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PORTRAIT D’ARTISTE - La peinture, selon Rana Raouda Le saut à corde de l’intellect (photo)

Rana Raouda a composé sa vie autour d’un labyrinthe. Ou plutôt, il semble qu’elle s’y soit réfugiée, à la façon de tout artiste, peut-être, au centre de ce labyrinthe que forment ses toiles. Et c’est là qu’il faut la chercher.C’est un labyrinthe tout à fait intellectuel, très largement abstrait, construit à la façon d’un damier (vagues souvenirs de la vallée de la Békaa ou fenêtres auxquelles tant de critiques d’art ont fait allusion).
Mais de ce jeu-là, les règles ne sont pas tout à fait assurées. Elles ressemblent un peu à ce que seraient les règles d’une partie d’échecs énoncées par un enfant, pour qui elles ne seraient qu’un langage lointain et hermétique. Un langage à peine retenu et magiquement discontinu dans son incompréhensibilité. Les règles pourraient aussi s’apparenter aux développements d’un mathématicien qui se jouerait perpétuellement des tours en réintroduisant à chaque ligne de nouveaux postulats. C’est le saut à la corde de l’intellect.
«On ne devient pas artiste, c’est une évolution naturelle. On ne choisit pas la peinture, c’est elle qui nous choisit», souligne l’artiste.
De la Torpedo Factory de Virginie à son atelier de Aïn el-Mreyssé, de la Corcoran School of Art de Washington à l’École des beaux-arts de la BUC, Rana Raouda a fait du chemin. Le prix du Jeune artiste du musée Sursock (1997) bénit sa bonne étoile pour l’avoir placée sous l’enseignement de deux professeurs «auxquels je dois beaucoup. Il s’agit de miss Irani à la BUC et de Blaine Larson, aux États-Unis, indique-t-elle. Chacun a cru en moi, à sa manière, ils ont su me guider, me motiver, me pousser.»

Le déclic
Jusque-là guidée par un amour inné de la peinture et les conseils de ses tuteurs, Rana Raouda trouvera son style de touche en trait de pinceau. Puis un beau jour, ce fut le déclic. Elle tombe «par pur accident», dit-elle, dans un cours de Monoprint. «C’était à Santa Fe, dans le Nouveau-Mexique.» Au bout de quelques jours, elle se découvre complètement frustrée à l’idée de mesurer son travail à l’aide d’une règle et d’en tirer plusieurs exemplaires. Se répéter, faire des travaux en série, non merci, c’est contre sa nature. Pour ne pas gâcher toute la durée de l’atelier, elle se décide alors à tirer le meilleur de cette expérience en utilisant à sa guise les matériaux. «Cela a donné de beaux résultats», se souvient l’artiste. Mais, plus important, c’est à partir de ce moment-là qu’elle a fait tomber les barrières entre son pinceau et la couleur. «C’est cette idée de laisser la peinture couler librement. C’était un dialogue entre moi et la peinture. Comme si c’était la première fois que j’avais ce genre d’interaction», dit-elle.
Depuis, Rana Raouda expérimente. Libre de toutes contraintes. Elle a même poussé la «fétichisation» de la couleur jusqu’à exposer des surfaces de pigment pur. Qui rappellent, évidemment, la démarche de Klein et ses monochromes bleus, ce qu’il appelait les «zones de sensibilité picturale pure», parce que «le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu’il y a, après tout, de plus abstrait dans la nature tangible et visible». Et puisque son œuvre s’ouvre sur l’espace infini, sans limite, sur l’intangible et l’immatériel, quoi de plus naturel que d’exposer littéralement cette immatérialité de la peinture?
«J’organise mon désordre», note Raouda. «Je ne sais pas à l’avance ce que je vais faire. Mais je sais que ça sort de là, dit-elle en désignant ses tripes. Il faut que j’aille au plus profond de moi.»
La peinture est pour elle un processus assez spirituel. Ce n’est pas un hasard si elle a intitulé «Ascèse» sa prochaine exposition qui se tiendra à Rome (voir encadré). «Il s’agit en effet de faire un genre d’exercice sur soi pour évoluer. La peinture ne peut pas être un débit de sentiments colériques. Il faut que je sois très positive.»

Le regard de l’autre
«Quand je peins, je ne veux pas me dire : qui regarde ma toile? Que va-t-on en dire ou en penser? Je ne veux pas le regard de l’autre sur la toile que je fais. En tous cas pas durant le processus de création.»
Après? Il est clair que peu de gens comprennent vraiment l’art abstrait. Lors d’une exposition de ses œuvres, une personne lui a demandé «Deux traits? Cela vous a pris combien de temps?» Elle s’est alors souvenue d’une phrase que Blaine Larson lui avait assenée: «Si on te demande combien de temps cela t’a pris pour peindre cette toile tu leur dis 30 ans. Car chaque trait tracé aujourd’hui est le résultat d’autant d’années de peinture et d’expériences.»
Fantaisiste Rana Raouda? Peut-être. Pour certains. Mais cette fantaisie n’est pas qu’une évasion. Il apparaît plutôt qu’elle est une expression. Les traits que Raouda tire du réel et qu’elle transporte en son pays abstrait ont le mérite de la pureté. Sans doute ont-ils aussi la qualité d’une certaine signification humaine.
«Ascèse» à Rome

Les œuvres de Rana Raouda sont vues comme « des métaphores concrètes » par le critique d’art italien Marco Tonnelli. Ces «surfaces traversées de couleurs, où glisse, tout doux, le souvenir et l’écho d’un lointain, d’un désir, de possibles trouvailles avec la dimension mystérieuse et indicible de la vision intérieure et de l’entrevue», seront exposées, du 18 au 25 octobre, à Rome, à la galerie Studio Ripetta.
Il est à noter que cette exposition se déroule sous le patronage du service culturel de l’ambassade d’Italie et de l’Association d’amitié et de coopération Italie-Liban.

Maya GHANDOUR HERT
Rana Raouda a composé sa vie autour d’un labyrinthe. Ou plutôt, il semble qu’elle s’y soit réfugiée, à la façon de tout artiste, peut-être, au centre de ce labyrinthe que forment ses toiles. Et c’est là qu’il faut la chercher.C’est un labyrinthe tout à fait intellectuel, très largement abstrait, construit à la façon d’un damier (vagues souvenirs de la vallée...