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Tribune - Manque de compétences et méconnaissance totale des principes modernes La tarification électrique, un domaine complexe mais capital de toute politique énergétique

La décision de la direction de l’EDL et de son ministère de tutelle, rejetée par le gouvernement, d’augmenter l’abonnement à l’Office de l’électricité en vue d’augmenter ses recettes ne pouvait que consterner les experts. Elle faisait complètement fi des recommandations faites par Électricité de France dans une étude réalisée en 1998-1999 sur une refonte de la structure tarifaire de l’office et traduisait une méconnaissance totale des principes modernes de construction d’un tarif et de leurs raisons d’être économiques. Apparemment, elle ne suivait pas non plus les recommandations plus récentes d’une nouvelle société, anglaise celle-là, appelée récemment à la rescousse. Il est d’ailleurs étonnant que les conclusions de la première étude, réalisée par le grand spécialiste d’une des sociétés d’électricité les plus à l’avant-garde au monde (EDF), aient bénéficié de si peu de crédit auprès de nos dirigeants et qu’il ait fallu financer une seconde étude dont les conclusions, d’après ce que la presse en a rapporté, n’étaient pas très éloignées de celles de la première. Francophobie ? Manque de prestige d’EDF ? Ou plutôt manque de compétences et incapacité des cadres de l’EDL à assimiler les principes utilisés et à actualiser eux-mêmes les conclusions de l’étude en fonction des données économiques nouvelles ? Probablement les trois à la fois. Toujours est-il que les remarques suivantes peuvent être faites au sujet des dernières vues de nos dirigeants en matière de tarification électrique :
1- L’existence de charges fixes telles que la « location d’un compteur » et le « droit de timbre » (qui constituent en fait, et plus simplement, des frais abonnement) ou telles que les charges fixes « de réhabilitation » font que le prix moyen du kWh est plus élevé pour les petits consommateurs que pour les grands. Augmenter ces charges fixes ainsi que le proposaient EDL et son ministère de tutelle ne fait qu’aggraver l’écart entre les prix moyens payés. Actuellement, l’effet de redistribution recherché à travers l’actuel tarif basse tension (cas du secteur résidentiel), caractérisé par une structure par tranches et une très forte progressivité, est déjà complètement annulé. Le but de cette structure tarifaire est en effet de faire payer les plus gros consommateurs un prix moyen du kWh nettement supérieur à celui que paient les plus petits, puisque les 100 premiers kWh sont facturés 35 LL/kWh contre 200 LL au-delà du 500e kWh, et d’organiser par là une fois de plus un transfert opaque de ressources pour pallier l’inefficacité du système fiscal libanais qui devrait représenter, lui, le véritable mécanisme de redistribution de la richesse nationale. Or, avec des charges fixes de « réhabilitation » de 5 000 LL/mois et des frais de compteur et de timbre de l’ordre de 7 700/mois, charges qui augmentent d’année en année, par petites touches et sans faire de bruit, la consommation de 100 kWh par mois coûte aujourd’hui, TVA incluse, 16 550 LL soit 165 LL/kWh, alors que la consommation de 500 kWh coûte, elle, 50 650 LL soit 101 LL/kWh !
2- Pire, l’actuel système a pour but (mais nous venons de voir que c’est raté) de mettre à contribution indistinctement aussi bien les gros consommateurs privés que les producteurs dont une matière première essentielle, l’électricité, est en quelque sorte taxée pour le confort de la collectivité ! En effet, le prix moyen payé par les industriels abonnés en haute et moyenne tension est en moyenne de l’ordre de 140-150 LL/kWh, soit près de 10 cents/kWh, contre 146 LL/kWh pour l’ensemble des abonnés BT, alors que le coût de l’électricité livrée en HT et MT est nettement inférieur à ce qu’il est en BT ! Outre la confusion opérée entre produit de consommation et matière première, on pénalise l’industrie nationale en augmentant ses coûts de production au profit des consommateurs passifs. Brillant !
