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CONFÉRENCE - La pensée arabe a clôturé son congrès par un débat avec le président algérien Bouteflika : Si nous ne procédons pas aux réformes, elles nous seront imposées(photo)

Lorsque les dirigeants se mettent à parler comme les intellectuels ou comme le peuple, c’est que quelque chose ne va pas au sein du régime et de la société. Or, tous les hommes de pouvoir conviés au second congrès de la pensée arabe, qui s’est tenu à Beyrouth au cours des trois derniers jours, ont pratiquement établi le même constat : le monde arabo-musulman subit un assaut sans précédent et ses institutions ne sont pas à la hauteur des défis à relever, comme si eux, à l’instar du commun des mortels, ne disposaient d’aucun pouvoir pour faire changer les choses. Face à ce climat général, le président algérien Abdel Aziz Bouteflika, invité de marque pour clôturer le congrès, a dû modifier son discours initial, qu’il a lui-même qualifié d’académique, pour confier à l’assistance, sur le ton de la confidence, ses désillusions, ses efforts et malgré tout ses espoirs. Plus qu’un moment d’émotion, un instant de vérité.
Peu d’officiels libanais ont fait le déplacement jusqu’au Phoenicia pour écouter la conférence-débat du président algérien. Les ministres Assem Kanso, Ali Abdallah et Fouad Siniora, quelques députés, à leur tête Mme Bahia Hariri, présidente du comité organisateur du congrès, mais beaucoup de journalistes, dont M. Ghassan Tuéni, auquel le président algérien a rendu hommage pour son Siècle pour rien (coécrit avec Gérard Khoury et Jean Lacouture), des intellectuels et des jeunes. Tout ce monde appréciait à sa juste valeur le fait qu’un chef d’État en exercice, à la veille d’une campagne présidentielle, fasse le déplacement pour passer 90 minutes avec des personnes plus ou moins anonymes, afin de parler de l’avenir du monde arabe. Car, c’est bien pour cela que le président algérien est venu au Liban pour moins de 24 heures, sur l’invitation de l’émir Khaled el-Fayçal, fondateur de la « pensée arabe ».
Pour s’adresser à cette assistance choisie, M. Abdel Aziz Bouteflika a retrouvé la simplicité de sa jeunesse militante, tenant un discours sans complaisance, prononcé sans l’emphase chère aux Arabes. Mais, nouveau signe des temps, ce nationaliste convaincu a commencé son allocution par ce qui est devenu le traditionnel « bismillah al rahmane al rahim ».

« L’avenir est la suite
logique du présent »
Présenté par le PDG du quotidien as-Safir, M. Talal Selmane, qui a d’ailleurs raconté un incident du passé militant du président algérien, M. Bouteflika a commencé par préciser que l’avenir est la suite logique du présent. Or, comme celui-ci n’est pas bon, les lendemains ne s’annoncent pas sous un jour favorable. Le président a repris le rapport du Pnud pour l’année 2002-2003, établi par des chercheurs intègres et désintéressés, a-t-il affirmé, pour déclarer que le monde arabe est loin d’être riche. Les PNB de tous les pays arabes réunis égalent ceux d’un seul pays riche. Avec 284 millions de personnes, il exporte moins que la Finlande qui compte 5 millions d’habitants. M. Bouteflika a donné d’autres chiffres encore tout aussi effrayants, ajoutant qu’on ne peut plus dissimuler cette réalité, aussi blessante soit-elle, derrière des slogans.
Selon lui, trois raisons ont entravé le développement dans le monde arabe : l’absence de liberté d’expression, le manque d’accès au savoir et la mauvaise condition de la femme. Se référant au titre de l’ouvrage coécrit par MM. Tuéni, Khoury et Lacouture, il s’est demandé : « Pourquoi avons-nous vécu un siècle pour rien ? » Le président algérien est convaincu que ce triste bilan n’est pas dû à des considérations économiques, militaires ou politiques, mais « à notre vision rigide de la religion, de la vie et du monde ». « Nous avons cru être riches, a-t-il ajouté, et nous sommes devenus des consommateurs parce qu’il est plus facile d’acheter que de fabriquer. De nombreux intellectuels arabes avaient tiré la sonnette d’alarme, mais les forces traditionnelles et réactionnaires, ainsi que celles qui se complaisent dans un passé glorieux ont été les plus fortes (...). Le changement est devenu une nécessité absolue. Si nous ne procédons pas nous-mêmes aux réformes, celles-ci nous seront imposées. Nous devons nous réconcilier avec les valeurs internationales en cessant de voir les choses sous l’angle purement religieux. Je vous parle comme un citoyen arabe, non en chef d’État. »

« Une mauvaise
compréhension de la religion »
Le président algérien a donné l’exemple de la Malaisie, qui, selon lui, a réussi à trouver un équilibre entre le respect des traditions et l’ouverture au monde et à la modernité, montrant ainsi que le mal n’est pas dans l’islam, « mais dans notre mauvaise compréhension de la religion et notre peur de toute innovation ».
Comme c’était prévisible, très peu de personnes ont pu poser des questions, et elles étaient naturellement choisies de manière à assurer un certain équilibre arabe : un Tunisien, un Algérien, un Marocain, un Libanais et un Koweïtien.
M. Bouteflika a ainsi rappelé les épreuves traversées par le Liban et l’Algérie, dans la quasi-indifférence des autres pays arabes, quand il ne s’agissait pas de faire des commentaires ironiques.
Selon lui, la voie du salut résiderait dans un dialogue permanent entre les intellectuels et les gens du pouvoir. Interrogé sur le résultat de sa campagne contre le terrorisme, M. Bouteflika a déclaré qu’après une longue période d’éloignement volontaire du monde politique, il est revenu sur la scène, dans un climat de guerre civile, entre un groupe qui comprenait la religion à sa manière et utilisait la violence comme seul moyen de dialogue, d’une part, et la société civile, d’autre part. « J’ai voulu regrouper tout ce monde sous un titre unique : l’entente nationale. Je n’ai peut-être pas gagné la sympathie des deux bords, mais la situation de la sécurité s’est nettement améliorée et j’ai la conscience tranquille. De plus, aujourd’hui, tout le monde est contre l’extrémisme. »
À 20h40, les responsables de la pensée arabe ont levé la séance. Le congrès de trois jours s’est terminé, sans résolutions, ni communiqué final. C’était l’idée générale de cette association : fournir un espace et une occasion de dialogue, sans se laisser enfermer dans les contraintes traditionnelles.

Scarlett HADDAD
Lorsque les dirigeants se mettent à parler comme les intellectuels ou comme le peuple, c’est que quelque chose ne va pas au sein du régime et de la société. Or, tous les hommes de pouvoir conviés au second congrès de la pensée arabe, qui s’est tenu à Beyrouth au cours des trois derniers jours, ont pratiquement établi le même constat : le monde arabo-musulman subit un...