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LIBAN-IRAN - Bilan de la visite officielle de trois jours du président iranien Mohammed Khatami a trouvé sa tribune : Beyrouth

Malmené, chez lui, par des conservateurs pure souche qui vitupèrent sans relâche contre les plus infimes de ses velléités d’ouverture, de réforme ou d’évolution, comme par cette jeunesse (sub)urbaine de plus en plus pressante, présente, aux quatre coins de son pays, et qui peste contre sa frilosité, contre sa marge de manœuvres – réformistes, justement – qu’elle juge par trop étriquée, l’Iranien Mohammed Khatami a singulièrement, et d’une façon optimale, profité de sa visite officielle de trois jours au Liban. En gros : Beyrouth a été un grand et gros bol d’air frais pour le chef de l’État iranien, toujours pas maître en sa demeure et perpétuellement ramené à l’ordre par une noria d’ayatollahs dirigée de main de fer par l’intransigeant Ali Khamenei – le guide spirituel de la Révolution iranienne et n° 1 à Téhéran.

Un grand et gros bol d’air donc, puisque Mohammed Khatami a eu l’occasion, en terre libanaise, de mettre en pratique, de concrétiser par des gestes et par des mots, sa théorie, ses idées et ses croyances, ainsi que sa louable maturité, politique comme intellectuelle. En Iran, cela est particulièrement difficile et fatigant, voire même dangereux ; au Liban, c’est pratiquement dans la sérénité, et avec un audimat à son climax, que Mohammed Khatami s’est lancé, en se pourléchant presque les babines, dans son prosélytisme favori et plus que bienvenu dans la région : la modération. Et l’ouverture. Tout en faisant en sorte, assez intelligemment d’ailleurs, que chèvres et choux restent sains et saufs...
Impossible, en tentant de dresser un certain bilan de l’escale beyrouthine du président iranien, de ne pas commencer par le Hezbollah. De conception iranienne, d’éducation syrienne, naturalisé libanais, le parti intégriste de Hassan Nasrallah – désormais au cœur de la cible que visent inlassablement les maestros de la fauconnerie US – a littéralement occupé Mohammed Khatami. Ainsi qu’une bonne partie de son discours.
S’il a fermement rappelé une des règles d’or de la Révolution iranienne, dont il a été l’un des plus actifs caciques – « Comment priver le Hezbollah de son droit à la résistance ? Nous défendons le droit à la résistance (...) » –, Mohammed Khatami a cependant fait fort, publiquement, à Beyrouth. En mettant l’accent sur l’indépendance du parti intégriste, en affirmant qu’il « ne reçoit d’instructions de personne », en refusant toute idée d’ingérence iranienne dans les affaires libanaises, et en s’engageant à soutenir toute décision du pouvoir concernant le Hezbollah. Comme un père qui renierait, sans pour l’instant, visiblement, le déshériter, un fils devenu un peu gênant, un peu encombrant ; comme un père biologique soulagé de ne plus cautionner officiellement les frasques du rejeton, de la créature, heureux de passer le relais à un papa (libanais) adoptif qui se fait fort de placer le Hezbollah et sa résistance pour la récupération des fumeuses fermes de Chebaa, au centre des « constantes nationales ».
Ainsi, au pays de Mohammed Hussein Fadlallah, son alter ego méditerranéen en modération, Mohammed Khatami a réussi, au grand dam des conservateurs ou avec leur bénédiction, à proposer un pragmatisme et un réalisme particulièrement mal vus par les jusqu’au-boutistes iraniens. Même si d’aucuns priaient pour qu’il rajoute de l’huile sur le feu et encourage les belliqueuses velléités locales, ou que d’autres s’attendaient à ce qu’il appelle à un decrescendo – certes observé de facto depuis quelques mois – des activités du Hezbollah contre Israël. Sauf que les coudées de Khatami sont loin d’être aussi franches, en apparence, que celles de son « ami » syrien, Bachar el-Assad. Que les gestes de « bonne volonté » à l’égard des desiderata de Washington, plus ostentatoires qu’efficaces ou féconds, ne semblent vraiment pas avoir convaincu la très prophétesse Condoleezza Rice.
Ce pragmatisme, ce réalisme sont tout aussi valables s’agissant des appels du président Khatami, de ses injonctions, contre toute escalade dans la région, comme pour ses critiques, que n’auraient pas désavouées un Chirac, un Schröder ou un Poutine, contre l’Administration Bush, ainsi que sa volonté de « ne pas donner de prétextes aux États-Unis » – au moment, rappelons-le, où le guide suprême iranien tonnait directement contre une demande de 153 députés plus ou moins khatamistes visant à rétablir les relations diplomatiques avec Washington : « Ce serait une reddition », s’est étranglé Ali Khamenei. Ce pragmatisme, ce réalisme se sont tout autant vérifiés, à Beyrouth, lorsque Mohammed Khatami a évoqué les « précautions » qui devraient être prises – « Nous savons bien qu’Israël ne doit pas avoir un nouveau prétexte, en misant sur les objectifs du pouvoir militaire américain » –, lorsqu’il a plaidé pour une paix « basée sur la justice » et a fait montre d’une modération qu’il ne saurait se permettre aussi ouvertement en Iran, un des membres de « l’axe du mal » made in USA. Ou du moins aussi sereinement, aussi calmement.
