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Rencontre - La petite fille qui rêvait d’être riche a fait trembler le monde bancaire au Liban Rana Koleilat : Adnane Abou Ayache devrait faire un examen de conscience(PHOTO)

C’est plus qu’un personnage, c’est un véritable phénomène. Dans son triplex hollywoodien (décoré par Roula Soueid, au temps où elles étaient encore amies), sévèrement gardé par des malabars à l’air peu commode, Rana Koleilat vit comme elle l’a toujours rêvé, en star. À elle seule, elle remplit l’espace et donne l’impression qu’il y a foule, tant elle est exubérante et drôle. Mais il ne doit pas être bon de se frotter à elle. Sous ses airs de petite fille émerveillée, elle peut se montrer féroce, surtout avec ceux qui, selon elle, l’ont trahie. Malgré les malheurs qui la frappent actuellement, Rana Koleilat reste convaincue que la page noire est terminée. D’ailleurs, même dans sa cellule, à la prison des femmes, elle n’a jamais cessé de croire en sa bonne étoile. Portrait d’une battante qui a pris son destin en main.
Vêtue de blanc de la tête aux pieds (mais pas n’importe quel blanc : un ensemble pantalon Vuitton, avec les bottines et la casquette assorties), Rana Koleilat se veut une colombe de la paix, une paix qu’elle a pourtant payée cher, avec toutes les mésaventures qui lui sont tombées récemment sur la tête. Mais rien ne saurait lui faire perdre son magifique optimisme.
Le sourire et la trentaine épanouis, elle a beaucoup plus de charme que sur ses photos stéréotypées, et surtout, elle a ce don de faire aussitôt croire à son interlocuteur qu’il est une vieille connaissance, voire un intime. D’ailleurs, malgré ses millions et sa carrière fulgurante, Rana Koleilat ne se donne pas des airs de grande dame. Elle a toujours son accent beyrouthin typique et un langage bien peu policé.
La première question qui s’impose porte évidemment sur la casquette qui ne semble plus la quitter et qui lui donne une allure assez coquine. Rana Koleilat éclate de rire et répond avec simplicité : « Quant je n’ai pas le temps de faire mes cheveux, je mets la casquette. C’est pourquoi lorsque je devais me présenter chez le juge, j’en portais toujours une. En temps normal, j’arrange mes cheveux tous les jours. » Le coiffeur vient bien entendu chez elle, comme la maquilleuse et les autres membres de son équipe rapprochée. Une vraie vie de star ? Elle rit encore. « Je suis une femme ordinaire, s’empresse-t-elle de préciser. J’ai juste un peu plus d’argent que les autres. Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi. »

La petite « Renno »
rêve de grandeur
Née dans une famille modeste, sunnite de Beyrouth (un père dans les FSI et une mère surveillante dans une école), Rana Koleilat a dû très vite s’occuper de ses frères jumeaux, Bassel et Taha, plus jeunes qu’elle de trois ans. Elle leur voue d’ailleurs un amour sans bornes, les chouchoutant comme une mère. « Mes parents étant souvent absents, j’ai dû très tôt m’occuper de la maison et de mes frères. Mais j’ai toujours eu le sentiment qu’un jour je serai riche. Même sans un sou en poche, je me comportais comme une millionnaire, riche de ma foi en mon destin. D’ailleurs, chaque fois qu’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais : je veux réussir. Je ne sais pas comment, mais je réussirai. On me demandait aussi : qui vas-tu épouser, “Renno” ? et je répondais : mon mari se posera avec son avion sur le toit de ma maison et m’emmènera ensuite avec lui. Ce dernier souhait ne s’est pas encore concrétisé. Mais sinon, j’ai réalisé tous mes autres rêves. » Pour améliorer le quotidien à la maison, Rana a commencé à travailler comme caissière dans un restaurant à 16 ans. Elle étudiait dans la journée et, en été, elle travaillait le jour et la nuit. À 17 ans, son bac en poche, elle choisit de se rendre à Genève pour étudier les finances parce qu’elle a toujours été attirée par l’argent. Elle met ses parents devant le fait accompli et rassemble ses économies pour réaliser son projet. À Genève, elle commence par travailler dans un restaurant afin de payer ses études et squatte l’escalier d’un immeuble pour dormir. « La misère, j’en ai bavé, dit-elle avec le sourire. Mais aujourd’hui, je me rappelle cette époque avec bonheur. Je n’avais peur de rien, et surtout pas de travailler tant j’étais motivée. Rien ne me semblait trop dur ni trop difficile. Ma seule hantise était de ne pas avoir besoin de mes parents. »
Au bout de quatre ans, Rana Koleilat obtient son diplôme, et un de ses professeurs, impressionné par son ambition et son savoir-faire, lui suggère de se rendre en Arabie saoudite, où il y a beaucoup à faire dans le domaine des finances et de la Bourse. Il lui donne une lettre de recommandation à remettre au Dr Adnane Abou Ayache, un Libanais comme elle, doté de la nationalité saoudienne, très influent dans le royaume. Rana Koleilat saute sur l’occasion, s’accorde un mois de vacances à Beyrouth avant de prendre l’avion pour Djeddah.

