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Justice - Après une parenthèse de cinq ans, le Liban annonce la reprise des exécutions capitales Zaatar et Hamadé seront passés par les armes, Mansour sera pendu, demain à l’aube

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Du moins, c’est ainsi que l’ont perçue les personnes condamnées à la peine capitale ainsi que leurs parents, qui ont appris hier par voie de presse que les exécutions auront lieu demain samedi à l’aube. Une décision que vient d’avaliser le chef de l’État, Émile Lahoud, qui seul détenait encore le droit de grâce. La position du président est intervenue après que le Premier ministre Rafic Hariri et le ministre de la Justice Bahige Tabbarah eurent donné leur accord. Rémy Antoine Zaatar, qui avait tué en juin 2000 deux membres de la Défense civile et blessé un officier syrien qui aurait décédé des suites de ses blessures, et Badih Hamadé, alias Abou Obeida, membre de Osbat al-Ansar, qui avait tué à la même époque trois militaires libanais à Saïda, seront passés par les armes au sein de la prison de Roumieh. Le troisième condamné à mort, Ahmad Mansour, qui avait tué en juillet 2002 huit de ses collègues employés de la Mutuelle des enseignants, sera pendu également dans l’enceinte de la même prison. Lors des exécutions, la présence des proches et des médias ne sera pas admise, les autorités ayant opté cette fois-ci pour la discrétion. La dernière exécution par pendaison remonte à mai 1998, peu avant la fin du mandat du président Élias Hraoui. La décision de remettre en vigueur la peine capitale intervient après un moratoire de fait qui a été observé pendant 5 ans, au cours duquel les autorités ont suspendu cette sanction, ce qui avait fait croire à certaines ONG des droits de l’homme que le pays du Cèdre se dirigeait vers l’abolition de la potence. Au début du mandat du général Lahoud, le Premier ministre Sélim Hoss, opposé à la peine capitale, avait refusé de signer des décrets en ce sens. Cette position avait été confirmée par la suite par une déclaration de l’ancien ministre de la Justice, Samir el-Jisr, qui avait indiqué à l’époque « que la peine de mort n’était plus appliquée ». L’affaire a pourtant été relancée depuis près de deux mois, lorsque la commission des Grâces a été saisie par le procureur de la République pour examiner une trentaine de dossiers de condamnations à la peine capitale. Ayant prononcé un avis favorable dans trois des cas soumis, celle-ci a ensuite transmis le dossier au ministre de la Justice, Bahige Tabbarah, qui a émis les décrets autorisant les exécutions. Malgré l’opposition affichée par les associations de défense des droits de l’homme et les pressions exercées par plusieurs capitales, notamment de l’Union européenne, la décision de faire aboutir la sanction s’est avérée irréversible. Dans la prison de Roumieh, la nouvelle a provoqué la panique la plus totale parmi les prisonniers. Des sources proches de la prison ont affirmé hier que les trois condamnés, qui espéraient encore bénéficier du droit de grâce, ont été ébranlés à l’annonce de leur exécution. Les retrouvailles avec leurs proches – qui viennent leur rendre visite tous les jeudis – n’ont fait que décupler leur angoisse, confie cette source. Les trois prisonniers devaient être transférés hier soir dans des cellules individuelles, une mesure coutumière qui précède généralement l’application de la sentence capitale. Au Liban, les exécutions étaient très rares jusqu’à l’adoption en 1994 de la loi 302 rétablissant dans la pratique la peine de mort, jamais abolie dans les textes. Alors que trois personnes seulement avaient été pendues en 35 ans, 14 autres ont été exécutées depuis 1994 en vertu de cette loi. Ce texte privait les juges de la possibilité d’accorder des circonstances atténuantes dans les cas de meurtre avec préméditation ou pour les crimes dont l’atrocité est telle qu’elle constitue un danger pour l’ordre public. Toutefois en 2001, cette loi, considérée comme anticonstitutionnelle, a été abrogée pour restituer au juge la possibilité d’accorder les circonstances atténuantes. Or, la condamnation de Rémy Zaatar a été prononcée sous l’égide de la 302. « Par conséquent, ce dernier n’a pas pu bénéficier d’une révision de son procès après l’abrogation de cette loi, ce qui l’a également privé du droit d’être gracié par le chef de l’État », fait remarquer Me Nizar Saghiyé, un des dirigeants de Hurriyat, une association pour la défense de la dignité humaine. Les abolitionnistes soulignent la banqueroute de l’État Aux yeux des militants abolitionnistes, ce retournement soudain de situation ne peut que justifier « le caractère arbitraire de ces décisions qui soulignent la banqueroute de l’État. Ce dernier cherche à tout prix un bouc émissaire