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Un rescapé et sept morts originaires de Aïntoura, Majdel Tarchich, Beit Chabab et Mouhaidthé Le blanc du deuil couvre les villages du Metn(photo)

Jeudi dernier, Mounir Bachour, originaire de Aïntoura (Metn), était au guichet de l’aéroport de Cotonou, prêt à prendre l’avion. Il était accompagné d’un autre ami originaire du même village, Ghassan Azar (enterré hier à Aïntoura), et de Jade Mokbel, originaire de Majdel Tarchich (Metn), dont le corps n’a toujours pas été retrouvé. Élie Karam (enterré hier à Beit Chabab) est venu les trouver : « Les Faddoul doivent rentrer ce soir au Liban pour un enterrement… », leur a-t-il dit.

Mounir, 31 ans, a cédé son billet. Pas les autres. Hier, il était à Beyrouth, toujours dans un état de choc. « C’est la volonté de Dieu », dit-il, ajoutant le regard perdu dans le vide : « Je ne sais pas si j’ai de la chance… ». Mounir avait chargé Jade Mokbel, son colocataire, de ses bagages car l’avion s’apprêtait à partir et il n’avait plus la possibilité de récupérer ses valises. Il avait décidé, en cédant son billet, de prendre le vol Air France Cotonou-Paris-Beyrouth le lendemain. Quand l’avion s’est écrasé, Mounir n’a pas été à la plage pour prendre part aux opérations de secours. Il n’est plus sorti de chez lui, sauf pour prendre, 24 heures plus tard, le vol qui devait le ramener au Liban.
Hier, Mounir ne s’est pas rendu dans son village ou à Beit Chabab pour prendre part aux funérailles de ses amis. Il n’a pas encore rendu visite aux Mokbel. « Je sais que je dois le faire », dit-il, marquant une pause.
Et il enchaîne : « Élie Karam s’est marié récemment, c’est la gentillesse incarnée. Il était toujours souriant, un bon vivant. Jade Mokbel est un enfant, il n’avait que 23 ans. Que dire de Ghassan Azar ? » Puis, il parle des autres victimes. Ses voisins dans l’immeuble, ses collègues, qui ont péri dans le crash. Il les avait tous vus, à l’aéroport juste avant de partir. Vendredi soir, en allant à l’aérogare de Cotonou pour prendre le vol d’Air France, il ne pouvait toujours pas concevoir que tous ceux qui avaient pris le vol de UTA pour Beyrouth étaient à jamais partis.
Naccache. La maison de Jade Mokbel, originaire de Majdel Tarchich. Le corps du jeune homme de 23 ans n’a pas été rapatrié dimanche soir avec ceux des autres victimes du crash. C’est son oncle, Kanadi, qui raconte la terrible nuit. Dimanche soir, il s’est rendu dans trois hôpitaux : Makassed, Bahnam et al-Rassoul al-Aazam. Il voulait encore aller à la morgue de l’hôpital public de Baabda, mais les responsables l’ont informé que le corps qui n’est toujours pas identifié est celui d’une fillette.
Dimanche soir donc et jusqu’à lundi à l’aube, accompagné du dentiste de Jade (pour aider à l’identification), Kanadi Mokbel a vu huit corps à la morgue, qui étaient toujours non identifiés.
« J’étais soldat, j’ai vécu la guerre du Liban, je n’ai jamais vu de ma vie des corps dans un tel état », dit-il.
Waël, le frère de Jade, vivant à Burkina Faso, est arrivé au Liban à bord de l’avion qui transportait les blessés et la délégation officielle. « Quand j’ai su que l’avion s’est écrasé, j’ai emprunté le premier vol Ouagadougou-Lomé. J’ai pris ensuite un taxi de la capitale du Togo jusqu’à Cotonou », raconte-t-il.
« On n’a pas réussi à identifier mon frère au Bénin. Ils avaient repêché un corps méconnaissable, et, après avoir procédé au test des empreintes digitales, il s’est avéré que ce n’était pas Jade », dit-il, soulignant que le corps était celui d’un casque bleu des Nations unies, en mission au Sierra Leone. Et d’enchaîner : « Quinze Casques bleus avaient pris l’avion à partir de Freetown. Personne ne le savait. C’est bien plus tard, quand leurs familles ont téléphoné, que l’on a su qu’ils avaient emprunté le vol. »
L’oncle du jeune homme reprend la parole : « C’est un avion-bus sans manifeste, sans liste de passagers », dit-il, soulignant qu’il voulait se rendre dimanche soir à Cotonou dans l’avion que la MEA avait mis à la disposition des familles des victimes toujours non identifiées, mais qu’il avait raté le vol.
Waël parle de son frère : « Il tenait à rentrer au Liban pour les fêtes, pour voir notre neveu qui vient de naître et qui porte son prénom. »

