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Actualités - REPORTAGE

SCÈNE MONDIALE - Le chorégraphe russo-américain a révolutionné le monde de la danse classique Les cent ans de Balanchine, père du ballet américain

« Le ballet est comme une rose, disait George Balanchine, un des plus grands chorégraphes de son temps. Il est beau et on l’admire mais on ne se demande pas ce qu’il signifie. » Dans le jardin bigarré de la danse du XXe siècle, Balanchine, qui est né et a vécu en Russie, a cultivé la rose américaine : exubérante, lumineuse, optimiste et triomphante. Il a révolutionné le ballet pour toujours, changé la signification du classicisme, encouragé la vitesse et le côté athlétique qu’il a rencontrés dans le Nouveau Monde et intégré ces qualités dans la nature même de la beauté du mouvement. Le New York City Ballet ne serait jamais devenu le premier corps de ballet au monde sans lui. Ce danseur chorégraphe voulait que ses œuvres soient le miroir du toujours plus vite, du toujours plus haut, du toujours plus loin de la méritocratie américaine. George Balanchine aurait eu cent ans le 22 janvier 2004. Les grandes capitales se préparent à célébrer son centenaire. Ses débuts Balanchine a fait ses débuts en 1925 avec les Ballets russes de Serge de Diaghilev et travaille avec cette compagnie historique jusqu’en 1929. Les cinq années suivantes le voient à Paris, Monte-Carlo et Copenhague. En 1933, à Londres, il rencontre un riche amoureux des arts, Lincoln Kirstein, qui l’incite à tenter l’aventure outre-Atlantique. Il s’installe alors aux États-Unis en 1934 et y restera jusqu’à sa mort, à près de quatre-vingts ans, malgré de fréquents séjours en Europe, où il fera de nombreuses créations. Avec Kirstein, Balanchine a créé la School of American Ballet, toujours en activité, puis plusieurs compagnies, avant de lancer le New York City Ballet, en 1948, grâce au soutien de Nelson Rockefeller. Tradition et modernité Il ne rejette pas la tradition, se voulant l’héritier de Marius Petipa auquel il voue une grande admiration. Mais il est également marqué par l’atmosphère novatrice qui règne à l’époque en Russie, subissant entre autres l’influence de Kassian Goleïzovski, le chorégraphe le plus audacieux de son temps. Aussi, ses premières créations s’inscrivent-elles résolument dans une approche évolutive de la danse classique qui restera sa marque. Il renouvelle la composition chorégraphique en combinant les pas de façon originale et modernise le mouvement en étirant les lignes du corps, en utilisant des positions hanchées, en jouant avec le déséquilibre et les figures acrobatiques. Son style se caractérise par la pureté des lignes, la dynamique des enchaînements, l’extrême vivacité des mouvements : une danse virtuose sans pause, ni temps de préparation, d’un niveau de difficulté aussi élevé pour les groupes que pour les solistes. Son inspiration, il la tire du corps de ses interprètes, et particulièrement du corps féminin, sur lesquels il expérimente ses innovations. Il choisit des danseuses jeunes, minces, aux longues jambes, qui mettent en valeur la pureté formelle qu’il recherche. Pour favoriser la lisibilité du mouvement, il privilégie des scénographies dépouillées et des costumes souvent réduits à un collant, avec un maillot pour les femmes et un tee-shirt pour les hommes. Son intérêt pour le mouvement de danse lui-même lui fait privilégier des ballets non narratifs, qui portent simplement le titre de la partition musicale. En effet, Balanchine, qui déclare : « Voyez la musique et écoutez la danse » (Programme de l’Opéra de Paris, décembre 1996), conçoit ses chorégraphies en totale communion avec les intentions du compositeur. Il choisit des œuvres classiques, modernes, et parfois du jazz. Il aime particulièrement Piotr Tchaïkovski et noue des rapports privilégiés avec Igor Stravinsky, dont la modernité stimule sa créativité et qui lui inspire plus de trente ballets. Le compositeur lui rend un hommage exceptionnel en déclarant avoir découvert certains aspects de sa