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Face à la République en deuil, 79 ambulances et autant de tragédies défilent...(photo)

La tristesse est aussi lourde qu’une chape de plomb. Sur le tarmac généralement réservé aux avions des VIP, toute la République libanaise attend, pour rendre un dernier hommage aux 79 victimes, transportées par l’avion militaire français, mortes dans le crash du Bœing à l’aéroport du Bénin. Le froid glace les os et la peine fige les cœurs. La pluie s’insinue dans les vêtements et se mêle aux larmes. Le Liban officiel est en deuil et pleure sous les projecteurs, mais les familles des victimes, elles, le font en silence, chez elles ; les organisateurs ayant préféré ne pas les laisser entrer à l’AIB, pour éviter les débordements.
C’est l’une des scènes les plus poignantes vécues à l’AIB. Une fois n’est pas coutume : journalistes, agents de sécurité, soldats, employés de l’aéroport, dignitaires religieux et responsables n’ont pas le cœur à plaisanter, ni même à prononcer la moindre parole. Les projecteurs, nombreux, conditions de sécurité aérienne obligent, ne parviennent pas à alléger l’atmosphère. Au contraire, la lumière crue, dans cette nuit noire et tourmentée, semble éclairer des masques, encore hébétés par le choc. Les trois présidents, les ministres, les députés, les cheikhs, l’évêque maronite de Beyrouth et les autres officiels guettent, au bout de la piste, les 79 ambulances arrivant dans un silence pesant, flashers allumés, escortées par des jeeps des FSI, noires et blanches.
Une fois devant les officiels, elles ne s’arrêtent même pas, poursuivant leur chemin vers les destinations finales de leurs passagers, mais elles roulent lentement alors que résonne la sonnerie aux morts. Les officiels suivent des yeux les ambulances jusqu’à ce qu’elles disparaissent hors de l’enceinte de l’AIB. Pour le Liban, le véritable deuil commence, avec son cortège de désespoir, de révolte et de frustration.
Quatre jours après la tragédie, nul ne parvient encore à en comprendre la raison. Appât du gain, irresponsabilité, inconscience ou simple fatalité ? Toutes les hypothèses sont émises, et pendant la longue attente précédant l’arrivée du Transall français chargé de transporter les 79 dépouilles, les discussions vont bon train, même si le ministre des Transports, M. Négib Mikati, tout juste rentré de Londres, préfère rester discret, se contentant d’annoncer une conférence de presse pour les prochaines 48h.
Le ministre de l’Information, M. Michel Samaha, qui s’occupe de gérer les activités des nombreux journalistes présents sur les lieux, est visiblement accablé. « Il n’y a pas de mot pour exprimer ce drame. Contentons-nous aujourd’hui de panser nos plaies. Demain, nous nous occuperons de l’enquête. J’espère qu’elle sera menée jusqu’au bout. Il le faut, pour le Liban tout entier. »
Mais au sein de la foule qui attend l’arrivée de l’avion, les mêmes questions sont sur toutes les lèvres. Comment une telle tragédie a-t-elle pu se produire ? Qui en est responsable ? Certains laissent entendre que le propriétaire de l’avion, M. Darwiche Kazem, originaire du village de Wadi Gilo, au Liban-Sud, bénéficierait de sérieux appuis politiques, qui lui auraient permis d’utiliser son avion, bien qu’il ne soit pas conforme aux normes de sécurité. D’autres s’étonnent de la disparition du pilote libyen, qui a quitté l’hôpital de Cotonou dans la plus grande discrétion, alors qu’il devait savoir plus que quiconque si son avion avait une grave surcharge. L’ambassade de Libye au Bénin craignait-elle une réaction de la part des proches des victimes, ou bien préférait-on faire disparaître un témoin gênant, voire un complice ? Erreur humaine, incident technique, ou les deux ? Le mystère reste entier et la question cruciale revient sans cesse : si l’Aviation civile avait refusé de donner une licence au Bœing 727, comment celui-ci pouvait-il être attendu à Beyrouth, le 25 décembre ? Le drame est loin d’être élucidé, même si les hommes grenouilles de l’armée libanaise, envoyés au Bénin par le Liban afin d’essayer de dégager les corps enfouis dans la mer, affirment aux journalistes avoir retrouvé les deux boîtes noires de l’avion. Ce qui devrait permettre d’accélérer l’enquête.
Au salon d’honneur de l’AIB, l’attente traîne en longueur, et les responsables venus bien à l’avance s’occupent comme ils peuvent. Ceux qui faisaient partie de la délégation officielle qui s’est rendue au Bénin avec le ministre Jean Obeid rapportent des faits affolants. « Par rapport à ce pays, le Liban est une grande puissance, raconte l’un d’eux. Nous avons pu ainsi mesurer l’efficacité de nos hommes grenouilles, de nos équipes médicales et de nos structures. La situation, là-bas, est indescriptible. Certains nous ont déclaré que les billets d’avion se vendaient sur le tarmac et que l’amende pour un surplus de bagages était payé directement à l’employé, sans reçu ni autre document. » D’autres relatent avec horreur les corps dépouillés de leurs vêtements et de leurs biens. Selon certaines informations, la plupart des passagers transportaient beaucoup d’argent liquide avec eux (on parle de deux millions de dollars). Évidemment tout a disparu. D’autres évoquent cette jeune femme de 34 ans, Christina Bitar, morte le jour de son anniversaire, avec ses deux enfants, alors qu’ils rentraient tous définitivement au pays. D’autres encore parlent de ce jeune homme de Aïntoura, qui a cédé son billet à la dernière minute à M. Faddoul de Beit Chabab et qui a ainsi échappé à la mort par miracle.
Tout le monde s’étend sur la dureté du destin, sur le monde qui devient de plus en plus injuste, sur l’absence de logique de la fatalité. Et le temps passe. Le Transall atterrit à 20h50. Mais il faut une heure aux équipes pour décharger les 79 dépouilles, placées à trois dans chaque conteneur. Il faut aussi enlever les cercueils blindés qui resteront à bord de l’avion, pour dégager les cercueils de bois qui iront s’incruster dans la terre libanaise.
Le PDG de la MEA, M. Mohammed el-Hout, très discret, annonce toutefois qu’un avion de la MEA est parti en début de soirée pour Cotonou, à la demande des autorités libanaises, avec à son bord les proches des victimes dont les dépouilles n’ont pas encore été identifiées. Il devrait rentrer aujourd’hui, et alors la boucle sera bouclée. Il ne restera plus qu’à enterrer les morts et qu’à essayer de comprendre pourquoi le sort a frappé si durement des Libanais qui souhaitaient rentrer chez eux le plus rapidement possible, pour retrouver leurs familles dans la joie et la tendresse, alors que seule la mort était au rendez-vous.
Scarlett HADDAD
La tristesse est aussi lourde qu’une chape de plomb. Sur le tarmac généralement réservé aux avions des VIP, toute la République libanaise attend, pour rendre un dernier hommage aux 79 victimes, transportées par l’avion militaire français, mortes dans le crash du Bœing à l’aéroport du Bénin. Le froid glace les os et la peine fige les cœurs. La pluie s’insinue dans...