Le drame des Faddoul
et des Chayeb
Mouhaidthé, Beit Chabab et Aïntoura, dans le Metn. Ici, la couleur du deuil est blanche. Des rubans, des fleurs et des cercueils blancs. Une couleur froide, glacée, comme la neige qui couvre la montagne en face, Sannine.
À Notre-Dame de Mouhaidthé, on prépare l’enterrement de Ghassan Chayeb, 56 ans. Chayeb, un notable du village, possédait plusieurs entreprises en Afrique. Pour Noël, il avait décidé de se rendre avec son épouse Huguette et sa fille Maya à Cotonou, afin de passer les fêtes avec sa fille aînée Rita (23 ans), son gendre Mickaël Zouheir Faddoul (26 ans) et ses petits-enfants.
Le jour de Noël, la famille Faddoul établie en Afrique apprend la mort, la veille à Beit Chabab, de Farouk et de son épouse Marie. Farouk est l’oncle paternel de Mickaël. Et ce dernier veut prendre part à l’enterrement.
Jacqueline, la mère de Mickaël, Rita son épouse et Ghassan Chayeb, beau-père de Mickaël, décident de prendre, à la dernière minute, le vol de UTA. Ils périront tous dans le crash.
Pensant qu’elle partait uniquement pour quelques jours, Rita avait laissé ses enfants Antoine Zouheir (5 ans) et Maria Rebecca (2 ans et demi) à la charge de sa mère Huguette, venue à Cotonou passer les vacances de fin d’année. Huguette Chayeb et Zouheir Faddoul – qui s’est rendu à Cotonou dès qu’il a appris la nouvelle – sont rentrés à Beyrouth avec leurs petits-enfants, dimanche soir à bord de l’avion militaire français qui rapatriait les 79 dépouilles mortelles.
Mouhaidthé a enterré hier Ghassan Chayeb. Aujourd’hui, les funérailles de Mickaël Faddoul et de son épouse Rita Chayeb Faddoul se tiendront en l’église Saint-Antoine de Beit Chabab. Zouheir Faddoul, un grand entrepreneur libanais en Afrique de l’Ouest, a publié hier un communiqué appelant les autorités libanaises à prendre part à l’enquête, se demandant comment des hommes d’affaires peuvent mettre en danger des vies humaines dans le but d’effectuer des profits immédiats.
Zouheir Faddoul accuse : « Quelques responsables savaient que ces avions ne sont pas soumis à des contrôles techniques ou encore aux réglementations en vigueur. Ils savaient aussi que les pilotes de ces appareils ne suivaient pas les stages de formation obligatoires aux gens de la profession », a-t-il souligné.
Hier, à Beit Chabab, les cloches de Notre-Dame de la Forêt ont sonné à plusieurs reprises le glas, à l’arrivée de la dépouille d’Élie Karam et lors de son enterrement. Élie Karam, 28 ans, était marié. Il travaillait à Cotonou auprès de l’une des entreprises des Faddoul. Il ne devait pas rentrer de sitôt au Liban. Il était venu en vacances il y a cinq mois afin de passer du temps auprès de sa mère, son frère et ses deux sœurs.
Jeudi à Cotonou, il avait décidé à la dernière minute de prendre le vol 141 de UTA, accompagnant ainsi son ami Mickaël.