pour détourner l’attention de l’opinion des scandales liés à la corruption ». « La reprise des exécutions capitales, après une suspension de près de cinq ans, est une preuve de l’échec de l’État », a relevé Me Saghiyé. Pour ce défenseur des droits humains, les dirigeants libanais doivent assumer leur responsabilité dans cette affaire. « Le président de la République fait porter la responsabilité à la justice, le Premier ministre à son homologue de la Justice et ces deux derniers affirment que c’est le chef de l’État qui décide en fin de compte », a ajouté Me Saghiyé en relevant que M. Tabbarah « s’est porté absent » depuis la réouverture de ce dossier. Contacté à plusieurs reprises par L’Orient-Le Jour, le ministre, qui avait tenu il y a quelques semaines des propos très vagues à ce sujet, est resté, jusqu’à la dernière minute, injoignable. Pourtant, poursuit Me Saghiyé, « chacun a le pouvoir de ne pas donner son accord ». Au début du mandat du président Lahoud (automne 1998), le Premier ministre Sélim Hoss, opposé à la peine capitale, avait refusé de signer des décrets en ce sens. « L’exécution capitale constitue une triple dérobade : devant les causes du crime, devant les familles des victimes et devant la réhabilitation des criminels », a estimé Walid Slaibi, le responsable du Mouvement des droits humains au Liban et initiateur de la campagne nationale contre la peine de mort. « Il faut créer une loi qui indemnise les familles des victimes plutôt que de leur apporter une consolation, à travers l’exécution », a-t-il ajouté. Pour Nada Adhami, avocate et activiste des droits de l’homme, « la pratique de l’exécution capitale encourage la violence ». « Personne n’a le droit de tuer de sang-froid même si cela est fait au nom de l’État et de la société. » Cheikh Maher Hammoud, un dignitaire sunnite de Saïda, a également exprimé son rejet total des exécutions capitales. Le juge Hassan Kawas, connu pour avoir prononcé plusieurs condamnations à la peine capitale durant la guerre, a fini par modifier radicalement son attitude vis-à vis de cette question. Interrogé par L’Orient-Le Jour, il a affirmé « être totalement opposé à cette sanction », qu’il « ne prononcera plus jamais » de sa vie s’il lui était demandé à nouveau de le faire. « Cette peine que l’on applique depuis la nuit des temps n’a jamais servi à rien. C’est certainement par d’autres moyens que l’on doit tenter de dissuader les criminels », a encore affirmé le juge en rappelant que toutes les nations civilisées ont aboli cette peine. L’Union européenne a vivement dénoncé hier cette mesure d’autant plus qu’elle suspend le moratoire de fait établi depuis 98. Au cours des dernières semaines, plusieurs diplomates s’étaient rendus à tour de rôle auprès du chef de l’État et du chef du gouvernement pour les convaincre de renoncer à cette mesure, bannie sur l’ensemble du Vieux Continent. Les visiteurs de Baabda et de Koraytem se sont entendu dire par les responsables libanais que le pays n’était pas encore mûr pour abolir la peine de mort. Rappelons que la Turquie, qui souhaite que sa candidature à l’UE soit acceptée, a aboli le 9 janvier la peine de mort en toutes circonstances, « y compris en temps de guerre ». Jeanine JALKH « C’est un brave garçon qui a perdu la boussole », affirme la mère de Rémy Zaatar La douleur de Jacqueline Zaatar, la mère de Rémy, à qui on venait d’annoncer l’exécution imminente de son fils, est indicible. Ayant appris la nouvelle « comme tout le monde » par voie de presse, la maman du condamné espère pouvoir se réveiller de ce long cauchemar dont elle n’arrive toujours pas à expliquer les raisons. « Il n’était pas conscient quand il a commis ce crime. Il a agi sous l’effet de la drogue », balbutie la mère, brisée par la douleur. Aujourd’hui, sa visite à la prison de Roumieh où elle devait revoir, pour une dernière fois peut-être, son fils, était apocalyptique. « Il a fallu la collaboration de plusieurs prisonniers et gardes pour pouvoir le maîtriser. Il était affolé par la nouvelle », raconte la mère encore sous le choc de cette rencontre. « Il faut voir comme il est aimé à l’intérieur de la prison. Même ses geôliers étaient choqués par la nouvelle », raconte-t-elle. « C’est pour dire que c’est un brave garçon qui a été entraîné dans un crime organisé », se désole la maman en rappelant que son fils, élève des jésuites et ingénieur diplômé d’une grande université américaine, a été entraîné dans une affaire de drogue dont il n’arrivait plus à s’en sortir. « Tout n’est pas encore joué, n’est-ce pas ? » s’interroge désespérément la maman de Rémy, qui espère que le chef de l’État reviendra sur sa décision. Je.J. L’UE déplore la suspension du moratoire de fait L’Union européenne a invité hier le président libanais Émile Lahoud à « revenir » sur la décision de faire exécuter samedi trois condamnés à mort, exprimant sa « consternation » à la suite de cette annonce. « L’Union européenne appelle le président Émile Lahoud à faire usage de l’autorité dont il est investi pour revenir sur cette décision », a indiqué un communiqué de l’ambassade des Pays-Bas à Beyrouth (qui représente la présidence irlandaise de l’UE au Liban). « En ce faisant, le Liban suspend le moratoire sur la peine de mort qu’il a établi en 1998 », a indiqué le communiqué . La présidence de l’UE rappelle que les Quinze avaient « dans le passé exprimé aux autorités libanaises leur soutien à la poursuite de ce moratoire » de façon à permettre l’abolition de la peine capitale. « L’Union européenne considère que l’abolition de la peine de mort contribue au renforcement de la dignité et au développement progressif des droits de l’homme. Elle considère cette forme de punition cruelle et inhumaine », a conclu le texte. Georges Saadé : « Je m’engage à financer l’éducation des enfants d’Ahmad Mansour » Le président du syndicat des enseignants du secteur privé et beau-père de l’une des victimes du meurtre de l’Unesco, Rachelle Rahmé Saadé, a affirmé hier avoir une position mitigée vis-à-vis de l’annonce des exécutions. « En tant que parent de la victime j’éprouve un soulagement car justice doit être faite », souligne M. Saadé en précisant toutefois que sa réaction n’émane pas d’un besoin de vengeance, mais d’une conviction profonde que seule la peine capitale peut dissuader les criminels. « Depuis que l’ancien chef de gouvernement, Sélim Hoss, s’est abstenu de signer les décrets de la peine de mort, les crimes n’ont fait qu’augmenter », dit-il. Selon lui, un crime de cette envergure, qui, de surcroît, a été commis de sang-froid et avec préméditation, ne peut qu’être sanctionné de cette manière. Toutefois et en tant qu’éducateur, « je ne peux que compatir avec les enfants d’Ahmad Mansour. D’ailleurs je m’engage à couvrir les frais de leur éducation durant toute leur vie, pour ne pas qu’ils deviennent des criminels comme leur père », poursuit M. Saadé. « Il est temps que l’État frappe d’une main de fer pour mettre fin à cette criminalité qui sévit dans le pays », conclut l’éducateur. Je.J. Amnesty appelle le président Lahoud à empêcher les exécutions Amnesty International a appelé hier le président libanais Émile Lahoud à empêcher l’exécution prévue samedi des trois détenus condamnés à mort pour meurtre. Dans un communiqué publié à Londres, l’organisation de défense des droits de l’homme « exhorte le président Émile Lahoud à utiliser ses pouvoirs pour empêcher immédiatement l’exécution imminente » des trois hommes. Amnesty appelle également le président libanais à « commuer les peines de mort prononcées contre ces trois hommes et contre 24 autres ». « La finalité et la cruauté inhérente à la peine de mort, et le manque de preuves montrant qu’elle a un effet dissuasif sur les crimes violents en font une réponse inadaptée et inacceptable à la criminalité », a indiqué l’organisation. « Même si Amnesty reconnaît le droit de traduire en justice toute personne soupçonnée d’implication dans un acte criminel, l’organisation pense qu’exécuter ces personnes ne contribuera que très peu à soulager la souffrance des familles des victimes, pour lesquelles elle ressent la plus grande sympathie et considération », a poursuivi le communiqué. « Le rayon d’espoir suscité par le moratoire sur la peine de mort, observé de fait depuis cinq ans, a été obscurci par la décision du Liban de tuer ces hommes », a souligné Amnesty. La société civile dénonce en bloc les exécutions Les ONG et les partis politiques dits abolitionnistes se sont réunis hier en toute urgence pour débattre des exécutions prévues demain à l’aube. À l’issue de la réunion, les militants ont publié un communiqué dans lequel ils dénoncent la réactivation d’une sanction qui avait été mise en veilleuse pendant cinq ans. Qualifiant la peine capitale de « crime organisé par l’État », les abolitionnistes ont appelé les autorités à « reconsidérer leur politique vindicative qu’elles disent appliquer au nom de la loi et du peuple ». Dans un geste hautement symbolique, les ONG et les partis en question ont décidé d’organiser aujourd’hui, à 16 heures, un sit-in devant le Parlement, avant de se diriger vers la prison de Roumieh où ils passeront la nuit jusqu’à l’heure des exécutions.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Du moins, c’est ainsi que l’ont perçue les personnes condamnées à la peine capitale ainsi que leurs parents, qui ont appris hier par voie de presse que les exécutions auront lieu demain samedi à l’aube. Une décision que vient d’avaliser le chef de l’État, Émile Lahoud, qui seul détenait encore le droit de grâce. La...