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Interview - « Le Moyen-Orient est en proie à un phénomène historique inverse à celui de 1952 », affirme l’ancien président de la République Amine Gemayel : La nouvelle dynamique régionale rendra au Liban sa souveraineté(photo)

Pour Amine Gemayel, c’est une nouvelle phase dans l’histoire de la région qui a commencé avec la catastrophe du 11 septembre puis l’occupation de l’Irak par l’armée américaine. L’ancien président de la République, qui a effectué, le mois dernier, une tournée aux États-Unis, pense que la troisième guerre du Golfe a servi de catalyseur à un nouveau processus de changement dans la région. Un processus inexorable et dont aucun des régimes arabes n’est à l’abri.
Selon M. Gemayel, les Américains ne pensent pas qu’ils sont en train de s’enliser dans le bourbier irakien. « Les États-Unis avaient besoin de secouer l’ordre politique dans la région et d’essayer de changer le système sur lequel reposent certains régimes en place ; et ils ont atteint leur objectif. Preuve en est : l’onde de choc est ressentie aujourd’hui en Arabie saoudite, en Libye, à Qatar, en Jordanie, en Syrie, etc. », affirme-t-il, mettant en exergue l’ambiguïté des relations syro-américaines, qui reposent selon lui sur un « grand paradoxe. » Il estime ainsi que « les menaces US contre la Syrie ressemblent plus à des appels du pied en direction de Damas. Les Américains préfèrent collaborer avec la Syrie plutôt que de croiser le fer avec elle », souligne-t-il.
Passant au crible le « processus implacable d’une politique US plus musclée dans la région », M. Gemayel évoque « l’avènement d’une nouvelle école de pensée aux États-Unis – avec des figures comme Perle, Wolfowitz, Cheney ou Rumsfeld – favorable au principe de l’action préventive. George W. Bush faisait partie de cette école et, dès son accession à la présidence, ces personnes se sont retrouvées aux postes-clés. Une nouvelle politique était enclenchée ».
Le but de la restructuration entamée par les Américains à Bagdad serait-il l’obtention d’un effet domino dans la région ? « Oui. Powell et les autres le disent clairement : ils veulent d’abord orienter le monde arabe vers plus de démocratie, plus de liberté. Aux États-Unis, les idéologues de George W. Bush ont pris le relais des tacticiens de l’époque des présidents Bush père et Clinton... Ils considèrent que les deux sources du terrorisme sont d’abord la logique révolutionnaire prônée par le marxisme-léninisme, puis le fondamentalisme religieux. La première a été affaiblie depuis le démantèlement de l’empire soviétique, il convient à présent d’éradiquer la seconde. Puis sur le plan économique ils voudraient obliger les uns et les autres à se recycler dans le sens de la nouvelle doctrine de la mondialisation, le modèle étant le système américain. »
Et, estime M. Gemayel, les États-Unis sont en train de réaliser ces objectifs : « De mon point de vue, il y a une grande chance de normalisation en Irak, indépendamment des intentions US. Les Irakiens sont fatalement obligés de s’entendre sur un système qui n’est pas loin de ce que les Américains sont en train de promouvoir », à savoir une approche consensuelle proche du modèle libanais d’avant-guerre. « Ceci aura des répercussions sur tous les autres régimes de la région. Jamais le Moyen-Orient ne sera à nouveau ce qu’il était avant 2001, et l’Irak n’est que l’expression de cette transformation globale », souligne l’ancien chef de l’État.

Un anti-52
Amine Gemayel estime que la région est en train de subir « l’antirévolution nassérienne de 1952, qui avait orienté à l’époque plusieurs régimes arabes vers le socialisme, la dictature, et un nationalisme arabe exacerbé... N’était-ce l’intervention des Marines en 58 en Jordanie et au Liban, le nassérisme aurait envahi aussi toute la région du Golfe. Or, nous assistons actuellement à une rectification par Washington du cours de l’histoire, et la question irakienne a été un déclic dans ce sens. Toute la donne a été renversée, et quel que soit notre jugement de valeur, il s’agit maintenant pour les Arabes de gérer ce fait accompli, d’assumer leurs responsabilités au-delà de la politique de l’autruche suivie jusqu’à présent et d’aider les parties concernées à normaliser au plus vite la situation, cela dans l’intérêt de tout le monde ».
Et d’ajouter : « Durant mes entretiens, aux États-Unis, j’ai proposé une nouvelle approche dans les relations entre Arabes et Américains : la participation (partnership). Le diktat ou le système à caractère paternaliste aura des effets désastreux pour les deux parties. Il faudra gagner la confiance et le cœur des élites : universitaires, ingénieurs, jeunes cadres, hommes politiques, etc. en leur donnant un rôle déterminant dans l’élaboration de la stratégie qui concerne leur propre avenir et celui de leur pays. Ainsi les États-Unis pourraient opérer un véritable changement positif des mentalités qui servira d’exemple dans le monde arabe. Cela est possible aujourd’hui. » Pour M. Gemayel, « une échéance fatidique guette le président George W. Bush, le jugement de l’histoire : conquérant ou réformateur. »

