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ARCHÉOLOGIE - Cinq ans après les grandes fouilles, des vestiges sont exposés aux éléments naturels Les sites archéologiques du centre-ville livrés à l’abandon(photos)

C’est entre les années 1993 et 1997 que Beyrouth a connu ce que le magazine spécialisé Archeologia a alors appelé « le plus grand chantier urbain de fouilles archéologiques du monde », dans un dossier spécial de vingt pages publié en 1995. Cet important projet, coexécuté par l’Unesco et le ministère de la Culture, à travers sa Direction générale des antiquités (DGA), en collaboration avec Solidere, en sa qualité de propriétaire des terrains, a donné lieu à des découvertes scientifiques et archéologiques majeures. Certaines d’entre elles ont même bouleversé des idées reçues : à titre d’exemple, alors qu’on pensait que le plan d’urbanisme le plus ancien ayant jamais été élaboré était romain, les fouilles de Beyrouth ont montré que les Phéniciens étaient précurseurs dans le domaine. D’autres découvertes ont élucidé des mystères qui intriguaient les historiens et les archéologues comme l’existence de Beyrouth à l’époque phénicienne, qui n’a été prouvée que par les conclusions des études effectuées au centre-ville.
La plupart des objets archéologiques trouvés sur ces sites sont conservés dans les dépôts de la DGA à Beyrouth et à Saïda. Toutefois, il reste au centre-ville cinq sites archéologiques qu’on peut considérer comme des « vestiges immobiliers ». Ce sont ces sites dont le comité scientifique international, créé par l’Unesco et composé des plus grands archéologues du monde, revendique aujourd’hui la préservation, vu leur importance.
Ces sites se répartissent comme suit : le tell phénicien à proximité du nouveau siège du quotidien an-Nahar, la ville phénicienne dans la région des souks, le site du Cardo maximus (la grande rue romaine), qui s’étend à partir des deux cathédrales Saint-Georges, des maronites et des orthodoxes, à l’église Saint-Élie pour les grecs-catholiques, le quartier hellénistique à la place des Martyrs, et le site sous la Banca di Roma, à la place de l’Étoile.

Envahis par les mauvaises herbes et les ordures
Qu’est-il advenu de ces sites depuis les fouilles ? Cinq ans après la fin du projet, les sites paraissent abandonnés, couverts de mauvaises herbes et de plantes qui poussent sur leurs murs, envahis par les ordures... Lors d’une tournée sur le terrain, nous avons remarqué que les murs antiques, les colonnes et les pierres, âgés de milliers d’années et ayant traversé de nombreuses époques, résistent toujours au temps, malgré leur exposition constante au vent, à la pluie et au soleil. Sans compter que l’hiver dernier a été particulièrement rude, et que les pluies torrentielles ont causé l’inondation des sites...
Cependant, les archéologues, notamment les chefs de missions scientifiques qui ont fouillé ces sites, mettent en garde contre la destruction et l’effritement des vestiges si l’on continue à les délaisser sans entretien ni protection. En effet, c’est parce qu’ils étaient enfouis sous terre que ces sites ont été préservés durant des siècle. Depuis leur mise au jour, il est devenu impératif de les maintenir régulièrement en bonne condition, sinon on aurait gaspillé tout l’argent dépensé sur les fouilles, et perdu, par le fait même, des sites et des informations historiques qui auraient représenté un apport financier, touristique et culturel important.

Prétexte éternel :
la politique d’austérité
Il y a des années déjà que le comité scientifique de l’Unesco recommande à la DGA d’entreprendre des travaux d’entretien sur les sites. Cette dernière aurait dû, par la même occasion, les réhabiliter et les restaurer, dans l’objectif d’en faire des sites touristiques ouverts aux visiteurs. Mais il semble que l’argument de « la politique d’austérité et du manque de fonds » soit l’éternel prétexte et la seule constante de la politique culturelle et archéologique officielle.
Il faut rappeler que la DGA n’a entrepris des actions en faveur de la préservation des sites du centre-ville qu’à deux reprises : une première fois, durant le printemps 2001, lorsque quelques travaux d’entretien et de consolidation ont été effectués dans le tell phénicien, du fait que ses vestiges menaçaient de s’effondrer. La direction a alors choisi de recouvrir une grande partie du site de sacs de sable, se délestant ainsi du souci que représente son entretien annuel. Par ailleurs, il y a trois mois, la DGA a enfoui la totalité de la ville phénicienne sous le sable, en prévision des travaux de construction du grand parking, situé au-dessus du site. Ce dernier devrait être de nouveau mis au jour et ouvert au public, dans le cadre d’un projet de réhabilitation que Solidere promet d’exécuter.
Il ne faut pas oublier non plus le « Jardin du pardon » situé à l’emplacement des églises, dont les préparatifs ont commencé il y a plus de deux ans. Des informations font état de la réalisation prochaine du projet.
Michel Eddé, ancien ministre de la Culture, qui se considère comme le « père » du projet de fouilles archéologiques au centre-ville, tire la sonnette d’alarme. Il exprime son « inquiétude profonde sur le sort de ces sites sur lesquels on a dépensé des millions ». « Allons-nous les perdre en raison de la négligence et sous prétexte du manque de fonds ? » s’indigne-t-il. « Nous exigeons une action rapide pour protéger notre culture et notre patrimoine. » À bon entendeur salut.

May ABBOUD ABI AKL
C’est entre les années 1993 et 1997 que Beyrouth a connu ce que le magazine spécialisé Archeologia a alors appelé « le plus grand chantier urbain de fouilles archéologiques du monde », dans un dossier spécial de vingt pages publié en 1995. Cet important projet, coexécuté par l’Unesco et le ministère de la Culture, à travers sa Direction générale des antiquités...