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Conférence - Qu’en est-il de la dignité humaine dans le code pénal ? Hurriyat Khassa revient à la charge et critique « la modernisation » des lois

Ils sont venus en force hier au théatre al-Madina pour soutenir la campagne lancée par Hurriyat Khassa sur la « réforme » du code pénal. Militants des droits de l’homme, avocats, universitaires et intellectuels de tous bords ont pris part à la conférence-débat portant sur les questions des droits de l’homme, de la femme, des minorités, sur la liberté d’expression, bref sur l’ensemble des droits que le code pénal est censé refléter dans le respect de la Constitution libanaise et des conventions internationales.

Entamée il y a quelques mois, la « réforme » du code pénal avait donné lieu à une nouvelle mouture mise en place par la commission de la modernisation des lois. Elle a été vivement dénoncée par Hurriyat Khassa comme étant un projet « irrespectueux de la dignitié humaine » et en « violation des principes fondamentaux de droits de l’homme ». C’est dans le prolongement de cette campagne que Hurriyat Khassa, une institution privée pour la défense des droits des citoyens, a organisé en collaboration avec plusieurs ONG locales – l’Association libanaise des droits de l’homme, le Rassemblement démocratique féminin libanais et Amnesty International – un débat public sur les thèmes-clés suscités par ce texte. Malgré la gravité du sujet, l’ambiance est restée décontractée. Selon les conférenciers, « plus on avance dans le temps, plus les espaces laissés aux libertés publiques et privées rétrecissent, à la manière d’une peau de chagrin ».
« C’est l’un des textes les plus importants qui organisent la vie et la responsabilité des personnes ainsi que leurs comportements au sein de la famille et de la société », a affirmé le représentant régional du bureau du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme aux Nations unies, Amine Makki Madani, en introduisant le code pénal. Il a en outre rappelé que ce texte fondamental « concerne en définitive chacun de nous, gouvernants aussi bien que gouvernés ». M. Nabil Maamari, professeur à l’USJ, a relevé pour sa part que ce texte « est censé mettre des limites à l’ingérence des autorités publiques dans les sphères (publiques et privées) de l’individu en préservant les espaces de liberté qui lui sont réservés ». C’est, dit-il, l’un des textes les plus « dangereux », mais également, « celui qui reflète le degré de civilisation de chaque État ».
Évoquant le thème de « la dynamique sociale avortée », l’avocat Nizar Saghiyeh, l’un des membres directeurs de Hurriyat, a expliqué comment le nouveau texte est venu « privatiser l’espace public et nationaliser l’espace privé ». Il cite au passage l’article 301 qui, dit-il, « ne vise pas à préserver la Constitution ou même le régime qui en est issu. Il cherche plutôt à protéger le système politique en place, quelle que soit sa légitimité ou sa constitutionnalité ». Plusieurs articles ont contribué en outre à réduire « la possibilité de demander des comptes à l’Exécutif », qui jouit d’une liberté d’action quasi absolue, a-t-il ajouté en dénonçant notamment les articles qui visent à « dissuader » les citoyens de critiquer l’État ou son Administration (articles 185 et 387).
Quant à la sphère privée, elle n’a pas non plus échappé à l’emprise de l’État. Selon l’avocat, ce dernier a imposé aux citoyens « son propre modèle », en faisant notamment la promotion du principe « du couple marié au sein de sa propre communauté et conformément aux statuts personnels ». « Toute exception à cette règle est par conséquent sanctionnée par la loi. C’est le cas des enfants naturels et des homosexuels », autant de personnes qui sont socialement et juridiquement marginalisées, a-t-il ajouté.
Citant les articles 185, 363 et 387 du projet de réforme du code pénal, Mohammed Mattar, avocat, a souligné que ces textes « sont en violation totale avec les dispositions de la Constitution ». Il a précisé que le système politique ainsi que le système juridique tendent ainsi à neutraliser « tous les moyens de contrôle » des gouvernants, soit en protégeant ceux qui exécutent des ordres illégaux, soit en faisant obstacle à la lutte contre la corruption.