3- Les autorités du pays semblent par ailleurs ignorer, alors même qu’elles se disent mobilisées par la privatisation des entreprises industrielles du secteur public, que ces entreprises, une fois privatisées, n’auront pas pour vocation de jouer un rôle de redistribution sociale. L’optique purement commerciale qui sera celle des investisseurs privés (les nouveaux propriétaires) devrait plutôt les pousser à encourager la consommation électrique à travers un tarif dégressif offrant rabais et facilités diverses aux gros consommateurs et pénalisant les petits d’entre eux dont l’abonnement sera nettement moins profitable aux sociétés d’électricité. La logique de gestion privée aboutira donc exactement à l’inverse de la situation actuelle. Heurter cette logique commerciale de front et dès maintenant, c’est donc doucher à l’avance l’enthousiasme des investisseurs potentiels et préparer le terrain à des conflits sociaux futurs dans lesquels ils se retrouveront en première ligne...
Ce qui précède illustre donc bien l’absence totale de pensée économique derrière l’actuelle grille tarifaire et derrière la décision d’EDL et du ministère de l’Énergie, heureusement rejetée par le gouvernement.

L’étude d’EDF
L’étude menée par EDF en 1998-1999 avait bien mis en exergue les problèmes mentionnés ci-dessus. Son statut d’acheteur potentiel ne pouvait d’ailleurs que le lui recommander. Pourtant, organisme public par excellence, EDF proposait une nouvelle grille tarifaire basée sur une méthode de facturation dite « au coût marginal ». Le kWh y est facturé sur la base du coût de production d’un kWh additionnel, équipements inclus. C’est une méthode de facturation à fort relent social puisqu’elle est exclusivement destinée à empêcher les monopoles de dégager le moindre profit. Des ajustements de la grille doivent même être apportés pour permettre au monopole de couvrir l’ensemble de ses frais, le coût moyen du kWh, tous frais inclus, étant supérieur à son coût marginal lorsqu’on opère en situation d’économies d’échelles. Ceux qui vitupèrent contre la persistance de monopoles feraient bien de méditer là-dessus et, mieux, de retourner à leurs cours de microéconomie de 2e année d’université.
Pleinement conscient des contraintes de sens opposé auquel un organisme tel qu’EDL est soumis, EDF proposait donc pour le secteur résidentiel un tarif « plat », ni progressif ni dégressif, mais avec la création d’un tarif réellement « social » pour les petits consommateurs (moins de 10 A et moins de 300 kWh par mois). En MT et en HT, le tarif proposé était modulable en fonction de l’heure de la journée, y compris pour les concessions. Une prime fixe persistait, mais cette fois-ci avec une réelle signification économique puisqu’elle correspondait à certains coûts marginaux de distribution qui sont, eux, fixes. Compte tenu des données de 1998 (baril de brut à 13-14 $) et des projections sur la demande d’électricité et sur le prix du baril à l’horizon 2005, et après ajustement de la grille de manière homothétique (même pourcentage pour tous les abonnés) pour permettre à EDL de couvrir l’ensemble de ses frais année par année, EDF arrivait à la conclusion que les majorations de tarif suivantes devaient être réalisées (nous les donnons pour les principales catégories) :
1- Concessions HT : +77 % en moyenne ;
2- Autres abonnés HT (industries lourdes notamment) : -17 % à 123 LL/kWh en moyenne, soit 8,2 cents US ;
3- Concessions MT : +140 % en moyenne ;
4- Autres abonnés MT (industries, hôtels, hôpitaux, etc) : +1 %, lorsque le transformateur appartient à l’abonné, à 139 LL/kWh en moyenne, soit 9,2 cents US ;
5- Tarif général BT : +33 % en moyenne.
