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éclairage - Nouvelle volonté d’apaisement – et nouvelle ingestion de couleuvres – du Premier ministre Contre la mauvaise fortune, le « bon cœur » de Rafic Hariri

«Nous venons de découvrir qu’il y a de l’amour et de la passion entre le chef de l’État et le président du Conseil. » Ce ministre qui s’est exprimé hier à l’issue de la quatrième réunion des Trente consacrée à l’étude du budget 2004 l’a fait sous le couvert de l’anonymat. Une volonté on ne peut plus compréhensible : il aurait aisément pu être qualifié, à l’aune de l’état de décrépitude de la cohabitation, d’impénitent et irrespectueux cynique, ou alors de gros farceur, de bouffon. Ou encore pire : de sot.
Et pourtant. Il y a des signes extérieurs de romance qui peuvent réellement bluffer plus d’un aguerri. Émile Lahoud qui rappelle à ses ministres – y compris au Premier d’entre eux – qu’« on est tous des frères et qu’on travaille tous pour le pays et pour son économie ». Rafic Hariri, surtout, qui essaie de rassurer son monde, tant bien que mal : « Pendant trois jours, les débats ont été francs et positifs », a-t-il dit, indiquant qu’il était contre la vente « totale », par l’État et pour vingt ans, des secteurs de la téléphonie mobile et fixe ; soulignant qu’il n’était pas nécessaire non plus de privatiser « en entier » le secteur de l’électricité et annonçant qu’il ne désapprouvait pas les crédits supplémentaires dont bénéficieraient la Santé publique et l’Éducation. À tous ces niveaux, le Premier ministre abonde dans le sens du chef de l’État et leurs points de convergence sont de plus en plus nombreux, visibles. D’autant plus qu’ils portent, pour la plupart, sur des sujets essentiels.
Qu’est-ce qui fait courir, aujourd’hui, Rafic Hariri ? Qu’est-ce qui le pousse à mettre de l’eau dans son vin, qu’est-ce qui le motive à multiplier les ingestions de couleuvres ? À multiplier, tout comme Émile Lahoud d’ailleurs, les gestes de bonne volonté ? Aussi, au-delà de la triste et scandaleuse évidence qui prouve chaque jour à quel point Rustom Ghazalé est incontournable dès qu’il s’agit de trouver un conseiller matrimonial en chef, et sachant que Rafic Hariri n’est pas vraiment enclin à partager le pouvoir, le constat s’impose : le Premier ministre atermoie, calcule, attend.
Pourquoi ? D’abord parce que la situation régionale est « délicate ». Un véritable understatement pour dire qu’elle est catastrophique. Rafic Hariri, qui n’use pas souvent, il faut le reconnaître, de cette excuse à tout va tellement chère à Baabda, l’a réaffirmé hier : cette situation « impose davantage de cohésion interne, surtout entre les pôles du pouvoir ». Et il est clair que lorsque le maître de Koraytem évoque un danger régional, ce n’est pas pour couvrir tel ou tel agissement autocratique, mais bien en connaissance de cause. Surtout qu’il s’est entretenu ces deux dernières semaines avec une kyrielle de chefs d’État – le Saoudien, le Français, le Russe, le Pakistanais, l’Iranien et le Syrien Bachar el-Assad, à qui il aurait transmis les appréhensions de Jacques Chirac. Surtout, aussi, que les diplomates étrangers en poste à Beyrouth ne cachent plus leurs craintes : le mois de novembre serait particulièrement « chaud » pour le Liban.
Atermoiement, attente et calcul parce que Rafic Hariri estime de plus en plus, à en croire ceux qui le côtoient, que les querelles internes sont carrément absurdes. Que l’image que l’on s’emploie à donner de lui « anti-pauvres, anti-avancées sociales » est on ne peut plus erronée. « Il ne suffit pas de prévoir des dépenses, il faut avoir les fonds », a-t-il claironné il y a trois jours. Rien ne laisse présupposer qu’il ne veuille pas « faire du social », mais le gestionnaire ultra-avisé qu’il est sait bien que, pour cela, il faut de l’argent. Mais quel argent ? Contracter d’autres dettes ? Il signerait là son arrêt de mort politique. Surtout que le Premier ministre n’en peut plus, dit-on, de la démagogie des hommes de Baabda ; n’en peut plus de cette vérité auquelle il croit dur comme fer : Émile Lahoud fait et fera tout pour garder son fauteuil. Atermoiement, attente et calcul, donc, mais pas de résignation. Rafic Hariri sait qu’il faut traiter avec Émile Lahoud, « jouer son jeu », au moins jusqu’en octobre 2004 ; il sait qu’il va falloir faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Le chef de l’État refuse les privatisations, les titrisations, les nouveaux impôts. Il ouvre le débat sur les privatisations alors qu’il s’est solennellement engagé à Paris II. Et avec cela, il veut être le nouveau petit père du peuple. » Dixit un Libanais qui travaille et qui vote Rafic Hariri.
Le n° 3 de l’État semble dans tous les cas vouloir éviter à tout prix un clash inutile, une crise constitutionnelle ouverte qui achèverait de vampiriser le pays. « Il compte les jours », disent ceux qui lui parlent, à peine s’il ne déchire pas, feuille après feuille, les pages du calendrier qui le séparent de l’échéance présidentielle. Avec une garantie, une seule, un baume au cœur qui le booste, qui le stimule, même si elle n’est basée que sur de bien fragiles vœux : le refus de tout amendement à la Constitution par celui qui est en train, de plus en plus, de se transformer en leader national, Nasrallah Sfeir ; un chiffre, livré il y a quelques jours par Ipsos-Stat – 83 % des Libanais approuvent la position du patriarche maronite quant au renouvellement – ; les mots de celui qui, jusqu’à nouvel ordre, décidera bien malheureusement du successeur d’Émile Lahoud, Bachar el-Assad, pour qui « il faut que les Libanais soient d’accord sur le nom de leur futur président » ; enfin, la pléthore de présidentiables, tous particulièrement acharnés.
Plus qu’une expédition des affaires courantes, c’est à une expédition du temps qui passe lentement que se livre le Premier ministre. Avec un souci en tête : empêcher l’autre camp de faire ce qu’il estime être de grosses bêtises, quitte à fermer les yeux sur celles qu’il considère comme étant mineures. Ainsi, s’opposera-t-il certainement avec vigueur à toute velléité visant à enlever au CDR tous les crédits dont il dispose, ainsi qu’à la création, bien déplacée aujourd’hui, d’un nouveau ministère, celui du Plan.
Voilà deux des principaux points-clés qui seront au centre des débats de mardi prochain. Moment de vérité pour Rafic Hariri qui, même s’il semble subir en ce moment le joug du président et de ses hommes, n’en est pas moins responsable, tout autant qu’Émile Lahoud ou l’inénarrable Nabih Berry, de la nécrose du pays et de ses habitants.

Ziyad MAKHOUL
«Nous venons de découvrir qu’il y a de l’amour et de la passion entre le chef de l’État et le président du Conseil. » Ce ministre qui s’est exprimé hier à l’issue de la quatrième réunion des Trente consacrée à l’étude du budget 2004 l’a fait sous le couvert de l’anonymat. Une volonté on ne peut plus compréhensible : il aurait aisément pu être qualifié,...