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Le pouvoir se cherche une issue de secours latérale

L’imagination au pouvoir : à en croire certains de ses membres, le gouvernement actuel est rien moins qu’exceptionnel. Ils affirment que s’il avait été ordinaire les Libanais l’auraient rejeté (qu’en savent-ils, du reste) et le Parlement lui aurait dénié la confiance. Sans trop s’apercevoir qu’ils se contredisent, ces mêmes ministres indiquent que le cabinet n’a qu’une mission : se dynamiser lui-même avant d’être dynamité, réhabiliter en même temps les institutions et sa propre cohésion. Ils précisent qu’il faut mettre un terme aux dérapages, aux violations continuelles de la loi comme des règlements en vigueur. Ce qui est d’ailleurs le devoir le plus élémentaire pour tout gouvernement… ordinaire.
En réalité, les nouveaux Trente, qui sortent d’un même moule, sont déjà si déchirés que le rappel à l’ordre sous-jacent dans les propos des ministres cités se comprend aisément. Les responsables, si on peut les appeler ainsi, sont invités à laisser de côté les différends qui les opposent, à ne plus étaler leurs turpitudes en public et à s’efforcer de faire travailler l’Administration impotente. Un objectif si difficile que lors de l’avant-dernière séance du Conseil des ministres, révèle une source gouvernementale, certains ont cru bon de suggérer une révision de la Constitution. Ce qui a étonné leurs pairs, qui se sont demandé ce qu’il pouvait y avoir derrière une telle proposition. Dans les faits, le président de la République, explicitant la nécessité de donner un coup de collier au profit du public, avait rappelé que la Constitution fixe au chef de l’État des délais déterminés (15 jours) pour signer les décrets. Ajoutant que, dans cet esprit, il est inadmissible que les décisions dorment ensuite dans les tiroirs du chef du gouvernement ou des ministres concernés. Le président du Conseil, indique la même source, avait alors vivement rétorqué, en substance : « La Constitution ne fixe pas de délais au chef du gouvernement ou aux ministres comme elle le fait pour le président de la République. Si vous voulez qu’il en soit autrement, il vous faudra amender la Constitution. Et à ce moment, il y aurait d’autres points nécessitant également une révision. » Cette réplique, indique le ministre, a surpris l’assistance, car il était évident que le chef de l’État n’avait pas abordé les choses sous cet angle précis. Le président Lahoud voulait simplement exhorter le gouvernement à se presser au travail pour veiller à ce que les formalités des gens ne soient pas retardés ni leurs intérêts lésés par le gel des projets. C’est ce que le ministre Khalil Hraoui a bien expliqué par la suite. Quant au ministre Farès Boueiz, il devait déclarer que le gouvernement n’avait pas pour but de modifier la Constitution, procédure qui obéit d’ailleurs à des règles déterminées et qui requiert un large consensus politique, inexistant pour le moment.
Ces éclaircissements montrent que M. Lahoud n’entreprend nullement de prendre le relais du président Hraoui. On sait que ce dernier avait dénoncé les disparités de prérogatives concernant les délais, ainsi que d’autres failles de la Constitution issue de Taëf, pour en réclamer la correction sous forme de révision du texte fondamental. Cette demande avait provoqué un tollé de la part du président de la Chambre comme du chef du gouvernement, de leurs partisans et des pôles de leurs communautés respectives. Et l’idée avait été rejetée pour la forme. Mais adoptée pour la forme, avec enthousiasme quelque temps plus tard quand l’on a révisé la Constitution, à titre exceptionnel et pour une seule fois, afin que le général Émile Lahoud puisse se porter candidat à la présidence de la République, nonobstant sa qualité juridique de fonctionnaire qui lui interdisait de briguer la première magistrature.
Toujours est-il, pour en revenir à l’actualité, que le président Hariri souhaite étouffer dans l’œuf toute velléité de campagne en faveur d’une correction de la Constitution, malgré les évidentes imperfections du texte. Les rôles sont donc inversés pour de bon : jadis c’étaient les sunnites et les chiites qui réclamaient la refonte de la Constitution, alors que les maronites s’y opposaient catégoriquement. Si les choses ont changé de la sorte, c’est que Taëf a donné aux uns en prenant aux autres, la participation égale faisant toujours défaut. Et l’on entend les privilégiés du moment soutenir, comme dans le temps le camp d’en face, que la Constitution doit rester stable, que l’on ne peut y toucher pour des considérations secondaires ou d’intérêts particuliers. Bref, qu’elle est pratiquement intangible. Ces mêmes sources se demandent en privé si le sujet n’est pas évoqué de manière préparatoire. Dans la perspective de la prochaine présidentielle ou, plus exactement, d’une éventuelle reconduction. En oubliant que, dans ce cadre même, il y a déjà eu des précédents. Et qu’en tout cas, sauf changement régional, le vrai pouvoir de décision reste ailleurs.

Philippe ABI-AKL
L’imagination au pouvoir : à en croire certains de ses membres, le gouvernement actuel est rien moins qu’exceptionnel. Ils affirment que s’il avait été ordinaire les Libanais l’auraient rejeté (qu’en savent-ils, du reste) et le Parlement lui aurait dénié la confiance. Sans trop s’apercevoir qu’ils se contredisent, ces mêmes ministres indiquent que le cabinet n’a...