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Les rescapés racontent le cauchemar : un bruit sourd, deux secousses et puis la mer

Ce sont des rescapés. Ils ont vu la mort en face et ils ont eu la chance de survivre au crash du vol 141 de l’UTA Cotonou-Beyrouth. Propulsés par le choc du crash à la surface de l’eau, ils ont nagé jusqu’au rivage, parmi les débris de l’avion, qui devait les ramener à Beyrouth.
« S’ils ont survécu à la catastrophe et qu’ils sont déjà au Liban, c’est que leurs jours ne sont plus en danger ». C’est ainsi qu’un chirurgien de l’hôpital de l’Université américaine de Beyrouth rassure, sans donner de plus amples détails, ceux qui viennent s’enquérir de la santé des survivants du crash aérien de Cotonou.
Samedi en soirée, deux d’entre eux demeuraient aux soins intensifs, trois avaient quitté l’hôpital, et sept étaient toujours hospitalisés. Parmi ces derniers, la famille Babokian, originaire de Anjar. Hratch, Isabelle et leur fils Jacques, trois ans et demi. Ils souffrent, comme tous les autres survivants, de diverses blessures, fractures et contusions au cou, à la tête et au front.
C’est que, selon le témoignage de plusieurs blessés, quand l’avion a percuté le mur d’un pavillon de l’aéroport de Cotonou, les passagers se sont heurtés aux sièges avec leur front, leur tête et leur cou, certains perdant connaissance.
Maria, huit mois, la fille du couple Babokian, n’a pas survécu à la catastrophe. Isabelle n’a pas encore appris la triste nouvelle.
Étendu sur son lit d’hôpital, une minerve autour du cou et plusieurs œdèmes au front, Hratch raconte l’histoire :
Toute la famille était assise dans la partie arrière de l’avion. Le pilote n’a pas réussi sa première tentative de décollage. « Ensuite, au deuxième décollage, quand l’avion a percuté l’un des murs de l’aéroport, on a entendu un bruit sourd et on a senti une forte secousse, on a cru que l’un des moteurs avait éclaté. L’avion s’est mis à trembler puis on a senti une deuxième secousse et on n’a plus vu que du blanc ; on était dans la mer », indique-t-il. Et de souligner encore que « l’avion a percuté deux fois le sol avant de s’écraser dans la mer ».
Le jeune homme, commerçant à Cotonou, qui rentrait avec sa famille pour passer dix jours de vacances au Liban, poursuit son récit : « À la première secousse, ma femme a perdu connaissance. Moi, j’ai vu l’avion se disloquer au-dessus de l’océan. Puis, une fois sous l’eau, j’ai détaché ma ceinture de sécurité et j’ai fait surface. J’ai vu le cockpit en train de flotter devant moi. Le rivage n’était pas loin. »
Hratch parle de son fils, probablement propulsé à la surface de l’eau par le choc du crash. « J’ai vu une forme, je ne savais pas si c’était un enfant, une valise ou un débris de l’avion, qui flottait à côté de moi. C’était Jacques mon fils, je l’ai pris dans mes bras, j’ai nagé jusqu’au rivage. Puis, il s’est mis à pleurer. Il avait probablement avalé de l’eau », dit-il.
Le jeune homme parle également de son épouse, qui était à moitié inconsciente et qui nageait à côté de lui.
« Nous étions parmi les premiers à arriver sur le rivage. On a attendu plus de quinze minutes pour les premiers secours », relève-t-il.
Abdelrahman Walid Abou Steité a quatorze ans. Il empruntait seul le vol Cotonou-Beyrouth. Il souffre de contusions et de blessures au genou et d’œdèmes au front et à la tête, à l’instar de tous les autres survivants du crash. Le garçon, qui a sa mère et ses deux grand-mères à son chevet, se remet bien de l’accident.
« On ne voulait pas me rapatrier à bord de l’avion de la MEA, parce que je suis palestinien », raconte-t-il en souriant, soulignant qu’il « est né et qu’il habite à Saïda ». « Il y avait un autre réfugié palestinien comme moi et un Syrien qu’on a fini par embarquer », poursuit-il.
Abdelrahman, qui est en classe de quatrième, séjournait depuis deux mois et demi chez des amis à sa famille établis à Cotonou. L’adolescent était assis sur un strapontin, non loin de la porte arrière, par manque de place.
« Avant le décollage, j’ai entendu plusieurs passagers se demander comment l’avion pourrait décoller alors qu’il a huit tonnes de surcharge ; on ne parlait que de ça », raconte-t-il, indiquant que « tout le monde savait que l’avion était surchargé ». Et comme les autres passagers, il parle de deux secousses. Il évoque aussi un premier décollage qui n’a pas réussi.
« Quand il a essayé de décoller pour la deuxième fois, le pilote a dépassé les lignes rouges de la piste avant de percuter le mur du bâtiment qui abrite la tour de contrôle de l’aéroport de Cotonou », relève Abelrahman. « Puis l’appareil s’est mis à trembler. Nous étions dans l’eau. Le siège où j’étais assis s’est cassé en deux, le dos du siège a disparu mais j’étais toujours attaché, avec la ceinture de sécurité, à la base du siège. Sous le choc du crash, j’ai été propulsé à la surface de l’eau », raconte-t-il. « Les débris du siège auquel j’étais toujours accroché m’ont servi de flotteurs, me sauvant la vie. J’étais à 100 mètres du rivage et j’ai utilisé mes bras pour ramer », ajoute-t-il. « Puis je suis arrivé à la plage, j’ai attendu plus d’un quart d’heure les secours. Je n’ai pas perdu connaissance, c’est peut-être pour ça que j’ai survécu », tente-t-il d’expliquer.

