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Actualités

Opinion Entre médias et propagande

Par le Pr. Pascal Monin

Le débat auquel nous assistons aujourd’hui en Occident au sujet de la campagne qui a été menée par les dirigeants américains et britanniques concernant la détention par l’ancien régime irakien d’armes de destruction massive pose avec acuité le problème du rôle des médias en période de conflit. D’une manière générale, peut-on faire confiance aux médias ? Ces derniers rapportent-ils la vérité ou, au contraire, sont-ils devenus l’instrument moderne de la propagande politique, notamment en cas de guerre ? Qui contrôle les médias et dans quelle mesure ces derniers peuvent-ils manipuler l’opinion ? Autant de questions abordées dans les lignes qui suivent par le Professeur Pascal Monin, responsable du DESS en information et communication à l’Université Saint-Joseph.

Il n’y a pas de guerre sans propagande. Dans tout conflit, les belligérants considèrent l’information véhiculée par les médias comme une arme essentielle. La notion de propagande est par conséquent profondément liée, à l’évidence, aux guerres et aux médias. Or, qui parle de propagande parle de manipulation.
La guerre en Irak a mis en évidence le rôle des médias en tant qu’instrument de manipulation. Durant ce conflit, la manipulation de l’information a atteint son paroxysme. Au-delà de la propagande simpliste et « non professionnelle » des Irakiens ou de certains médias arabes, les États-Unis et une partie de leurs médias sont passés maîtres dans les techniques de la propagande et de la communication politique en général. Forts de leur expérience durant la guerre du Vietnam – que les dirigeants US considèrent avoir perdue en raison de l’effet négatif d’une couverture médiatique trop incontrôlée – les experts US en communication ne cessent, depuis, d’étudier les moyens d’assurer à l’Administration de Washington les faveurs de l’opinion avant d’envoyer les boys à la guerre. La manipulation de l’opinion est née aux États-Unis.
Pour convaincre la population de la nécessité de mener une guerre, il faut avoir recours au facteur de la peur. Afin de pouvoir modeler l’opinion publique, il faut la mobiliser, la convaincre. L’un des moyens de le faire, c’est de l’effrayer. Que ce soit en temps de guerre ou en temps normal, les médias ont contribué à entretenir des objectifs à visées idéologiques, tant dans les pays totalitaires que démocratiques. D’où l’effort soutenu de certains services de l’Administration américaine, plus particulièrement après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, de créer dans l’imaginaire du public US une image d’un régime irakien incarnant le danger ultime, le terrorisme international ayant accès aux armes de destruction massive (ADM). Qu’importe si de tels faits ne sont pas vérifiables. L’important c’est le fait qu’une large fraction de la population américaine soit persuadée que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive pouvant atteindre les États-Unis ! Il serait facile sur ce plan de faire un tour rapide des approximations, inexactitudes et informations non vérifiées – et non vérifiables – qui ont été servies sur ce plan au public. « Informations » dûment véhiculées aux quatre coins du monde par des médias « dociles et patriotes ».
Certes, le phénomène n’est pas nouveau. Pendant la guerre du Golfe de 1991, on avait déjà assisté à la propagation de rumeurs qui, reprises sans cesse dans les discours politiques, avaient atteint le statut d’informations. Durant la dernière guerre en Irak, propagande et désinformation n’auront pas été le seul apanage de Saïd el-Sahaf, le fameux ex-ministre de la propagande irakienne. Ainsi, nous avons eu droit devant le Conseil de sécurité à des affirmations catégoriques concernant la détention par l’Irak d’armes de destruction massive. Tout le monde se rappelle à ce propos du cas de ces faux documents rapportant l’achat d’uranium par l’Irak, sur base de documents falsifiés – et réfutés par le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Mohammed el-Baradei.
Dans tous les domaines, la propagande s’efforce de faire simple. Il s’agit de diviser sa doctrine en quelques points aussi clairement définis que possible, comme dans les discours de certains responsables américains qui énoncent des généralités et des informations approximatives qui sont répétées inlassablement : l’axe du bien, l’axe du mal, le terrorisme, les armes de destruction massive…
La guerre de 1991 s’était caractérisée par le monopole de l’information de la part d’une unique chaîne américaine par satellite, CNN, qui avait forgé une image de la guerre plus proche de celle d’un jeu vidéo que de la réalité sanglante de la guerre. À cette époque, le téléspectateur était invité à apprécier la grande propreté des « tirs chirurgicaux » américains. Durant le dernier conflit en Irak, le vice-président Dick Cheney a opté pour une approche plus « humaine » de l’information. Celle-ci était assurée en direct par des journalistes « embedded » (embarqués) qui filmaient les combats du haut des chars américains et britanniques et qui, de ce fait, partageaient forcément, pour la plupart, le même point de vue que les forces de la coalition. L’action de ces équipes de journalistes intégrés aux troupes était dictée par des règles strictes qui limitent la liberté de manœuvre du journaliste. Le manque de recul, l’absence de vérification des sources, le contrôle serré de toute information ont ainsi été monnaie courante dans le traitement journalistique du dernier conflit irakien.
De la 1re à la 2e Guerre mondiale, en passant par la guerre du Vietnam, la guerre du Golfe et dernièrement la guerre d’Irak, la propagande médiatique comme moyen d’endoctrinement et de conditionnement n’a cessé de se développer. Signe des temps : les dirigeants américains, dans leur quête du contrôle absolu de l’image et de l’opinion publique – du moins à l’intérieur des USA –, ont confié l’« Infowar » après le 11 septembre à une professionnelle de la publicité, Charlotte Beers, chargée par le passé de la promotion... du riz Uncle Ben’s !
Lloyd George, ministre britannique durant la guerre de 1914-18, soulignait un jour, fort à propos : « Si les gens savaient vraiment, la guerre serait arrêtée demain. Mais bien sûr, ils ne peuvent pas savoir. »
Par le Pr. Pascal MoninLe débat auquel nous assistons aujourd’hui en Occident au sujet de la campagne qui a été menée par les dirigeants américains et britanniques concernant la détention par l’ancien régime irakien d’armes de destruction massive pose avec acuité le problème du rôle des médias en période de conflit. D’une manière générale, peut-on faire confiance...