« Si Jean Pradel – un grand pénaliste français – venait à étudier les perles enfouies dans le projet de réforme du code pénal libanais », il aurait plus d’une remarque à faire, a affirmé Ziad Baroud, avocat et militant pour les droits de l’homme. Il s’agit, selon lui, d’un « texte on ne peut plus politisé ». Citant Alexis de Tocqueville qui a estimé que la liberté d’association « est la mère de toutes les libertés », M. Baroud a rappelé que la loi d’association de 1909 est, sous cet angle, très « libérale ». « L’article second de cette loi ne prévoit pas d’autorisation préalable, mais exige une simple notification du ministère concerné », a rappelé l’avocat, en précisant que cette loi ne s’est pas toutefois prononcée sur les associations secrètes. C’est le code pénal qui l’a fait. « La nouvelle loi a été amendée dans un sens restrictif des libertés d’associations alors que l’ancien code présentait plus de garanties quant aux conditions d’incrimination », a indiqué M. Baroud. Évoquant le décret pris en 1992 portant sur l’annulation de 138 associations à but social et politique, « sous motif qu’elles n’avaient pas présenté leur notification au ministère » – l’avocat a mis en garde contre le risque de voir les autorités recourir à nouveau au même type d’interprétation.
« Si le régime veut véritablement empêcher la constitution d’associations secrètes, il devrait accorder plus de liberté aux associations», a souligné Hassan Krayyem, professeur de sciences politiques. D’ailleurs, dit-il, sous prétexte que « les changements risquent de mettre en péril les acquis, le législateur a échoué jusque-là à effectuer les réformes nécessaires ».
C’est ensuite au tour de Abdallah Zahiya, avocat, de dénoncer la politique suivie par le gouvernement en matière de protection de l’environnement. L’avocat a été jusqu’à accuser les responsables d’enfreindre eux-mêmes les lois, notamment celles qui ont trait au domaine public maritime. Le Liban « s’est transformé en un butin que nous nous disputons », a-t-il dit. Quant à la commission de la modernisation des lois qui a élaboré le projet de réforme du code pénal, « elle devrait commencer elle-même par se moderniser ».
Le chapitre des droits de la femme a été évoqué lors la séance de l’après-midi après la projection d’un magnifique film présentant des témoignages de femmes violentées, une œuvre réalisée par Nadine Touma et Sévine Ariss. Marie-Rose Zalzal s’est prononcée sur la question, critiquant notamment l’article 551 qui a « allégé de 2 ans la sanction prévue à l’encontre d’une femme qui a tué son enfant illégitime », alors que l’ancien code était plus vigilant, a précisé l’intervenante. Elle a dénoncé également l’article 522 qui stipule l’arrêt des poursuites à l’encontre d’un violeur, si ce dernier se résigne à épouser sa victime. « Nous avons espéré que la modification du texte prendrait en compte le fait que la femme est un être à part entière », a ironisé Mme Zalzal.
Mirella Abdel Sater, avocate, s’est dit étonnée de voir que « le législateur continue de se demander s’il faut annuler une fois pour toute l’article 562, relatif aux crimes d’honneur ou s’il faut le faire progressivement, alors que la question a été déjà tranchée depuis longtemps », s’est indignée l’avocate. Dénonçant le principe des « circonstances atténuantes » dont peut bénéficier l’auteur du crime d’honneur, Mme Abdel Sater a souligné qu’il « encourage les individus à commettre des crimes au lieu de les prévenir ». « Une telle loi confine en outre la femme dans un rôle négatif, celui de la victime portant le fardeau de ce qu’on appelle l’honneur. »
Jeanine JALKH
Ils sont venus en force hier au théatre al-Madina pour soutenir la campagne lancée par Hurriyat Khassa sur la « réforme » du code pénal. Militants des droits de l’homme, avocats, universitaires et intellectuels de tous bords ont pris part à la conférence-débat portant sur les questions des droits de l’homme, de la femme, des minorités, sur la liberté d’expression, bref...