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La balance de la Justice

Jouant l’informateur-délateur (balance, dans le jargon policier), pour détourner un peu les regards de ses propres services, en ces temps de potences potentielles, un cadre de l’administration se répand dans les salons contre la Justice. Il soutient que le personnel en place est généralement soit malhabile, soit trop habile. Que des dossiers s’accumulent dans des tiroirs qui ne s’ouvrent qu’avec une clé-dollar. Sans préjudice d’une sorte de mise aux enchères des arrêts. Que, bien souvent, l’intérêt professionnel porté à nombre d’affaires traitées relève de l’intérêt personnel.
Un point de vue intéressant. Au-delà de la malveillance manifeste de tels propos, il reste certain que si la réforme, et la modernisation, doivent commencer quelque part, c’est bien au niveau de l’appareil judiciaire. Les juges sont les premiers à le souligner.
Mais le mouvement envisagé s’annonce extrêmement complexe. D’abord parce que jamais l’État ne peut s’autoriser de parler d’épuration par rapport à une magistrature dont l’autorité même est fille de probité. S’il existe des brebis galeuses, ce dont on doit douter au nom même de la loi, il faut imaginer des astuces pour les écarter sans avoir l’air d’y toucher. Vu le niveau de subtilité du politique chez nous, c’est là pratiquement mission impossible.
Ensuite parce qu’il faut repenser tout le système administratif des rôles, des tribunaux, rebâtir différemment la pyramide, l’organigramme comme les prérogatives de la magistrature debout ou assise.
Enfin, il faut que l’on balance (c’est le mot) le fatras de procédures hétéroclites, contradictoires, qui régissent notre code, au pénal comme au civil. Ce qui signifie que l’on doit opter pour un costume moins archaïque que la bizarre tenue franco-turque de drogman, kawass, qui nous sert de toge de prétoire. En d’autres termes, on peut se demander s’il ne serait pas bon de copier l’optique anglaise ou américaine. Ou d’inventer un mélange savant, libanisé, entre cette voie précise et l’héritage français.
Il est en tout cas évident qu’à cause des entraves politiciennes ou socioconfessionnelles qui font de nous, comme notre papa ottoman, un homme malade, aucune commission technique locale ne pourrait s’entendre pour refonder notre justice. Comme Chéhab l’avait fait avec l’abbé Lebret en matière de développement, on devrait donc faire appel à des experts étrangers. Mais où les prendre ? Chez les Anglais, chez les Américains, chez les Français, chez les Italiens ? À ce stade déjà, le choix implique une conclusion déterminée. Peut-être pourrait-on, tant qu’à y faire, se tourner vers l’Onu. Qui se verrait offrir là une occasion en or de remodeler, à sa guise, pour faire la nique à Powell avant qu’il ne s’y mette, un État de cette région-lice.
Car un pays vaut, exactement, ce que vaut sa Justice.
Jean ISSA
Jouant l’informateur-délateur (balance, dans le jargon policier), pour détourner un peu les regards de ses propres services, en ces temps de potences potentielles, un cadre de l’administration se répand dans les salons contre la Justice. Il soutient que le personnel en place est généralement soit malhabile, soit trop habile. Que des dossiers s’accumulent dans des tiroirs qui...