Plus fort encore, mais dans un autre registre, le discours au Parlement, sous les yeux, entre bien d’autres, des députés hezbollahis et de leurs collègues d’Amal – le n° 2 de l’État, Nabih Berry en tête. Chef d’un État pleinement théocratique, donc antidémocratique – mais que viennent sauver des élections législatives souvent hitchcockiennes –, Mohammed Khatami a expliqué à des parlementaires et des hommes politiques libanais partagés entre l’admiration, le mécontentement et l’envie, que la démocratie est le seul moyen stratégique efficace, susceptible de maintenir l’équilibre des rapports entre les nations, et court-circuiter les tentatives hégémoniques américaines à l’échelle planétaire. Beau programme électoral – il n’aura malheureusement plus l’occasion de le faire en Iran – et véritable leçon de politique, donnée à des dirigeants et des responsables libanais qui en ont notoirement besoin.
Autre credo que le président iranien n’a vraiment pas l’occasion de défendre en Iran, ou si peu : la coexistence intercommunautaire et la réconciliation de deux principes pourtant assez antinomiques, du moins à vue de nez : la religion et la liberté, l’éthique et le savoir. Sa visite hautement symbolique au campus de l’USJ – même mutilée par l’absence, pour des raisons bien obscures, d’un débat intellectuel attendu par la quasi-majorité des Libanais – et son entretien avec le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, prouvent, si tant est que quelqu’un en ait eu besoin, la détermination de l’homme Khatami à profiter au maximum de ses trois journées libanaises. Restera aussi cette troublante superposition de deux figures : celle de Mohammed Khatami et celle du pape Jean-Paul II. Sur le livre d’or de la présidence de la République, le président iranien a évoqué « le Liban dialogue des cultures », en écho au « Liban message » du Saint-Siège, et le tour d’honneur sur la pelouse de la Cité sportive Camille Chamoun a été fait en jeep ouverte – le pendant de la papamobile.
Parler aux chiites libanais comme il ne pourrait pas le faire avec leurs coreligionnaires iraniens, faisant du dialogue la silicone indispensable au nécessaire lifting des régimes – c’est presque inouï –, et tenir haut et fort l’étendard du modérantisme éclairé, au lendemain du déboulonnage des statues de Saddam, des prises de fonctions de Paul Bremer, des attentats terroristes antioccidentaux en plein Ryad, et, surtout, des mises en garde appuyées de Condie à son pays comme à la Syrie... Mohammed Khatami, même s’il n’a fait que répéter, avec Émile Lahoud puis Bachar el-Assad des antiennes aujourd’hui un peu dépassées – les visites sont très officielles –, a réussi à montrer que l’on pourrait être capable d’évoluer, de s’adapter, dans la continuité. Le message n’est pas uniquement adressé aux capitales du monde. À Téhéran, on a dû l’écouter bien attentivement, avec plus ou moins de bonheur, de colère ou de satisfaction.
Surtout que, finalement, Mohammed Khatami n’a fait que remplir son contrat. Dans le sens que l’on pouvait difficilement s’attendre, venant de lui, à moins que ce qu’il n’a dit ou fait. Parce que les mêmes mots, les mêmes gestes, auraient eu une tout autre ampleur, un tout autre effet, s’ils avaient été ceux d’Ali Khamenei. Ou même de Hassan Nasrallah. Certes, tout est question d’équilibre, de balancier. Mais quitte à faire, au sein de la communauté chiite de la région, un choix, les dirigeants libanais – plus que jamais fourrés dans les très encombrants et très étouffants jupons syriens – seraient fort inspirés de puiser dans quelques-unes des prises de position du tandem Khatami/Fadlallah. « Il ne faut pas s’ingérer dans les affaires libanaises. » Ou : Il faut accorder la primauté à l’État.
Il est des intelligences qui ne trompent pas. Et des manques de vision qui ne pardonnent pas.

Ziyad MAKHOUL
Malmené, chez lui, par des conservateurs pure souche qui vitupèrent sans relâche contre les plus infimes de ses velléités d’ouverture, de réforme ou d’évolution, comme par cette jeunesse (sub)urbaine de plus en plus pressante, présente, aux quatre coins de son pays, et qui peste contre sa frilosité, contre sa marge de manœuvres – réformistes, justement – qu’elle...