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FRONT SOCIAL - Grève et manifestations partiellement suivies La colère de la rue s’est limitée à un simple grincement de dents (photos)

Le soleil a été impitoyable, hier, avec les syndicalistes. Vieux, usés, après une vie de labeur et si peu d’avantages pour la retraite, rongés par l’angoisse pour l’avenir de leurs enfants, ils étaient pathétiques, hier, défilant dans la rue, près du secteur du Musée, avec des slogans et des banderoles éculés. Ils ne pouvaient certes pas faire le poids face au nombre, à la discipline et aux moyens de la Fédération de la fidélité aux travailleurs et usagers du Liban, créée par le Hezbollah et qui a fait hier sa grande entrée sur la scène syndicale libanaise. Un coup de plus, et peut-être le coup de grâce, à une CGTL moribonde, minée par les partis, et qui ne peut plus rassembler que quelques vétérans.
En dépit de l’appui verbal massif, les syndicalistes ne sont pas venus nombreux à la manifestation d’hier. Comme s’ils ne croyaient plus beaucoup à son efficacité, ou qu’ils étaient trop fatigués pour faire de la marche par 30 degrés sous le soleil. On était donc loin des dix mille chauffeurs de taxi annoncés la veille par le président de leur syndicat, Abdel Amir Najdé. D’ailleurs, n’ayant pas un seul point de départ, la manifestation n’a jamais réussi à donner l’impression d’une grande affluence humaine. Venus de Berbir, de Verdun, de Sin el-Fil ou du port, ils arrivaient par petits groupes disparates dans le secteur du Musée interdit à la circulation et sévèrement gardé par un impressionnant dispositif de sécurité, regroupant aussi bien les troupes antiémeutes, les pompiers que les éléments de la défense civile.
Selon les journalistes présents, près de 5 000 personnes seraient descendues dans la rue, à l’appel de la CGTL et des partis politiques, pour protester contre la situation économique, réclamer plus de prestations sociales, un réajustement des salaires et refuser de nouveaux impôts ainsi que l’augmentation de la TVA. Mais la plupart ont préféré trouver un moyen de locomotion, afin d’effectuer le moins de chemin à pied. Ce qui donnait à la manifestation un air plutôt désordonné et presque dérisoire.
À aucun moment, en tout cas, l’avenue Berbir-Musée n’a semblé grouillante de monde, même si les manifestants arrivaient quand même à faire un bruit assourdissant. Au premier rang, les dirigeants syndicalistes, à leur tête M. Ghassan Ghosn et ses adjoints, escortés par un van muni d’un haut-parleur, qui a l’air d’avoir servi pendant des décennies, et derrière eux, par petits groupes, les différents syndicats, quelques membres de partis, chacun avec son porte-voix et ses slogans.

Des slogans obsolètes
Avec ses banderoles rouges, le parti communiste est identifiable à des mètres à la ronde. Ses slogans ont fait le bonheur des manifestants des années soixante-dix. Aujourd’hui, ils paraissent obsolètes et complètement dépassés. De leur côté, les syndicats professionnels ont tenté d’adapter les slogans traditionnels aux besoins du jour. Les usagers des télécommunications scandaient : « Laissez-nous travailler correctement, sinon nous couperons les lignes. »
D’autres répétaient des petites tirades contre les dirigeants, en se contentant de modifier les noms au goût du jour. Comme les responsables sont là depuis des années, ils n’ont pas eu trop d’efforts à faire. Cela donnait des paroles du genre : « Écoute Siniora, le peuple a faim », « Balaie mon frère, ce gouvernement et ce parlement », bref, des chansonnettes populaires destinées à canaliser la colère du peuple. Colère qui ressemblait d’ailleurs plus à un grincement de dents qu’à un véritable coup de gueule. Enseignants, étudiants, chauffeurs, salariés du port ou d’ailleurs, tous semblaient unis dans une même misère et surtout dans un même désenchantement. « Nous crions depuis des années, et ils sont encore là, sourds au peuple », lance un homme au visage luisant de sueur, entre deux bouchées de « kaaké ». Car si personne n’a eu l’idée de vendre des rafraîchissements, par cette chaleur, les vendeurs de « kaak », à l’accent libanais contrairement à la rumeur, étaient bien présents, distribuant leur marchandise à des manifestants affamés.
Par petits groupes, les protestataires se sont approchés de la place du Musée, sans pouvoir arriver jusqu’au siège du Conseil des ministres, strictement protégé. Derrière les vitres épaisses, les ministres en pleine séance de discussion du budget n’ont certainement pas entendu les cris de la rue.

À chacun son porte-voix
Avec son porte-voix déglingué, le président de la Centrale syndicale, M. Ghassan Ghosn, a commencé à haranguer la foule, annonçant une grève ouverte au cas où les revendications ne seront pas satisfaites. Mais, soudain, sa voix a été couverte par un autre haut-parleur bien plus puissant, qui hurlait des slogans révolutionnaires, du style « Réveille-toi travailleur », « Travailleurs du Liban, unissez-vous ». Il s’agissait de la Fédération de la fidélité aux travailleurs et aux usagers du Liban, créée par le Hezbollah et pas encore intégrée à la CGTL. Une sorte de formation parallèle qui faisait là sa première entrée sur la scène populaire, sous le gigantesque portrait du chanteur Fadl Chaker, qui, tout en ne ressemblant pas à l’imam Khomeiny, semblait toutefois bénir la foule. Avec ses drapeaux jaunes, ses femmes en tchador et ses hommes en noir, bien disciplinés, le groupe était impressionnant, le seul réellement crédible, au sein de cette masse désordonnée et plus folklorique qu’efficace. À mesure que le haut-parleur du Hezbollah diffusait des slogans puissants, celui de la CGTL baissait son volume et bientôt, celui du Hezbollah est resté seul sur la scène, montrant que ce parti fait aussi de la résistance sociale et se veut désormais le porte-parole des revendications d’un peuple appauvri. Un à un les autres groupes ont commencé à se disperser, pendant que les éléments des FSI reluquaient les jeunes filles et lançaient des commentaires sur leurs tenues vestimentaires... Pour eux, c’est à cela que se résumait la manifestation, mais pour les manifestants, c’était encore pire. Il ne s’agissait que d’un simple acte de présence. M. Ghosn a eu beau par la suite réunir les dirigeants syndicalistes au siège de la CGTL et promettre les foudres du peuple au gouvernement, le cœur n’y était pas. Il n’y est plus depuis longtemps. Pour s’en convaincre, il n’y avait qu’à voir combien l’ordre de grève a été partiellement suivi à Beyrouth et dans la région. Car, à part le port, l’aéroport et les chauffeurs de taxi, les autres secteurs professionnels ont fonctionné plus ou moins au ralenti.

S. H.
Le soleil a été impitoyable, hier, avec les syndicalistes. Vieux, usés, après une vie de labeur et si peu d’avantages pour la retraite, rongés par l’angoisse pour l’avenir de leurs enfants, ils étaient pathétiques, hier, défilant dans la rue, près du secteur du Musée, avec des slogans et des banderoles éculés. Ils ne pouvaient certes pas faire le poids face au nombre,...