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CONCERT - Soirée unique au palais de l’Unesco Généreuse et fascinante Barbara Hendricks

Ceux qui l’avaient applaudie à Beiteddine ne sont pas près d’oublier cette soirée magique… Elle revient aujourd’hui non au palais des Eaux mais au palais de l’Unesco pour un concert unique. Sans la magie et le charisme des lieux, et l’envoûtement d’un cadre princier mais avec une voix qui n’a pas pris une ride et une qualité de chant au-dessus de tout éloge. Vêtue d’une robe longue noire pailletée d’argent, avec un décolleté sage sans parures au cou, les cheveux noirs d’ébène relevés et noués en un petit catogan retenu par une broche scintillante au bas de la nuque, les deux mains, aux doigts rehaussés de bagues à l’auriculaire, Barbara Hendrix, voix divine et somptueuse, vestale à la silhouette marquée et au visage presque impassible, véhiculant peu d’émotion, a imposé à son auditoire un silence absolu. Recueillement total pour une fascinante diva au grand cœur, vouée aussi à la cause des réfugiés et nommée à vie par le HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés) ambassadrice honorifique. Présenté par l’association Liban Suisse, ce concert exceptionnel, de teneur musicale et d’intérêt social, est au profit d’œuvres caritatives libanaises.
C’est devant un aréopage de personnalités politiques de premier rang et le gotha mondain beyrouthin que la cantatrice à la voix solaire, accompagnée remarquablement au clavier par Love Derwinger, a offert un bouquet de chants au lyrisme frémissant, allant des intermittences du cœur aux cris de la passion en passant par le désarroi et les doutes de toute traversée humaine. Bouquet d’œuvres sélectes et raffinées, sans jamais céder à la facilité ou à des préférences accessibles pour grand public, sous influence surtout d’un certain courant profondément européen. Au menu à la fois éclectique et hétéroclite, des pages choisies de Nielsen, Fauré, Schubert, Granados, Duparc, Bizet et de Falla.
Ouverture avec un compositeur peu familier à nos mélomanes : Carl Nielsen. Des brumes du Danemark émergent ces intonations oscillant entre rythmes brisés et mélodies battues par des vagues lasses… Coloration mahlérienne pour cinq chants appartenant toutefois bien à la terre de Hamlet, dans leur mystère et leur interrogation secrète. Une révélation à savourer comme des friandises aux saveurs inconnues.
Poésie (Prudhomme, Sylvestre et Leconte de Lisle) pour faire miroiter les notes dans l’étang calme et un peu triste du premier des mélodistes français : Gabriel Fauré. Tonalités chaudes et fièvre de l’amour, vent d’automne et souvenirs lumineux avant de conclure avec un bijou de morceau : Les roses d’Ispahan. Ispahan comme murmuré par une Schéhérazade à la peau sombre et à la voix d’ambre…
Cinq lieder de Frantz Schubert sur un verbe de Goethe. Lyrisme contenu, sensibilité originale, romantisme entre mélancolie et paix de l’esprit, rêverie dans le sous- bois des forêts des aulnes, Schubert est l’un des moments forts de ce récital aux diaprures mordorées. Nul ne respire quand s’élèvent, majestueux et graves, les accords sur les touches d’ivoire, de la célèbre Sérénade. Et la voix de Barbara Hendrix fera le reste, c’est-à-dire emporter l’audience aux rives les plus lointaines.
Après l’entracte, Canciones amatorios d’Enrique Granados. Rythmes, sang chaud, jardins fleuris de l’Espagne, mantilles et regard de braise, tout un esprit flamboyant ibérique et surtout andalou dans ces pages à la fois incendiées et incendiaires.
Parenthèse douce, éthérée et un peu ouatée avec Henri Duparc, qui évoque des voyages rêvés sur les rimes riches d’un Baudelaire s’entretenant des lieux où « tout n’est que luxe, calme et volupté ».
Retour aux « espagnolades » avec Georges Bizet. Soleil, gestes vifs, et amours contrariées sur fond d’une musique tout en contraste. Sans oublier les penchants d’orientalisme du compositeur de Carmen. Surtout ici dans ce bref et languide passage, sur les strophes serrées et intenses de Victor Hugo narrant L’adieu de l’hôtesse arabe.
Pour conclure, toujours le vent en poupe aux Canciones populares espanolas mais cette fois sous le feu des notes sorcières de Manuel de Falla. Intégrant le folklore dans l’orbite de son écriture musicale, Falla offre là un beau florilège d’une création autrement envoûtante que celle de La danse rituelle du feu. Relief peu ordinaire et concision extrême pour des pages d’une grande virtuosité vocale.
Quatre bis, généreusement accordés par Barbara Hendrix, et on en voulait encore de ce chant magnifique. Comme pour prolonger le parcours ibérique, une Chanson espagnole de Léo Delibes. Puis le fervent Ave Maria de Schubert et s’enclenche naturellement le Negro Spiritual, moment tant attendu par le public. Nul ne dira la beauté de ce He got the whole world in his hand s’il n’a entendu la grande dame du répertoire lyrique lui donner toute sa dimension de vibrante prière. Pour finir, a cappella, ce souffle de la liberté sans la déchéance de la servitude. We shall overcome… Comme une onde magnétique, ce Freedom et ce We shall overcome tétanisent une salle littéralement électrisée, figée, bouleversée. Aspiration juste et légitime pour tous les hommes de bonne volonté.
Explosion et tonnerre d’applaudissements pour Barbara Hendrix qui tire sa révérence, avec le sourire et une grande gerbe de roses rouges.

Edgar DAVIDIAN
Ceux qui l’avaient applaudie à Beiteddine ne sont pas près d’oublier cette soirée magique… Elle revient aujourd’hui non au palais des Eaux mais au palais de l’Unesco pour un concert unique. Sans la magie et le charisme des lieux, et l’envoûtement d’un cadre princier mais avec une voix qui n’a pas pris une ride et une qualité de chant au-dessus de tout éloge....