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Interview - « Je suis l’héritier d’une cause politique », affirme le fils de l’ancien président de la République Nadim Gemayel : « On a voulu mutiler le message de Béchir » (photo)

Il vient à peine de faire ses premiers pas sur la scène politique locale – en prenant part notamment à la bataille de Baabda-Aley au côté de Hikmat Dib – et, déjà, il fait l’objet de critiques et d’attaques de toute sorte. Il sait que tout le monde, ses amis comme ses ennemis politiques, l’attend au tournant, qu’il hérite d’un nom chargé de symbole : celui de son père, le président Béchir Gemayel. Tout cela n’étonne guère Nadim Gemayel, qui déplore cependant le déluge de préjugés et d’idées préconçues dont il fait l’objet, avant même qu’il ne lui ait été donné la chance de se défendre, de parler de lui. Ce qu’il fait, à L’Orient-Le Jour, spontanément.
À 21 ans, Nadim Gemayel est actuellement inscrit en maîtrise de droit public international, à Paris II-Assas. « Si j’ai décidé de faire mes études à l’étranger, c’est pour me concentrer uniquement sur mon cursus universitaire. Je retourne au Liban plusieurs fois par an, et je n’ai pas de problème au niveau de la connaissance du terrain. J’ai tout le temps ensuite de revenir pour me concentrer sur l’action politique. Si j’évoque cela dans le cadre de cet entretien, c’est parce qu’on me critique souvent sous cet angle », précise-t-il. « C’est compréhensible que l’on m’adresse ce genre de reproche, mais mon séjour à l’étranger n’affecte en rien mon engagement ou mes positions, que j’exprime par conviction », poursuit M. Gemayel. « Par ailleurs, je rentre au Liban l’an prochain pour faire le droit libanais et un diplôme de sciences politiques à l’USJ », ajoute-t-il.

Le rêve de Béchir
Quelle est sa vision de Béchir Gemayel ?
« Béchir est beaucoup plus que mon père. C’est mon mentor. Il continue à être l’idole des jeunes. Ceux parmi eux qui assistent chaque année à la messe du 14 septembre n’ont pas connu Béchir. En son temps, il a évoqué des sujets qui touchent les jeunes, des thèmes que personne n’aborde aujourd’hui. L’État qu’a voulu Béchir est devenu un rêve d’avenir. En assassinant l’homme, c’est quelque part une certaine idée du Liban qu’on a voulu détruire. Il parlait de “l’État de l’an 2000”, qu’il n’a jamais pu réaliser, mais dont il a semé les grains durant 21 jours. Personnellement, je voudrais reprendre le flambeau là où Béchir a été assassiné. Je rejette tout ce discours qui me taxe de prochrétien, de figure communautaire. Mon discours est adressé à l’ensemble des Libanais. Je suis persuadé que le Liban ne peut pas survivre sans un accord entre toutes ses composantes. L’essence de ce pays, c’est son pluralisme et ce dialogue interlibanais », répond-il. « Ces critiques et ces intimidations dont je fais l’objet sont adressées à Béchir. Elles sont inacceptables. On cherche à mutiler le message qu’il a laissé » avant de disparaître, souligne-t-il.
Fait-on assumer à Nadim Gemayel la responsabilité d’une certaine époque, de certaines circonstances ? « Ce n’est pas un problème. Mais je voudrais que l’on puisse comprendre la vraie vision de Béchir. Nous avons tous nos convictions, nos martyrs, nos victimes, mais cela ne doit pas mener à des préjugés. Béchir a peut-être été, au début, un leader communautaire, ou le représentant d’une partie des Libanais. Je crois que c’est compréhensible, dans une certaine mesure, à une époque où les Palestiniens ont voulu gouverner le Liban. Il a voulu défendre le pays, et notamment les chrétiens, qui étaient directement affectés par la présence palestinienne. La guerre a immédiatement pris une coloration communautaire, alors qu’en réalité, Béchir a voulu mener une guerre de libération contre les Palestiniens et les Syriens. Quand il est arrivé à la présidence de la République, beaucoup de Libanais, chrétiens et musulmans, ont été convaincus – par la force des idées – par son projet politique. Et ce projet vit encore aujourd’hui en chacun de nous, dans l’espoir d’un avenir meilleur pour le Liban », affirme-t-il. Et de poursuivre : « Malheureusement, beaucoup de Libanais ont oublié l’image du Béchir des 10 452 km2. L’État libanais ne veut pas l’admettre en tant que président et martyr. Ceux qui ont essayé de le tuer en 1980, qui ont assassiné ma sœur Maya et qui ont réussi à l’assassiner en 1982 n’ont aucun intérêt à permettre au Liban que voulait Béchir de voir le jour. Les Syriens ne peuvent justifier leur présence au Liban qu’en invoquant le prétexte d’empêcher l’éclatement d’une guerre civile. C’est pourquoi ils tentent d’aviver les tensions communautaires en mobilisant contre l’image de Béchir, tout en enfermant cette dernière dans un carcan communautaire. Alors que si l’on rendait au président sa véritable dimension de symbole national, il pourrait servir de plate-forme pour l’unité de tous les Libanais autour de l’idée de l’État de droit. »