L’instinct de survie
Khodr Farhat est originaire de Jdita, dans la Békaa. Il est marié et père de quatre enfants. Commerçant à Cotonou depuis de longues années, il a l’habitude de rentrer au Liban une fois par an pour voir sa famille.
Le quadragénaire souffre de contusions, de blessures et de fractures et a beaucoup de mal à parler. Comment a-t-il réussi à nager alors qu’il était dans cet état ? Khodr répond par une phrase toute simple : « L’instinct de survie. »
À l’instar des autres rescapés, il raconte que l’avion a percuté le mur du bâtiment qui longe la tour de contrôle et le sol ensuite avant de s’écraser en mer.
« J’ai été propulsé à la surface. J’ai vu le rivage. Je nageais, chaque dix mètres je me reposais un peu pour souffler. Je n’arrivais plus à respirer. J’ai cru mourir, à un moment. Mais il fallait que je nage encore pour atteindre le rivage », indique Khodr. Arrivé sur la plage, le rescapé voulait aider d’autres victimes à rejoindre le rivage. Mais il n’avait plus la force de se jeter à l’eau. Il a donc attendu, regardant les Libanais du Bénin qui se sont précipités à la plage. Il croise son frère, Chahine, habitant Cotonou, qui était sous le choc et qui le cherchait entre les cadavres. Khodr s’est approché de lui, prononçant une seule et unique phrase : « Je suis vivant. »
Ali Lakkis est originaire de Jouaya (Liban-Sud). Il a 23 ans. Il rentrait de Conakry pour se faire soigner à Beyrouth de la malaria. Ali voyageait en business class. « À la première secousse, quand l’avion a percuté le mur de la tour de contrôle, j’ai été propulsé de mon siège contre la paroi du cockpit, puis contre la porte des passagers. » Et le rescapé parle en détail, des minutes durant, d’un moment qui n’a duré probablement que quelques secondes.
« Je me suis accroché de toutes mes forces à la porte. Puis la porte s’est détachée, l’avion s’éloignait de moi. J’ai vu la mer au-dessous de moi. J’ai lâché la porte et j’ai plongé », dit-il marquant une pause. « Ma dent s’est cassée à cause de la secousse à l’intérieur de l’avion. J’ai des blessures au dos... J’ai plongé, puis j’ai regardé le ciel, j’ai vu l’avion en train de tomber. Les blessures au dos ? Ce sont quelques débris de l’appareil qui se sont abattus sur mon corps », dit-il. « Tout était en train de voler pour s’abattre dans la mer, autour de moi », poursuit-il. « J’ai nagé de toutes mes forces jusqu’au rivage. Je suis arrivé à bout de souffle. J’ai voulu me lever pour sauver les personnes à bord mais j’étais incapable de bouger. J’ai donc attendu les secours », ajoute-t-il. « Je suis resté au bord de la mer, à regarder les débris qui flottaient en face de moi. L’avion était grand, il transportait du monde... En quelques instants, il n’en restait plus rien », indique-t-il.
Ali marque une pause et relève d’une voix à peine audible, les yeux pleins de larmes : « Ma cousine germaine et ses deux enfants étaient avec moi, à bord de l’avion. »
Les quelques rescapés du vol 141 de l’UTA à destination de Beyrouth parlent, tous, de vies que l’on aurait pu sauver en débouclant les ceintures de sécurité ou en assurant des gilets de sauvetage. Ils évoquent des personnes qui ont été propulsées à la surface de l’eau, tout à fait comme eux, mais qui n’ont probablement pas eu la force de nager jusqu’au rivage. Ils parlent également de quatre blessés libanais arrivés vivants dans les hôpitaux de Cotonou et qui ont péri, probablement par manque de soins efficaces.
Toujours en état de choc, ils n’évoquent pas les cris des passagers qui résonnent encore dans leur tête ou les scènes atroces qu’ils ont vues avant d’atteindre le rivage, alors qu’ils luttaient, eux, pour survivre. Ils ont vu la mort en face et ils ont survécu. Ils sont condamnés désormais à vivre avec cette réalité.

Patricia KHODER
Ce sont des rescapés. Ils ont vu la mort en face et ils ont eu la chance de survivre au crash du vol 141 de l’UTA Cotonou-Beyrouth. Propulsés par le choc du crash à la surface de l’eau, ils ont nagé jusqu’au rivage, parmi les débris de l’avion, qui devait les ramener à Beyrouth.« S’ils ont survécu à la catastrophe et qu’ils sont déjà au Liban, c’est que leurs...