo. Sortant d’une porte coulissante vers le haut, un bataillon aux pas synchronisés s’avance. Neuf soldats frappent les planches à l’unisson. Les trois derniers sont armés… d’instruments musicaux – Ziad Sahhab (oud), Fahed Riachi (oud) et Ahmad el-Khatib (tambour) accompagneront les diverses scènes en live. Le régiment présente alors différentes façons d’aller en guerre. «Maaarche!», brame le commandant posté derrière la camera. Les soldats exécutent. Les acteurs sont aussi nerveux que des panthères affamées (et c’est très bien). On les entend vociférer des phrases dans un jargon incompréhensible. Parfois, on dirait de l’hébreu, d’autres de l’allemand, de l’anglais, de l’arabe ou encore du japonais. Les belligérants disparaissent derrière le panneau, engendrent moult batailles et reviennent. Ils ont triomphé? Essuyé une défaite? On ne sait pas. À leur retour, les bras ensanglantés, tirant les cadavres de leurs confrères, ils ont à peine le temps de griller une cigarette et les voilà repartis vers de nouvelles tranchées. Sur le panneau coulissant, des projections vidéo donnent à voir, grâce à un habile montage, les personnages de la pièce greffés à des scènes de combat réelles. Qui sont les bons et qui sont les méchants? Les acteurs changent de masques, les héros deviennent des monstres et les monstres des héros, selon les exigences de ceux qui écrivent le drame. Guerres sans paix La pièce résume en une heure ce que l’on peut attendre de pire quand on rencontre « la Guerre » au bas de sa porte ou sur son écran de télé. Le spectateur imagine des scènes de combat. De la sale guerre tchétchène à la médiocre guerre de guérilla ivoirienne, en passant par l’interminable talion israëlo-palestinien. Sans oublier la grande guerre frontale des forces du Bien contre l’«axe du mal», avec décollage en direct des avions porteurs de missiles, et conférence de presse biquotidienne du porte-parole de l’état-major des forces du Bien. Ce genre de guerre qu’on veut «propre, chirurgicale et high-tech», médiatisée, comme il convient de nos jours à toute démocratie, si belliqueuse soit-elle. Le monde a-t-il jamais été en paix? Issam Bou Khaled souligne, dans le programme de la pièce, que les États-Unis occupent la première place sur le tableau d’honneur militaire. « Durant les soixante dernières années, les USA ont bombardé 22 pays, dont le Japon, la Chine, le Guatemala, l’Indonésie, l’île de Cuba, le Congo, le Pérou, le Vietnam, le Liban, le Cambodge, l’île de Granada, la Libye, le Panama, la Bosnie, l’Afghanistan et l’Irak. Un certain nombre de pays sont sur la liste d’attente ». Après Archipel (créée en 1999) qui se proposait – sous forme de fait divers loufoque et futuriste – de traiter du problème des déchets (humains autant que ménagers), Bou Khaled s’attaque à un sujet autrement plus grave, la guerre. Mais là aussi, il prend le parti de tourner la réalité en dérision. Sur un ton d’ironie désabusée, il donne un sinistre inventaire de scènes de tueries aveugles, d’humiliation collective, de tyrannie, de crimes contre l’humanité, d’armes de destruction massive, etc., que nous connaissons bien – trop bien – pour les avoir déjà vécues. Maaarche pourrait nous faire battre en retraite à juste titre. Eh bien détrompez-vous, il faut au contraire y aller baïonnettes en avant. Parce que derrière tous les prétextes et les justifications d’un conflit se cache toujours la très archaïque et infantile pulsion de la violence (individuelle et collective). Les clowns d’acteurs d’Abou Khaled jouent à la guerre comme le font les enfants. Il s’agit certainement là d’une mise à distance de nos postures guerrières afin de pouvoir en rire, même jaune. Car comme le disait Freud: « En plaisantant, on peut rire de tout. Même de la vérité.» Maya GHANDOUR HERT
« Maaarche » est presque une pièce de théâtre. Mais pas tout à fait si on s’en tient à la doctrine communément répandue, selon laquelle une pièce comporte une histoire, des protagonistes, un dénouement. Ici, les personnages n’ont pas de noms, aucune chronique d’événements, point d’intrigue. L’auteur et metteur en scène Issam Bou Khaled s’offre même le luxe...