« C’était un massacre »
Deux cercueils, recouverts des drapeaux du Liban et du PSNS, reposaient hier dans le salon de l’église Mar Nohra à Aïntoura (Metn). Ghassan Azar avait 35 ans. Une semaine avant le crash, il avait réservé sa place à bord du vol d’Air France Cotonou-Paris-Beyrouth. Quelques jours avant l’accident, il avait décidé de prendre le vol direct Cotonou-Beyrouth de UTA, ne voulant pas faire l’escale de Paris et passer ainsi 18 heures entre les avions et les aéroports. Abdo Azar, soixante-dix ans, était malade. Il devait rentrer au Liban pour se faire soigner, ayant déjà réservé sa place à l’Hôpital américain de Beyrouth.
Une dizaine de Libanais de Cotonou sont rentrés entre vendredi et dimanche à Aïntoura pour prendre part aux funérailles.
Michel Azar, un proche des deux victimes, raconte : « Nous les avons accompagnés à l’aéroport, nous sommes rentrés à la maison et puis on nous a téléphoné, dix minutes plus tard, pour nous informer du crash, et nous sommes accourus à la plage. » Il marque une pause, regarde dans le vide et indique : « La scène ressemblait aux images des massacres de Sabra et Chatila. » Puis il s’indigne : « C’est plus tard que nous avons su ; l’avion n’était pas autorisé à transporter des passagers. C’était un cargo. Un Boeing 727 datant des années soixante, interdit en Europe depuis 1982. » Et il enchaîne : « Les hommes d’affaires libanais sont des voyous. »
Michel, qui, à l’instar des Libanais de Cotonou, a pris part aux secours indique encore : « En dix minutes ils n’étaient plus là. On les a embrassés pour leur dire au revoir, quelques instants plus tard, nous étions dans l’eau en train de les chercher entre les débris. » « Je ne parle pas uniquement de Ghassan et de Abdo, originaires de Aïntoura, mais de tous les Libanais de Cotonou qui ont péri dans l’accident », ajoute-t-il.
Issam Baaklini a lui aussi pris part aux secours, plongeant (avant l’arrivée des commandos de l’armée libanaise) comme beaucoup d’autres dans les eaux de l’Atlantique, à la recherche de ses compatriotes.
Comme Michel Azar, il est toujours en état de choc. Quand on lui pose des questions sur le crash de Cotonou et la situation des Libanais au Bénin, il baisse les yeux, arrivant à peine à retenir son émotion. « Quand ils ont appris la nouvelle, beaucoup de Libanais sont venus en voiture de Lomé (Togo) pour prendre part aux recherches. » « C’était un massacre », dit-il. « Jusqu’à présent, il y a des corps qui n’ont pas été retrouvés, d’autres n’ont pas été identifiés », indique-t-il.
Et comme Michel Azar, il précise : « Quand je parle des victimes, je ne pense pas uniquement à celles originaires de Aïntoura, mais à tous ces Libanais qui étaient nos voisins, nos collègues, nos amis. Nous les avions vus tous à l’aéroport, avant le départ. Ils parlaient, souriaient, portaient leurs valises… On les a ramassés sans vie au bord de la mer… pour les rapatrier dans des cercueils… » « Ce retour n’est pas facile, ni pour leurs familles ni pour nous », conclut-il.
À 15 heures, à Aïntoura, la place du village était noire de monde… Ce n’est pas la première fois que ce village du Metn accueillait ses enfants qui travaillent et meurent en Afrique.
Hier, le Liban entier enterrait ses victimes. Le Metn, le Akkar, le Liban-Nord, le Liban-Sud, Tripoli, Baalbeck, Beyrouth…
Le Liban cessera-t-il un jour d’accueillir de cette façon les enfants du pays qui partent pour l’Afrique, l’Arabie saoudite, ou ailleurs, à la recherche d’un meilleur avenir... et qui rentrent enfin, dans leurs villages, portés à bout de bras.

Patricia KHODER
Jeudi dernier, Mounir Bachour, originaire de Aïntoura (Metn), était au guichet de l’aéroport de Cotonou, prêt à prendre l’avion. Il était accompagné d’un autre ami originaire du même village, Ghassan Azar (enterré hier à Aïntoura), et de Jade Mokbel, originaire de Majdel Tarchich (Metn), dont le corps n’a toujours pas été retrouvé. Élie Karam (enterré hier à...