EDF précisait aussi qu’en 1998 le combustible représentait 40 % seulement des charges d’EDL de sorte que, même avec le doublement actuel du prix du baril (près de 28 $), il suffirait d’une augmentation des recettes de 40 % pour couvrir les dépenses de l’office. Cette augmentation peut être réalisée par la simple facturation et le recouvrement de 70 % de l’électricité volée puisqu’en 1998, pour 100 kWh facturés, 56 ne l’étaient pas. La facturation et le recouvrement intégral augmenteraient, eux, les revenus de l’office de 56 % très exactement !
Les résultats de cette étude avaient donc de quoi réjouir autant les industriels que les âmes charitables de ce pays. Les perdants en étaient les concessions et les consommateurs ordinaires. Mais tout le monde ne payait en fin de compte que le prix de l’électricité livrée, compte tenu des prévisions de croissance et des besoins futurs en équipement. EDL, contrairement aux futurs propriétaires-investisseurs, n’engrangeait aucun bénéfice.
Malheureusement, six mois après son achèvement, personne ne s’était soucié de cette étude, mis à part le ministère des Finances et ses conseillers, mais leurs commentaires étaient accueillis par des silences polis. Trois ans plus tard, on estimait devoir faire appel à une nouvelle société et engager de nouveaux frais d’études. Entre-temps, rien.

Autres développements
potentiels
Malgré la complexité et le brio admirables de son étude, EDF n’avait pourtant pas épuisé la palette des instruments de régulation et de contrôle des monopoles dont disposent les économistes aujourd’hui. L’un des plus fréquemment appliqués, « la discrimination au deuxième degré », consiste à soumettre des catégories différentes de consommateurs à des tarifs différents, l’ensemble des recettes devant couvrir l’ensemble des dépenses. Cette différentiation obéit à des critères purement politiques liés aux modèles de développement suivis par un gouvernement. EDF y a eu recours, en fait, en proposant un tarif social en BT, le manque à gagner couvert par les autres abonnés en BT et par eux seuls.
Toutefois, le tarif proposé en heures de pointe aux industriels abonnés en MT et en HT demeurait excessivement élevé (218 LL/kWh, soit 14,5 cents US) et aurait pu faire l’objet d’aménagements supplémentaires dans le but d’accroître davantage la compétitivité de l’industrie nationale. Il se serait agi alors de choisir les catégories d’abonnés devant suppléer au manque à gagner créé par ces aménagements, opération qui relève de la stratégie économique de nos dirigeants et qui aboutit à arbitrer entre plusieurs transferts possibles : transfert des consommateurs vers les producteurs si la surcharge s’applique au secteur résidentiel et si le gouvernement estime prioritaire de produire à bas prix, de développer les exportations et de favoriser la création d’emplois ; transferts de tous les citoyens vers les producteurs si elle s’applique aux établissements publics qui bénéficient jusque-là de tarifs privilégiés puisque le fonctionnement de ces établissements est financé par le budget central dont les recettes sont assurées par l’ensemble de la communauté nationale ; etc.
Aussi longtemps qu’EDL appartiendra à l’État, il reviendra à celui-ci de définir clairement ses priorités en matière de développement économique et de laisser les experts mettre en place une structure tarifaire appropriée. Une fois l’office privatisé, il reviendra aux organismes de régulation de négocier avec les opérateurs privés l’application de ces priorités. Une tâche autrement plus difficile et qui exige un niveau de culture économique auquel ne nous ont pas encore habitué nos dirigeants.
Par Charles Abdallah, Ingénieur-économiste
ancien conseiller au ministère des Finances (1999-2000) »
La décision de la direction de l’EDL et de son ministère de tutelle, rejetée par le gouvernement, d’augmenter l’abonnement à l’Office de l’électricité en vue d’augmenter ses recettes ne pouvait que consterner les experts. Elle faisait complètement fi des recommandations faites par Électricité de France dans une étude réalisée en 1998-1999 sur une refonte de la...