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Actualités - OPINION

Cadeau piégé

«Sharon, traître ! » : dans l’interminable feuilleton de Palestine qui se joue depuis trois quarts de siècle on croyait avoir tout vu, et voici soudain que l’on a droit à une stupéfiante version de l’arroseur arrosé. Le chef du Likoud était, jusqu’à ces derniers jours, l’incarnation même de la droite nationaliste israélienne dans ce qu’elle a de plus agissant, de plus irréductible, de plus odieusement outrancier : une bête de guerre toujours prête pour toutes les guerres à venir, le père de l’implantation systématique dans les territoires occupés en 1967, un formidable obstacle à toute paix qui ne consacrerait pas l’écrasante suprématie militaire, territoriale et politico-économique d’Israël. Dès lors, les accusations de trahison de l’idéal sioniste, c’est Ariel Sharon qui avait coutume de les lancer, lui, et sans aucun ménagement : entre autres à des Yitzhak Rabin, coupable d’avoir mis en œuvre le plan d’autonomie palestinienne et qui devait périr peu après d’ailleurs sous les balles d’un extrémiste juif. Conspué par les plus excités parmi les siens, à peine révélé son plan de démantèlement unilatéral des colonies de Gaza, Sharon donne l’impression aujourd’hui de s’avancer, forcé et contraint, sur un terrain qui n’est pas normalement le sien. Forcé et contraint en effet, en raison de l’affaire de corruption qui l’éclabousse avec l’un de ses fils, risquant fort de lui valoir la plus infamante des fins de carrière. Voilà qui le pousse, sans doute, à multiplier les initiatives susceptibles de montrer, ne serait-ce que pour un temps, que sa gestion n’est pas synonyme d’immobilisme sanglant. Cette randonnée en terra incognita, le chef du gouvernement israélien l’a entamée en fait quelques mois après son élection, parsemant son itinéraire de « bombes » politiques qui ne s’avéraient être souvent que des pétards mouillés : oui à un État palestinien indépendant, proclamait dès 2002 le pourfendeur des accords d’Oslo, l’homme qui ne voyait d’autre patrie possible pour les Palestiniens que le royaume hachémite de Jordanie. L’année suivante, Sharon reconnaissait le fait de l’« occupation » israélienne, puis lançait son plan de « séparation » d’avec les Palestiniens, avant d’en venir au récent échange de prisonniers négocié avec le Hezbollah et enfin à ce projet d’évacuation quasi intégrale de la bande de Gaza, éventuellement assorti d’élections anticipées ou d’un référendum : projet à tel point inattendu qu’il ne laisse pas d’inquiéter. Car Sharon n’est pas homme à faire de cadeau. Et Israël, qui ne s’en cache même pas, ne déserte en réalité le miséreux coupe-gorge de Gaza que pour mieux enfoncer ses griffes dans la Cisjordanie, au besoin en y sacrifiant trois seulement des 120 colonies qui y existent pour absorber toutes les autres à l’abri du sinistre mur en cours d’édification. Mieux, on entre de plain-pied dans la politique-fiction avec l’intention prêtée au leader du Likoud de céder à titre de compensation, au futur bantoustan palestinien, de bouts de territoire israélien à population massivement arabe en vue de préserver le caractère juif d’Israël menacé, à terme, par les lois de la démographie. C’est cette surréaliste vision que se propose de présenter à George W. Bush le chef du gouvernement israélien, attendu prochainement à Washington où s’est rendu en éclaireur son second Ehud Olmert. La superpuissance américaine, actuellement sous la coupe des néoconservateurs et qui a bien accueilli le plan Gaza, peut-elle aller jusqu’à entériner une razzia qui serait la négation même de la fameuse « feuille de route » patronnée par les États-Unis ? Ceux-ci s’astreindront-ils plutôt à un minimum de respect pour les règles internationales, par eux-mêmes bafouées en Irak certes, mais qui redeviennent de mise à l’heure où ils sollicitent la coopération de l’Onu pour la tenue d’élections libres dans ce pays ? Et dans quelle mesure les rebondissements de l’enquête sur la vénalité présumée d’Ariel Sharon dicteront-ils les gesticulations diplomatiques du vieux taureau ? Quelles que soient les réponses à ces questions, il faut espérer que les Palestiniens – et plus généralement les pays arabes qui s’en disent solidaires – sauront cette fois faire face au péril. Tout bénéfice est bon à prendre et l’évacuation de Gaza en est incontestablement un. Car même si Ariel Sharon est loin d’être ce de Gaulle israélien attendu depuis des décennies, une figure forte de son passé, ne redoutant pas la surenchère, et donc capable d’opérer les révisions déchirantes que commande tout règlement juste et durable ; même si ce tabou brisé qu’est l’évacuation de colonies cache un piège mortel, reste un fait, indiscutable : si l’on sait y faire, à Gaza comme au Liban-Sud, comme peut-être demain ailleurs, finit tôt ou tard par se poser la simple question de l’occupation et du prix qu’elle exige. Une autre certitude : nul responsable palestinien n’ira se couvrir de ridicule à l’image de l’État libanais et de son tuteur syrien protestant à cor et à cri contre le retrait unilatéral du Liban-Sud opéré en l’an 2000 par Barak, au motif qu’il n’avait pas l’heur d’englober les hauteurs du Golan.
«Sharon, traître ! » : dans l’interminable feuilleton de Palestine qui se joue depuis trois quarts de siècle on croyait avoir tout vu, et voici soudain que l’on a droit à une stupéfiante version de l’arroseur arrosé.
Le chef du Likoud était, jusqu’à ces derniers jours, l’incarnation même de la droite nationaliste israélienne dans ce qu’elle a de plus agissant,...