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CONFÉRENCE - Parution du nouveau numéro de la revue « Confluences méditerranée » La « difficile reconstruction » du Liban : le plus gros reste à faire

«Reconstruction ne veut pas dire réhabilitation, réparation de dégâts matériels, rénovation et mise en place de nouvelles infrastructures. Elle signifie surtout une recomposition de la société et de l’État qui ont été durement affectés par des décennies de dévastations. »
C’est Ghassan el-Ezzi qui a donné le ton à la conférence donnée au Biel à l’occasion de la parution d’un nouveau numéro de la revue Confluences Méditerranée sur « la difficile reconstruction » du Liban. Coauteur et responsable de la préparation de ce dossier spécial, paru chez l’Harmattan, Ghassan el-Ezzi passe en revue le contexte dans lequel a commencé à se dessiner le projet de reconstruction avant de constater que dix ans après le lancement de ce chantier, « le plus gros reste à faire » dans tous les domaines. « Au point que certains analystes ont souligné la persistance de presque tous les ingrédients de déflagration générale ». Des ingrédients endogènes – pauvreté et dettes, ravages irrémédiables de la corruption au sein de la classe politique et économique et au sein des institutions ; mais aussi des facteurs exogènes comprenant tous les enjeux géopolitiques que subit le Liban, l’occupation israélienne sur Chebaa sur fond de politique interlibanaise, le rôle du Hezbollah, la tutelle syrienne, la présence de réfugiés palestiniens et les retombées de l’occupation US de l’Irak.
Voici donc les grandes lignes qui ont présidé à cette réflexion portant sur les institutions et la société au Liban.
Abordant tour à tour les différentes politiques de l’État, les disparités économiques, la réforme de l’Administration, la société civile, la question des réfugiés palestiniens ainsi que les enjeux de la terre de de l’eau, ce nouveau spécial sur le Liban, auquel ont contribué d’éminents politologues, économistes, et professeurs d’université, est une sorte de bilan qui permet de cerner, à travers une approche pluridisciplinaire, toutes les problématiques de la reconstrution.
Jean-Paul Chagnollaud, directeur de rédaction de la revue et spécialiste du Proche-Orient a rappelé les motivations profondes qui étaient derrière la création d’une telle revue. En quelques mots, il s’agissait de « trouver des confluences dans cette Méditerranée fragmentée », dit-il. Fondée depuis une douzaine d’années par Chagnollaud lui-même et un diplomate tunisien, cette publication se veut également une tribune pour le dialogue israélo-arabe. Commentant les travaux des chercheurs libanais Chagnollaud dira avoir retenu quelques idées phare de ce dossier, telles que la problématique de la volonté politique, de l’absence d’État ou ce qu’il a appelé l’inexistence « d’un creuset pour rassembler les forces et les énergies » constitutives de ce pays. Il cite au passage la pertinence de questions telles que les problèmes de la réforme administrative ou la question de l’État qui, dit-il « revient de manière lancinante dans tous les textes » ainsi que les obstacles à la consolidation d’une société civile assez affaiblie après la guerre.
Ce sujet a été abordé par Fadia Kiwan, la directrice de l’Institut de sciences politiques de l’USJ, qui a longuement parlé de son étude sur la « consolidation ou recomposition de la société civile d’après-guerre ».
Mme Kiwan fait la distinction entre les liens communautaires confessionnels ou tribaux – « des liens spontanés que l’on n’a pas choisis » – et « les liens civils que les gens choisissent ». Ce sont des liens politiques rationnels qui, avant la guerre, étaient une indication claire signifiant que la collectivité nationale pouvait dépasser progressivement les liens primaires. Or, poursuit l’intervenante, durant les hostilités, on assiste à un phénomène plutôt paradoxal, à savoir un repli identitaire qui a lieu parallèlement à une montée en créneau des ONG qui ne sont pas toutes confessionnelles.
« L’après-guerre présente toutefois un tableau sombre », que l’intervenante essaye d’expliquer par les divisions qui règnent au sein des formations syndicales ou la politisation des ordres professionnels devenue de plus en plus patente, ces derniers étant instrumentalisés par les forces politiques en présence. Une situation qui va nécessairement conduire au paradoxe de la « réconciliation entre les appartenances politiques et les revendications professionnelles ». Autre problème, poursuit la politologue, celui des ONG, devenues très nombreuses et menacées du point de vue de leur financement et qui, à leur tour, sollicitent les politiques, d’où une perte d’autonomie chez ces organisations.
C’est par une équation toute simple que l’économiste Boutros Labaki expose à son tour le problème des politiques de l’État et des reconstructions.
« Si les investissements pour les reconstructions au cours des dix dernières années n’ont pas dépassé les 6 milliards de dollars, comment sommes-nous parvenus au stade des 33 milliards de dollars de dettes surtout que l’on est à ce jour encore très loin des objectifs et des besoins de la reconstruction tels que fixés dans les différents plans ? » s’interroge le conférencier.
Des carences qu’il explique notamment par la « capacité limitée des Administrations et des entreprises libanaises à concevoir et exécuter les projets ». Ainsi que par la crise des finances publiques qui, dit-il, s’est répercutée sur la reconstruction à partir de 1997, d’où un blocage de l’ensemble du processus.
Plus concrètement, M. Labaki dénonce au passage les problèmes rencontrés au niveau sectoriel comme celui de l’électricité qui, rappelle-t-il, a bénéficié de la plus grosse part des investissements, soit « 22 % pour réaliser des centrales électriques inutiles », dit-il en citant notamment la centrale de Zahrani ou la construction d’un « aéroport conçu pour 6 millions de voyageurs et qui n’en accueille que deux ».
Abordant la question des problèmes socio-économiques, l’économiste Walid Safi rappelle qu’une des raisons majeures derrière le déclenchement de la guerre est le fait que « 4 % des Libanais accaparaient 33 % du revenu national », des disparités qui n’ont fait que s’accroître avec le temps pour des raisons de dérives politiques et de dysfonctionnements structurels tels que la concentration de l’activité économique au centre ou le système fiscal qui se fonde sur l’impôt indirect.
Jeanine JALKH
«Reconstruction ne veut pas dire réhabilitation, réparation de dégâts matériels, rénovation et mise en place de nouvelles infrastructures. Elle signifie surtout une recomposition de la société et de l’État qui ont été durement affectés par des décennies de dévastations. »C’est Ghassan el-Ezzi qui a donné le ton à la conférence donnée au Biel à l’occasion de...