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La niche de la honte

Dans un Liban plus que jamais schizophrène, habité par deux réalités – celle, tout en rose, du pouvoir, et celle, ô combien sépulcrale, de l’opposition – une poignée d’étudiants et d’hommes politiques s’apprêtent à commémorer aujourd’hui l’un de ces événements qui devraient donner mauvaise conscience à l’État, au pouvoir, à la majorité silencieuse : les rafles du 7 août 2001.
La France a ses « trois glorieuses ». Nous avons nos « trois honteuses ». Les 7, 8 et 9 août 2001. Trois journées durant lesquelles les services de sécurité, inspirés sans doute par l’expérience de régimes bien peu démocratiques, ont embarqué sans vergogne des centaines de jeunes en raison de leurs idéaux politiques, en l’occurrence la fin de l’étouffante tutelle syrienne sur le Liban et le rétablissement de la souveraineté du pays, pour les jeter au cachot comme de vils criminels. Trois journées durant lesquelles d’autres jeunes, solidaires de leurs compatriotes, ont été littéralement rossés devant, comble de l’ironie, le Palais de justice, par des caïds en complet veston. Sous les yeux des soldats de l’armée et des FSI, indifférents, sinon complices. Incroyable spectacle, aussi loin que possible du slogan de l’État de droit, de ce modèle consensuel libanais que l’on ne cesse de professer, en ville, dans les salons des Palais, d’un Liban fondé sur les libertés, les droits de l’homme, le respect de l’autre...
Mieux encore, l’inculpation et l’humiliation de MM. Toufic Hindi, Habib Younès et Antoine Bassil, suite à un complexe de complotite aiguë. Complexe qui n’a d’ailleurs jamais été prouvé ou confirmé. La honte, comme le ridicule, ne tue pas.
Deux ans plus tard, que reste-t-il de la honte de ces trois journées ? Pas grand-chose. Le Liban a décidément bien des difficultés avec ses démons, et ses nombreux mauvais génies, locaux et régionaux, qui l’empêchent d’aller de l’avant dans la purification de sa mémoire collective.
Preuve en est : les responsables du traumatisme d’août 2001, et ils sont nombreux à tous les niveaux de l’État, n’ont pas été sanctionnés. Il est vrai que Rafic Hariri a été débordé par les soucis d’ordre économique, et que la défense des libertés n’a jamais vraiment été sa tasse de thé.
Antoine Bassil est toujours en prison. Habib Yaounès a perdu son poste au quotidien al-Hayat. La MTV, la seule télévision à avoir osé reproduire les images de la honte, a été condamnée dès le soir même, par la volonté d’un seul homme, dit-on. Mais le caprice s’était heurté à la résistance – autre temps, autre époque – des ministres joumblattistes en Conseil des ministres. Et ce n’est pas fini. L’interpellation adressée au gouvernement par les députés de Kornet Chehwane après les événements d’août 2001 n’a cessé d’être reportée, à la Chambre, priorité aux déchets naturels et aux carrières oblige... Nabih Berry craint-il de sortir du « politiquement correct », de transformer la Chambre en véritable lieu de dialogue national, ou encore de rendre au Parlement son rôle de contre-pouvoir ?
Mais la plaie principale se situe au niveau de l’entretien de la mémoire collective. L’absence de sanctions contre les coupables et la banalisation de la violence des images du 9 août ont encouragé les forces de l’ordre à poursuivre, et de plus belle, la répression des étudiants. Et même l’opposition, qui avait organisé l’an dernier un meeting à Antélias pour faire preuve de cohésion face aux agissements du pouvoir, a choisi cette année l’envers de l’unité pour se souvenir : manifestation samedi des aounistes devant le Palais de justice et conférence de presse hier des autres forces de l’opposition à l’Ordre des journalistes. Une dispersion dans les rangs qui donne aux tragiques événements d’août 2001 un arrière-goût amer de débandade. Alors que ce que les Libanais aimeraient voir, pour cette commémoration, c’est un vaste rejet, par toutes les forces politiques libres et démocratiques, à l’échelle nationale, des pratiques barbares des 7, 8 et 9 août. Pour que de tels actes ne se reproduisent plus.
Mais pourquoi attendre les autres, les responsables. Pourquoi les citoyens n’iraient-ils pas jeter, aujourd’hui, demain, et après-demain, des fleurs, devant le Palais de justice, à titre d’exemple ? Pour conjurer la brutalité du 7 août, démanteler la haine qui habite certains esprits figés. Et, surtout, pour quitter définitivement la niche de la honte.
Michel HAJJI GEORGIOU
Dans un Liban plus que jamais schizophrène, habité par deux réalités – celle, tout en rose, du pouvoir, et celle, ô combien sépulcrale, de l’opposition – une poignée d’étudiants et d’hommes politiques s’apprêtent à commémorer aujourd’hui l’un de ces événements qui devraient donner mauvaise conscience à l’État, au pouvoir, à la majorité silencieuse :...