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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Air Massacre

Coup sur coup, les catastrophes aériennes de Cotonou et de Charm el-Cheikh ont fait surgir deux problèmes des plus préoccupants, en cette ère de démocratisation effrénée des voyages et loisirs : la fiabilité des vols charters et la responsabilité des autorités pour ce qui a trait à l’état de vol des avions exploités comme à la qualification réelle de leurs équipages. Non point évidemment que charter soit forcément synonyme de médiocrité ou, plus grave encore, de précarité et d’insécurité. La formule reste pain bénit pour les millions de voyageurs gagnant tous les ans, hiver comme été, des sites de tourisme ou de pèlerinage rarement desservis en direct par les vols réguliers : la programmation précise des vols et le coefficient de remplissage élevé permettant de pratiquer des tarifs qui défient toute concurrence. Tout se gâte cependant dès lors que le pire se mêle au meilleur et que l’on a affaire à des opérateurs douteux mettant en service des avions d’un autre âge, sommairement entretenus de surcroît. De telles lacunes ne sont pas toujours très apparentes hélas, et même un pays aussi strict en la matière que la France, cruellement endeuillée par l’accident de Charm el-Cheikh, s’est vu donner des leçons de rigueur par la Suisse, spécialiste mondial en la matière qui, elle, avait refusé le survol de son territoire à la compagnie égyptienne Flash. Mais parfois aussi ces lacunes sont si flagrantes, si criantes qu’il faudrait être sourd, d’une criminelle surdité, pour ne pas réagir face à l’inacceptable. Tel semble bien avoir été le cas dans la tragédie de Cotonou du 25 décembre 2003, qui a causé la mort de dizaines de nos compatriotes, et qui soulève une foule de questions qu’il serait trop long d’énumérer ici. Sans présumer bien sûr du cheminement de l’enquête actuellement menée par les plus hautes autorités judiciaires libanaises, on reste stupéfait devant la complaisance dont a pu longtemps bénéficier, à l’Aéroport de Beyrouth, la compagnie UTA. Il apparaît aujourd’hui – mais aujourd’hui seulement ! – que celle-ci est soupçonnée d’avoir maquillé au départ ses documents accréditifs, ce qui porte d’ailleurs le procureur de la République à saisir la totalité du dossier pour le soustraire, selon ses propres dires, à d’éventuels et tardifs rajouts ou amputations. Il est de même établi que le Boeing 727, vieux de quarante ans desservant Beyrouth, souffrait de défaillances suffisamment graves pour être constatées sur place et pas assez graves cependant, faut-il croire, pour que les autorités locales se donnent la peine d’alerter les organismes internationaux ou du moins les passagers potentiels. Pour couronner le tout, les organisateurs du vol Conakry-Cotonou-Beyrouth-Dubaï, au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité, pratiquaient couramment la surcharge de passagers et de fret : lequel fret ne se limitait peut-être pas à des lots de mangues et de papayes, puisqu’il est fortement question aussi de blanchiment d’argent par valises entières bourrées de billets de banque, qui passaient sans encombre le contrôle de l’AIB. Le plus préoccupant, le plus révoltant, est que toutes ces lacunes et irrégularités n’auraient pu se produire et se poursuivre jusqu’au désastre final si elles ne bénéficiaient de protections exceptionnellement agissantes. Ya-t-il une chance sur mille que celles-ci soient démasquées, que l’on ne se contente pas comme dans d’autres scandales de jeter quelque bouc émissaire en pâture à l’opinion ? De voler très haut sur la scène politique locale, aussi haut que leurs cercueils volants, suffit-il pour placer les protecteurs au-dessus de la loi ? L’ampleur de la tragédie exige pourtant que toute la lumière soit faite : car venant s’ajouter aux nombreuses pertes de vies humaines, le scandale rejaillit indirectement mais très effectivement sur l’excellente renommée des ailes libanaises, de même qu’il porte un grand préjudice aux très sérieuses et performantes agences de tourisme locales affrétant des charters pour transporter les vacanciers. Pour conclure, ce n’est pas pousser le bouchon trop loin que de rappeler que les malheureuses victimes ne rentraient pas d’un passionnant et coûteux safari-photo : c’était des expatriés partis chercher en terre africaine les moyens de subsistance que ne peut plus leur offrir leur pays arraisonné, en proie au marasme économique, ployant sous la dette publique et où prospère avec insolence néanmoins une caste politique en tous points privilégiée qui s’ingénie à boucher tous les horizons face aux jeunes Libanais. Le véritable drame c’est l’absence de toute politique de l’émigration, constatait amèrement il y a quelques jours un élu. Erreur, Monsieur le député : elle est bien là, « leur » politique. Et elle consiste très précisément à fabriquer des émigrés.
Coup sur coup, les catastrophes aériennes de Cotonou et de Charm el-Cheikh ont fait surgir deux problèmes des plus préoccupants, en cette ère de démocratisation effrénée des voyages et loisirs : la fiabilité des vols charters et la responsabilité des autorités pour ce qui a trait à l’état de vol des avions exploités comme à la qualification réelle de leurs équipages....