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Actualités - REPORTAGE

PEINE CAPITALE - Le message des ONG à l’État : « Ne tuez pas au nom de la justice » À Roumieh, la longue veillée des abolitionnistes

Ils ont choisi la couleur noire pour exprimer leur deuil et dire non à ce qu’ils considèrent être « un crime de plus », celui qui doit en principe ôter la vie, ce matin à l’aube, par une décision de justice, à Rémy Zaatar, Badih Hamadé et Ahmad Mansour. En signe de compassion envers les victimes de la triple exécution mais aussi envers les victimes des meurtriers, des dizaines d’intellectuels et d’activistes ont organisé hier, devant la prison de Roumieh où devaient se dérouler les exécutions, un sit-in silencieux et symbolique qui s’est prolongé jusqu’au petit matin. Dans une ultime tentative d’arrêter le cours implacable des condamnations à la peine capitale, les abolitionnistes se sont mobilisés en nombre pour tenter d’adresser un dernier message à l’État, l’exhortant, quelques heures avant le rendez-vous fatidique, à renoncer à « faire tuer au nom de la justice ». Rémy Antoine Zaatar, qui avait tué en juin 2000 deux membres de la Défense civile et blessé un officier syrien, et Badih Hamadé, alias Abou Obeida, qui avait tué à la même époque trois militaires libanais à Saïda, devaient être passés par les armes ; Ahmad Mansour, qui avait tué en juillet 2002 huit de ses collègues, employés de la Mutuelle des enseignants, devait être pendu dans l’enceinte de la prison de Roumieh où ils sont détenus. Les trois exécutions étaient prévues, simultanément, à 5 heures. Peu d’informations ont circulé sur l’état des prisonniers et sur leurs dernières volontés. Tous les trois auraient toutefois exprimé leur repentance la veille de l’exécution et durant les entretiens avec les membres de l’association Justice et Miséricorde, une ONG de soutien aux prisonniers. Le responsable de l’association, le père Hadi Ayya, a indiqué que « les personnes condamnées ont exprimé à plusieurs reprises leur souhait de rester en vie pour pouvoir payer la lourde dette qu’elles doivent aux parents de victimes et à la société ». Le prêtre a en outre rapporté que les trois condamnés avaient fait part de leur colère quant à la manière dont les exécutions ont été décidées, affirmant que « puisque les autorités comptaient de toute manière nous exécuter, pourquoi nous ont-elles laissé espérer durant toute cette période ». Le président du tribunal civil de Jdeidet el-Metn, Mohammed Mourtada, devait se rendre, à 3 heures du matin, auprès des condamnés pour recueillir leur testament. Sur décision du procureur général près la Cour de cassation, Adnane Addoum, les parents ont été autorisés à rendre une dernière visite aux condamnés. Ahmad Mansour a ainsi pu rencontrer sa femme, sa sœur et son beau-frère, et Badih Hamadé, sa mère et ses sœurs. Ces dernières ont raconté que Badih avait « gardé un excellent moral » et qu’il était « heureux parce qu’il est convaincu qu’il va directement au paradis ». Seule la mère de Rémy Zaatar, qui n’était pas au courant de l’autorisation de visite, n’a pu se rendre auprès de son fils. Son avocat a affirmé avoir préféré lui éviter cette rencontre, « car sa santé ne lui permet pas de telles émotions ». Accablée, au bord de la crise de nerfs, Mme Zaatar a tenté désespérément d’accéder à la prison dans la soirée. Mais en vain. Jusqu’au petit matin, les ONG, soutenues par plusieurs partis politiques hostiles à la peine capitale, ont tenté par tous les moyens de faire opposition à ce qui paraissait être, au fil des heures, un mouvement inéluctable vers le « châtiment suprême ». Du moins, c’est ainsi que le percevaient les familles des victimes des meurtres commis par Hamadé, Mansour et Zaatar, un moment qu’elles attendaient depuis longtemps. Des dizaines de militants ont commencé dès 18 heures à se rassembler devant le siège de l’association Justice et Miséricorde, non loin de la prison. Tout autour, des bougies illuminaient les dizaines de visages ternes des manifestants, tous vêtus de noir. L’atmosphère était sobre et grave pour mieux refléter la gravité de ce qui allait se passer, quelques mètres plus loin. Déployée en force, l’armée avait bouclé les lieux, en filtrant très minutieusement les