La rencontre avec Adnane Abou Ayache
Elle appelle comme prévu le Dr Abou Ayache et ce fut la grande rencontre de sa vie. L’homme est impressionné par cette jeune fille exubérante, ambitieuse et sûre d’elle. Il commence par l’embaucher dans sa société puis, en la voyant si courageuse et dotée d’un flair réel en matière de Bourse, il lui confie la somme de 100 000 dollars. « Si tu réussis à la faire fructifier, le gain sera pour toi. Mais si tu la perds, gare à toi. » Rana Koleilat ne se le fait pas dire deux fois. En quelques mois, les 100 000 dollars deviennent 400 000 et la voilà riche de 300 000 dollars. « J’ai très vite acheté une voiture à ma famille. Puis j’ai commencé à travailler avec son argent et le mien. » Sa réputation commence à grandir en Arabie saoudite, où peu de femmes se lancent dans la Bourse. Bientôt, d’autres personnages importants du royaume lui confient leur argent et avec un million de dollars, elle réussit à en faire cinq. Désormais, l’argent coule à flots, et Adnane Abou Ayache reste son mentor, son conseiller, son ami.
Y a-t-il eu une relation amoureuse entre eux ? « C’est bien plus que cela. Il a eu confiance en moi, m’a donné ma chance et m’a pilotée dans un monde dont j’ignorais tout. »
Rana Koleilat est d’ailleurs assez triste et irritée de voir l’évolution de la relation entre elle et le Dr Abou Ayache. « C’est l’œuvre de certains salauds qui ont voulu semer la discorde entre nous, dérangés par la place que je prenais et par le bien qu’avec mes frères, je faisais autour de moi... Mais tout rentrera dans l’ordre très prochainement. Je ne suis pas une voleuse et le Dr Abou Ayache doit le savoir. Je lui demande d’ailleurs de faire un examen de conscience et il verra alors qu’il n’a pas le droit de m’accuser ni de me blesser. »
En 1996, la confiance règne encore entre Adnane Abou Ayache et Rana Koleilat. Il l’emmène même à Genève. Ensuite, Rana rentre à Beyrouth et arrive à temps pour assister au mariage de son frère, Bassel, auquel elle offre la réception. Elle entre ensuite à la banque al-Madina, comme directrice exécutive. Elle se met alors à acheter les biens fonciers qui faisaient rêver son frère Taha. Une véritable frénésie et, avec le frère de Adnane, Ibrahim Abou Ayache, actuellement en prison, l’entente est parfaite. Mais peu à peu, elle préfère mener ses propres affaires, et en 2001, elle quitte la banque pour ouvrir une société à Londres. C’est pourquoi les détournements qui lui sont imputés lui paraissent injustes puisque, depuis deux ans, elle n’avait plus aucune responsabilité à la banque.
