L’État a d’abord fait montre d’une impolitesse et d’une inhospitalité flagrantes, dont il était finalement, il faut le reconnaître, peu coutumier. Surtout à l’encontre d’un « pays-frère », arabe qui plus est, d’un membre de cette famille pour le respect de laquelle le pouvoir en place s’est toujours pourtant montré, en toutes occasions, d’une intransigeance carrément obtuse. Et ce n’est pas Michel Aoun qui dira le contraire.
L’État a ensuite réaffirmé sa capacité, son habileté et sa rapidité à commettre de très graves erreurs de jugement. Afficher un tel mépris face à un ministre – et au-delà, de tout un gouvernement – dont le pays va bien finir par offrir – et il le fait déjà – un choix phénoménal de chantiers de reconstruction et de possibilités d’investissements... c’est de l’inconscience et de l’immaturité pures. Ou alors, avec 35 milliards de dollars de dette publique, un véritable suicide économique.
L’État a également donné une nouvelle et énième preuve non seulement de son suivisme aveugle, bêtifiant et honteux à l’égard de la Syrie, mais surtout de son enthousiasme, souvent démontré, à payer tous les pots cassés, à dynamiter sa crédibilité internationale, à la place de son tuteur.
Voilà une des premières explications à cette fin de non-recevoir – sous les fallacieux prétextes d’agendas surbookés ou de santé fragile – que les ministres libanais – Obeid, Murr et Farhat – ont été « obligés » d’asséner, en réponse à la toute naturelle demande d’audience formulée par Mohammed Jassem Khodayer. Au lendemain des sévères critiques du président du Conseil de gouvernement transitoire, le Kurde Jalal Talabani, à l’encontre du ministre syrien des Affaires étrangères – « la façon dont l’invitation a été lancée à l’Irak pour la réunion de Damas est provocatrice et insultante », avait-il dit – ; au lendemain de cette campagne menée par Bagdad contre Damas, il était tout naturel pour les Syriens d’y répondre. Mais par le biais de leur pupille libanais, trop souvent utilisé comme bouc-émissaire, tant avec Israël qu’avec les membres de la Ligue arabe. Parce que la Syrie n’a aucun intérêt, surtout en ce moment, à provoquer sciemment une nette cassure dans ses relations avec le binôme Bagdad-Washington.
C’est peut-être d’ailleurs au niveau américain qu’il pourrait y avoir une deuxième explication au scandaleux comportement du Liban. L’ambassadeur US Vincent Battle s’est particulièrement impliqué, mais en vain, pour tenter d’organiser des rencontres entre leur protégé irakien et les ministres libanais. Or – et cela commence à devenir mathématique –, Beyrouth se fait un point d’honneur, depuis quelques jours, à systématiquement dire « non » à Washington. Non à l’interdiction du feuilleton al-Chatat que diffuse al-Manar, non à la condamnation officielle des propos de Walid Joumblatt à propos de Paul Wolfowitz, non à un rapport explicatif du palais Bustros au sujet de l’incident qui avait opposé un convoi diplomatique US à des membres du Hezbollah, etc. Que des bras de fer que la Syrie refuse d’engager avec les États-Unis, mais qu’elle sous-traite sans conditions. À croire que Beyrouth a la capacité ou la force nécessaires pour ce genre de mano a mano.
Il n’empêche, des sources plus ou moins officielles ont laissé entendre hier que le Liban n’avait aucune envie de donner à la visite du ministre irakien une couleur politique. Qui impliquerait de facto la reconnaissance du régime mis en place par Paul Bremer à Bagdad – et auquel Beyrouth refuse, en écho à Damas et aux toutes récentes déclarations de Bouchra Kanafani, la porte-parole du ministère syrien des AE, d’accorder la moindre légitimité. Parce que le Conseil de gouvernement transitoire, arguent le tuteur et surtout son pupille, habitué aux surenchères ultra-complaisantes, n’est pas issu de la libre volonté du peuple irakien.
C’est ubuesque. Comme si le pouvoir en place à Beyrouth était, lui, issu d’une quelconque volonté populaire.
Ziyad MAKHOUL
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