Purifier la mémoire collective
Comment promouvoir le dialogue et l’unité nationale, et autour de quoi ? « Pour jeter les bases d’un véritable dialogue entre chrétiens et musulmans, qui est essentiel aujourd’hui, à l’heure où la région est en proie à un regain de puissance du religieux, il faut œuvrer au niveau des mémoires collectives pour parvenir à une version commune de l’histoire du pays et de la mémoire collective. Pour aller à la rencontre de l’autre, il faut mettre de côté ses préjugés et ses convictions, et essayer de trouver de nouvelles idées ensemble. Dans ce sens, il faut que les jeunes soient associés au pouvoir. La classe politique est corrompue. Nous avons besoin de jeunes pour rebâtir le Liban. Mais ces jeunes sont soit à l’étranger, soit complètement démoralisés et désintéressés de la politique. Ils vivent dans leur propre pays avec une mentalité d’émigré. Et aucune de nos écoles ne forme au niveau citoyen, loin de la communauté, du clan ou de l’individu », estime Nadim Gemayel. Avant de préciser qu’il faut d’abord que les conditions d’existence du pays soient garanties avant la formulation de tout pacte interlibanais : la souveraineté, l’indépendance, l’État de droit, la reconnaissance de toutes les libertés, de la Constitution, des devoirs des citoyens, la démocratie... et l’identité libanaise. « L’esprit libanais est formé de plusieurs identités, qui forment à leur tour l’identité libanaise. Cela n’empêche pas l’adhésion du Liban au monde arabe, dans ses spécificités, à travers des unions d’ordre culturel ou économique », précise-t-il.

Joumblatt et l’État
« fédéralo-féodal »
Nadim Gemayel ne pense pas qu’il est en train de transmettre un message sectaire, ce dont l’a accusé Walid Joumblatt il y a quelques jours : « Je suis fier d’appartenir à l’une des communautés du Liban, mais je suis en faveur d’un pays qui serait à tous, également, loin de la logique du vainqueur et du vaincu. Je revendique aussi un État libre, au sein duquel les chrétiens, mais aussi les musulmans, pourront s’exprimer en toute liberté. Il faut deux “personnes” libres pour pouvoir dialoguer, s’engager, s’unir et reconstruire. Or, les Syriens empêchent cela, dans le but de garder leur mainmise sur le Liban. »
« Je refuse cette étiquette de sectaire. Mon but est d’œuvrer au plan national, pour tous les Libanais. Les propos de M. Joumblatt ne m’ont pas dérangé. Il peut changer d’avis demain. Nous sommes tous habitués à ses revirements quotidiens. Je me demande qui est vraiment sectaire dans tout cela. Lorsque Joumblatt parle de remodelage des circonscriptions électorales en sa faveur et à sa mesure, cela n’est-il pas le summum du féodalisme politique et du sectarisme ? Peut-être cherche-t-il à édifier un État fédéralo-féodal ? Quant à cette question d’héritage politique, cela ne tient pas debout. Je suis l’héritier d’une cause politique. Aujourd’hui, je me retrouve au côté des aounistes et des FL. Demain, peut-être que ce sera au côté du Forum démocratique de Habib Sadek, par exemple», ajoute M. Gemayel. Interrogé sur son éventuelle adhésion au Rassemblement de Kornet Chehwane, il indique qu’« il est encore trop tôt pour prendre cette décision », en émettant toutefois des réserves quant au rendement du groupe : « La MTV était une tribune pour nous tous. À mon avis, les combats ne se font pas seulement dans les salons. Il faut aussi savoir descendre dans la rue. Or, certains ont peur pour leurs intérêts et n’accepteraient pas de manifester. C’est dommage parce qu’ils font passer leurs intérêts avant la cause. Et ils sont nombreux. »

Michel HAJJI GEORGIOU
Il vient à peine de faire ses premiers pas sur la scène politique locale – en prenant part notamment à la bataille de Baabda-Aley au côté de Hikmat Dib – et, déjà, il fait l’objet de critiques et d’attaques de toute sorte. Il sait que tout le monde, ses amis comme ses ennemis politiques, l’attend au tournant, qu’il hérite d’un nom chargé de symbole : celui de son...