La guerre s’empare de son pays et, en exil en France, il rencontre Emir Kusturica : le compositeur aligne pour ce dernier trois bandes originales qui le sortent de l’ombre et le propulsent sur la scène internationale : Le temps des gitans, Arizona Dream Underground et, pour le réalisateur français, La reine Margot. Mais la scène manque subitement au rockeur de première souche qui se lasse du formatage dans lequel le star system voudrait le cadenasser.
Fin du deuxième avatar de Goran Bregovic qui, dès la fin de l’écriture de la partition d’Underground en 1995, se rapproche de la musique de ses racines. Il commence par monter une formation gigantesque qui effraie les organisateurs de concerts. Alors, en 1997, les dix musiciens traditionnels, le chœur de 50 chanteurs et l’orchestre symphonique seront réduits à la forme actuelle de l’Orchestre pour mariages et enterrements, qui s’est produit samedi dernier au Festival de Beiteddine. La troisième vie de Goran Bregovic est encore en cours.
Musiques « ennuyeuses »
Visiblement enthousiasmé par l’accueil des spectateurs et la beauté du panorama, l’artiste a offert deux heures et demie de concert où ont alterné tradition, fusion et rythme lourd. Cordes, percussions, cuivres, vents, «boucles » électroniques et voix, sans oublier les riffs de guitare bluesy du meneur de jeu, en costume blanc et au sourire timide et malicieux, ont magnifiquement convaincu. Il faut avouer qu’il est très difficile de résister à une fanfare tzigane, de ne pas avoir le cœur chaviré par les vocalises bulgares ou de ne pas être impressionné par la sincérité poignante, drôle et folle du « sentiment » slave, qui alterne, sans aucune logique rationnelle, mélancolie et gaieté.
Goran Bregovic confiait, dans une interview, qu’il était capable de composer des musiques « ennuyeuses », sans doute pour mieux ménager les effets totalement incontrôlables d’un Kalachnikov, d’un In The Death Car ou d’un Tango-Ausencia. Après tout, il s’agit d’un orchestre de circonstances de taille que sont le mariage et l’enterrement, aussi importants dans la société yougoslave que dans la société libanaise. Quoi qu’il en soit, la musique de Goran Bregovic séduit (ensorcelle ?) par sa capacité à actualiser une musique venue du fond des âges, sans lui faire perdre son âme – surtout lorsqu’elle est slave.
Échantillonnage brillant de la sensibilité humaine, elle recense les instruments les plus délicats (voix, flûte, violon) et les plus imposants (tuba, grosse caisse) pour offrir un condensé restitué d’une façon d’être. Longue, longue vie à Goran Bregovic. En attendant celles à venir.
Diala GEMAYEL
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