véhicules. Dès 17 heures, les responsables de la prison ont fait comprendre aux manifestants qu’ils étaient indésirables sur les lieux, les sommant de plier bagage et de rentrer chez eux. Des négociations ont été alors engagées avec les agents de l’ordre qui ont tenté de négocier une formule à l’amiable. La réponse n’a pas tardé à venir. Vers 19 heures, l’armée a fait évacuer les lieux, repoussant les activistes loin de la prison. Après avoir présenté ses excuses aux parents des condamnés « pour n’avoir pas réussi à faire suspendre ces exécutions », le responsable du mouvement des droits humains au Liban et initiateur de la campagne nationale contre la peine de mort, Walid Slaybi, a déclaré lors d’un point de presse : « Aujourd’hui nous sommes tristes, car nous venons de constater que l’État a fini par avouer son échec dans tous les domaines. » « Les responsables ont non seulement échoué à résoudre le problème de la pauvreté, qui est à l’origine du crime, mais ils ont contribué à l’aggraver pour ensuite décider de tuer les enfants de la misère», a-t-il dit. Bref, a conlu M. Slaybi, l’État a échoué à créer un citoyen pacifique en « plaçant au pouvoir ceux-là mêmes qui ont financé la guerre et la violence ». Abondant dans le même sens, Nizar Saghiyé, avocat, a affirmé qu’il « est inadmissible d’appliquer la peine de mort dans un pays qui sort de 15 ans de guerre et qui a surtout besoin de tolérance ». À son tour, Ghassan Moukheiber, député du Metn et membre actif de la campagne abolitionniste, a rappelé que la condamnation à la peine capitale contredit un principe fondamental des droits de l’homme, celui du droit à la vie. « En aucun cas, ce principe n’implique que le criminel peut échapper à l’emprise de la justice et se dérober à la sanction. Selon nous, la sanction la plus lourde, celle des travaux forcés à perpétuité. » Interrogé sur les négociations menées avec les responsables de la prison pour permettre aux manifestants de poursuivre leur sit-in, M. Moukheiber a affirmé que « les forces de sécurité craignaient un attentat à la voiture piégée et voudraient par conséquent assurer la sécurité des manifestants ». M. Slaybi a tenu à préciser que des dizaines de manifestants ont dû rebrousser chemin aux barrages de l’armée qui les a empêchés de rejoindre le rassemblement dans l’après-midi. C’est le même scénario sécuritaire qui s’est produit place de l’Étoile, où les manifestants avaient observé un sit-in de quelques minutes, avant leur départ pour Roumieh. « C’est une situation exceptionnelle », a répondu un agent de l’ordre à une passante qui voulait accéder aux souks du centre-ville, interdits au public. Même les employés des restaurants et des cafés ont été retenus par l’armée, déployée en force pour contenir une cinquantaine d’activistes, venus dire non à la potence. Les manifestants seront repoussés vers la place Riad el- Solh. « Nous n’accepterons jamais que ceux qui sont derrière ces crimes (les exécutions) aient la conscience tranquille », a affirmé Joe Haddad, un membre du mouvement des droits de l’homme. « L’ancien chef de gouvernement, Sélim el-Hoss, n’a pas du tout tort en disant que celui qui signe les décrets d’exécution est complice du crime », ajoute le militant. « C’est une généralisation de la culture de la violence et une tentative du pouvoir corrompu de redorer son blason. Nous refusons que ces exécutions soient menées au nom du peuple libanais », s’indigne Nada Adhami, membre de Hurryat Khassat, un groupe d’avocats qui mène une campagne pour la réforme du code pénal. « Le fait que ces exécutions se fassent sur la base de l’équilibre confessionnel, que nous refusons dans la répartition des charges publiques, est encore plus honteux et plus humiliant », a souligné Nada Adhami en se référant au fait que les détenus qui doivent être exécutés sont un chrétien, un musulman chiite et un musulman sunnite. Jeanine JALKH

Ils ont choisi la couleur noire pour exprimer leur deuil et dire non à ce qu’ils considèrent être « un crime de plus », celui qui doit en principe ôter la vie, ce matin à l’aube, par une décision de justice, à Rémy Zaatar, Badih Hamadé et Ahmad Mansour. En signe de compassion envers les victimes de la triple exécution mais aussi envers les victimes des meurtriers, des...