Quid de la protection syrienne dont elle bénéficierait ? « Si j’étais aussi protégée qu’on le dit, je n’aurais pas passé huit jours en prison. Ma seule protection, ce sont les documents en ma possession, qui affirment mon innocence. Mais tout cela sera clarifié au cours des prochains jours. Cette semaine sera déterminante pour l’affaire al-Madina. »

« Une fonceuse
qui aime les contacts »
Et les fameux cadeaux dont elle aurait inondé la classe politique pour permettre à son frère, Taha, de faire une carrière politique ? « Mon frère n’a aucune ambition politique. Il a déjà fort à faire avec le Coral Beach. Ensuite, tous ces racontars sont faux. C’est vrai, je connais beaucoup de monde. J’aime les contacts, je suis une fonceuse, mais j’aide aussi beaucoup les pauvres. »
À combien se chiffre sa fortune ? Rana Koleilat éclate de rire. « Dieu est généreux avec moi. » Est-elle placée à la banque al-Madina ? « Ah non », dit-elle, toujours dans un rire.
Qu’a-t-elle pensé, elle généralement entourée d’une cour, en se retrouvant seule dans une cellule ? « Le premier jour, j’étais dans un état de choc. Je n’arrivais à parler à personne. J’étais pétrifiée. Puis j’ai commencé à regarder autour de moi. J’ai vu des gens très intéressants, dignes dans leur malheur. Cette semaine en prison m’a beaucoup appris. D’abord, j’ai repris contact avec une autre réalité. Puis j’ai réfléchi sur les gens qui m’entourent. J’ai appris à savoir qui est sincère et qui ne l’est pas. C’est vrai que je n’ai pas trouvé beaucoup de monde pour m’aider. Mais j’ai rencontré Dieu. Enfin, j’ai de nouveau redécouvert le bonheur de dormir dans un lit, de boire un jus frais, de soigner mon apparence. C’est fou ce qu’on peut oublier combien la vie est belle avec ses petits plaisirs. »
Rana Koleilat a toujours su qu’elle ne resterait pas longtemps en prison et elle est convaincue qu’elle n’y retournera pas parce qu’elle possède des documents, qui l’innocentent. Elle n’est toutefois pas tendre avec ceux qui, selon elle, l’ont trahie. Dès qu’on lui parle de Roula Soueid (la décoratrice qui avait déposé une plainte contre elle), elle se ferme et son langage devient très dur.
« Je l’ai aidée. Je voulais à la fois qu’elle fasse une bonne affaire et faire plaisir à l’homme d’affaires René Moawad (qui avait acheté une villa à Rabié après avoir vendu un hôtel aux Abou Ayache), en lui remettant une maison de rêve. Moi, quand elle me dit : “J’ai mis des tableaux de maître, des pièces d’antiquité”, je la crois. Je ne pouvais pas imaginer que tout était faux. Enfin, c’est une page tournée. Heureusement René Moawad n’a jamais douté de ma bonne foi. »
Pourquoi n’est-elle pas encore mariée ? « C’est le seul rêve que je n’ai pas encore réalisé: me marier, avoir des enfants. Le problème, c’est que je ne peux pas me marier sans amour. Et mon cœur n’a battu qu’une fois. Hélas, cela n’avait pas marché. J’attends encore. »
Pour le moment, Rana Koleilat attend que ses ennuis judiciaires soient terminés pour passer un mois loin du monde, même sans ses trois téléphones portables, qui, d’ailleurs, n’arrêtent pas de sonner. Comment cela se passe-t-il avec les juges ? « Très bien. Vous savez, ils font leur boulot. Mais je parviendrai à prouver mon innocence et alors, à moi le plus beau des voyages. » D’où lui vient cette incroyable confiance en elle ? « Je ne sais pas. Mais depuis mon plus jeune âge, j’ai su que je serai quelqu’un, même si, au fond de moi, je suis toujours la petite “Renno”... »
Scarlett HADDAD
C’est plus qu’un personnage, c’est un véritable phénomène. Dans son triplex hollywoodien (décoré par Roula Soueid, au temps où elles étaient encore amies), sévèrement gardé par des malabars à l’air peu commode, Rana Koleilat vit comme elle l’a toujours rêvé, en star. À elle seule, elle remplit l’espace et donne l’impression qu’il y a foule, tant elle est...