propre musique en regardant ses chorégraphies. Ses œuvres Balanchine est considéré comme le maître du ballet « abstrait », c’est-à-dire un ballet sans intrigue, inspiré par la seule musique. Sa culture musicale était si profonde qu’il pouvait visualiser une œuvre non seulement à l’aide des rythmes et de la mélodie, mais en exploitant la structure interne de la partition. D’où les merveilles que sont le Concerto Barocco, sur une œuvre de Bach, les Quatre Tempéraments d’après Hindemith, Serenade à partir de Tchaïkovski, ou le Palais de Cristal sur la symphonie en ut de Bizet. On ne doit pas oublier ses ballets narratifs, dont certains, comme le Fils Prodigue, la Somnambule, ou la Chatte, sont d’impérissables chefs-d’œuvre, ni ses reconstitutions de grands ballets classiques comme Casse-Noisette ou Don Quichotte. Qui consulte la liste des œuvres de Balanchine ne peut qu’admirer la diversité de ses créations et de leur support musical. Balanchine aime Ravel, Mozart, Tchaïkovski, mais aussi Weber, Charles Yves et Kurt Weill, mais encore Xenakis et surtout Stravinski, dont il fut le génial illustrateur, de 1925 (Le Chant du rossignol) à 1982 (Élégie). De leur collaboration, il nous reste d’immortels ballets : Apollon musagète, Agon, le Concerto pour violon, pour ne citer que ceux-là. Il a collaboré avec Martha Graham, fondatrice de la Modern Dance. Architecte de la danse du XXe siècle aux États-Unis, il a façonné comme véhicule idéal de ses ballets et de sa pensée une troupe fantastique, le New York City Ballet dont les ballerines aux longues jambes sont devenues l’archétype des danseuses classiques, mais aussi des Chorus Girls. Et les femmes ? George Balanchine adorait les femmes, particulièrement ses ballerines. Il en a épousé quatre, avait de nombreuses muses, et a créé des œuvres dans le seul but de les glorifier et les rendre encore plus belles. Il disait : « Le ballet, c’est la femme. » Certes il a imaginé de superbes personnages masculins, mais le rôle féminin a toujours, à quelques exceptions près, été prépondérant pour lui. En 1962 il déclarait : « La femme est la reine de la danse, l’homme n’est que son serviteur. » Il a joué les Pygmalion toute sa vie. Il a découvert Alicia Markova à quatorze ans, puis Baronova, Biabouchinsky et Toumarova à quinze ans, Maria Tallchief, Tanaquil LeClercq et Suzanne Farrel, enfin l’extraordinaire Darci Kistler qui a été, à dix-sept ans, la plus jeune étoile du New York City Ballet. George Balanchine s’est éteint le 30 avril 1983. De 1920 à sa mort, l’homme a produit quelque 425 chorégraphies, dont nombre sont encore régulièrement interprétées de par le monde. Depuis sa disparition, l’héritage a été perpétué par les chorégraphes Jerome Robbins puis Peter Martins, dans une compagnie qui affiche une bonne santé, à côté de sa rivale, le plus classique American Ballet Theatre, installé dans le théâtre adjacent, au sein du Lincoln Center de New York. Maya GHANDOUR HERT L’Opéra de Paris enrichit son répertoire Le Ballet de l’Opéra de Paris a devancé le centenaire de la naissance, le 22 janvier, 1904 à Saint-Pétersbourg, de George Balanchine et a mis en cette fin d’année 2003 à son répertoire une nouvelle composition de ce chorégraphe russo-américain, les très romantiques Liebeslieder Walzer, sur des lieder de Brahms. Dès octobre, la plus ancienne compagnie de danse française, dont George Balanchine (mort en 1983 à 79 ans à New York) manqua de peu d’être le « patron » après la Deuxième Guerre mondiale, a rendu hommage à ce créateur et « actualisateur » de la danse académique au cours de trois programmes. Le dernier à l’affiche jusqu’au 3 janvier 2004 au Palais Garnier fait voisiner ces Liebeslieder Walzer (Les chants d’amour) avec trois pièces de deux Français, Michel Kelemenis et Angelin Prlejocaj, et une chorégraphie du courant postmoderne et sans musique de l’Américaine Trisha Brown. Avec l’entrée au répertoire de ces Liebeslieder Walzer, l’Opéra de Paris possède actuellement un fonds Balanchine de 28 chorégraphies, dont trois ont été