Nouvelle dynamique,
inconscience libanaise
Le Liban officiel, selon Amine Gemayel, est pour l’instant à mille lieux de prendre conscience des mutations en cours. « Ce qui se passe est pire que l’irresponsabilité. C’est de l’inconscience. Depuis déjà quelques années, l’establishment en place repose sur trois éléments. D’abord, la collaboration ; beaucoup de politiciens loyalistes n’auraient pu exister sans leur allégeance au-delà de nos frontières. Ensuite, la corruption, qui est devenue la règle, à tous les niveaux. Et, enfin, le clientélisme, qui aux dépens des lois et des règlements, permet aux privilégiés du pouvoir d’acquérir une base populaire qui, autrement, leur ferait défaut. »
Dans le cadre de son dernier entretien avec Donald Rumsfeld, a-t-il perçu une nette tendance en faveur de la souveraineté du Liban chez les responsables US ? « Toutes les entités de la région ne peuvent qu’être affectées par la nouvelle donne. C’est une dynamique qui est enclenchée et à laquelle aucun des pays de la région ne peut échapper. C’est sous cet angle que je vois une évolution. »
Et la nouvelle dynamique régionale amènerait-elle la fin de la tutelle syrienne ? « Il y aura un moment où la Syrie elle-même comprendra que cette situation est artificielle et risque de se retourner contre elle. Après plus de 25 ans d’occupation du Liban, la situation dans le pays n’a fait qu’empirer. »
Et quel sera l’avenir des pressions US pour le retrait militaire syrien et le déploiement de l’armée au Liban-Sud ? « La présence de l’armée syrienne au Liban est anormale. Indépendamment des positions étrangères, la dynamique en cours va elle-même chasser l’artificiel pour restaurer le naturel. Ce qui implique le déploiement de l’armée libanaise non seulement au Liban-Sud, mais sur tout le territoire libanais, c’est-à-dire l’élimination de toutes les enclaves comme les camps palestiniens ou... Bteghrine », précise-t-il. « D’ailleurs, la Syrie elle-même est en train de se recycler à l’intérieur. Le jeune président Assad a déjà entrepris plusieurs initiatives dans le sens de la modernité, mais évidemment sa tâche n’est pas facile, il a en face de lui un appareil lourd et un héritage envahissant. », ajoute l’ancien chef de l’État.
En ce qui concerne l’avenir des relations libano-syriennes, M. Gemayel estime « qu’elles sont dictées par les impératifs de la géographie et des liens traditionnels, d’où la nécessité de les rationaliser malgré la disparité entre l’idéologie des deux systèmes ».
Quant à la situation sur le plan interne, elle est catastrophique, estime-t-il. « Le pays n’a jamais été autant divisé... artificiellement ; l’état des lieux, notamment celui de l’administration et de la justice est connu de tous ; le service de la dette, supposé diminuer avec Paris II et certaines autres mesures, a augmenté de 11 % selon les chiffres officiels ; l’infrastructure de l’électricité nous a coûté 3 milliards mais le courant n’est assuré que 12 heures par jour ; et j’en passe. Nous vivons au Liban une ambiance de fin de règne, et je ne vois pas dans quelle mesure l’État est encore capable d’initier des réformes sur le plan national. L’alternative est de poursuivre le dialogue au sein de la société civile », dit-il, en citant plusieurs initiatives en cours, dont le dernier séminaire islamo-chrétien de Fatqa, les récentes rencontres entre leaders politiques de tous bords, la formation imminente d’un groupement parlementaire et politique regroupant des ténors de l’opposition chrétienne et musulmane... « Il viendra un moment, favorisé par la nouvelle donne régionale, où tout le monde sera amené à dialoguer sur les moyens de sortir le Liban de ce bourbier et à élaborer un nouveau programme commun. Les anciens schémas seront bientôt obsolètes partout dans la région. Dans ce contexte, je crois difficilement que le Liban pourra échapper à cette dynamique. Il faudrait que les Libanais, notamment notre jeunesse, qui s’est toujours distinguée par son patriotisme, sa sagesse et son courage, comprennent cela et œuvrent dans ce sens. »
Michel HAJJI GEORGIOU
Pour Amine Gemayel, c’est une nouvelle phase dans l’histoire de la région qui a commencé avec la catastrophe du 11 septembre puis l’occupation de l’Irak par l’armée américaine. L’ancien président de la République, qui a effectué, le mois dernier, une tournée aux États-Unis, pense que la troisième guerre du Golfe a servi de catalyseur à un nouveau processus de...