créées pour le Ballet. La collaboration entre cette institution française et le chorégraphe remonte à 1947, année de la création pour Paris de son fameux Palais de cristal. Bien qu’installé à New York jusqu’en 1975, Balanchine résidait à l’Opéra de Paris, pour monter lui-même ses ballets. Entre 1978 et cette année, neuf de ses chorégraphies ont été remontées par ses disciples. Ainsi la chorégraphie des Liebeslieder Walzer de 1960, une composition de 55 minutes, a été répétée par les danseurs de l’opéra sous la conduite de Karin von Aroldingen et Sara Leland, deux anciennes étoiles du New York City Ballet (NYCB). Le décor peint avec lustres voulu par le chorégraphe est inspiré d’un salon rococo d’un pavillon de chasse du château de Nymphenburg à Munich. Un membre technique du NYCB est venu superviser les costumes de soirée (pour les hommes et les femmes, fin XIXe siècle), un autre les lumières. Sur le devant de la scène, à gauche, sont installés deux pianistes et les quatre solistes vocaux qui interprètent les valses au rythme desquels quatre couples évoluent. Dans une première partie, les danses, quasi de salon, se veulent le reflet de l’inconstance des sentiments. Dans la deuxième partie, les femmes qui ont chaussé des chaussons de pointe et endossé de longs tutus blancs « dévoilent davantage leurs âmes », et l’art de la danse est plus abstrait, plus épuré. Dans cet ensemble sur le thème de la valse le chorégraphe a, dit-on, voulu témoigner sa « vénération pour les femmes », tout en présentant « les aspects changeants de l’amour ». Les étoiles de l’Opéra de Paris et les espoirs maison jouent avec un évident plaisir, application et raffinement le jeu du maître russo-américain. Agenda new-yorkais New York rend hommage au fondateur de son City Ballet avec une année consacrée à l’héritage du maître, qui a introduit et développé le ballet en Amérique. Alors que s’ouvre une exposition sur le chorégraphe à la Public Library, le presque Tout-New York de la culture et de la politique, d’Isabella Rossellini, Iman Bowie, Donna Karan, Salman Rushdie, au maire Michael Bloomberg, s’est retrouvé à la maison mère, pour lancer « l’année Balanchine ». Au programme de ce gala, trois pièces, devenues des « standards » de la danse mais révélatrices surtout de l’éclectisme de l’homme, qui a légué un répertoire sans pareil. D’abord Symphony in C, un de ses ballets les plus populaires, créé en 1947 sur une musique de Bizet, pour l’Opéra de Paris, puis réadapté pour le City Ballet. Puis Bugaku, qui, monté en 1963 sur une musique de Toshiro Mayuzumi, s’inspirait de la tradition japonaise, centré sur un duo chargé d’érotisme, entraînant sur des rives audacieuses un public tout acquis à son travail. Et enfin Serenade, première œuvre que Balanchine, né à Saint-Pétersbourg, ait chorégraphiée, après son arrivée en 1933 aux États-Unis, pays sans tradition de ballet. Jusqu’à fin janvier, le City Ballet proposera 45 représentations de Casse-Noisette, version Balanchine bien sûr, avec plus de 150 musiciens et danseurs, dont 50 enfants. Un Casse-Noisette qu’il avait d’abord dansé, à 15 ans, pour le Ballet impérial de Russie, avant de le chorégraphier pour le City Ballet, en 1954, à une époque où cette œuvre était moins connue en Occident. Dès le 6 janvier, le Ballet proposera des œuvres de jeunesse ou des pièces réalisées pour Broadway et Hollywood, ou d’autres qui ont pu influencer le danseur. Une exposition multimédia lui est aussi consacrée à la Public Library, au cœur de Manhattan, jusqu’au 24 avril 2004. Le programme complet des activités célébrant le centenaire de Balanchine est disponible sur le site : http://www.balanchine.org/

« Le ballet est comme une rose, disait George Balanchine, un des plus grands chorégraphes de son temps. Il est beau et on l’admire mais on ne se demande pas ce qu’il signifie. » Dans le jardin bigarré de la danse du XXe siècle, Balanchine, qui est né et a vécu en Russie, a cultivé la rose américaine : exubérante, lumineuse, optimiste et triomphante. Il a révolutionné...