La fête foraine estivale tient donc ses promesses de (mauvaises) surprises et de sensations fortes. Akram Chéhayeb a bousculé le jeu de quilles, en s’accrochant à sa motion de défiance. Mais c’est Joumblatt qui en a étonné plus d’un, en soutenant à fond son député. Sa position a suscité d’autant plus d’interrogations perplexes qu’il était, pratiquement, de retour de Damas. Où l’on affirme, après les explications d’Anjar, qu’on se tient strictement équidistant des protagonistes locaux, présidents en tête. De plus, après ses échanges avec la direction syrienne, Joumblatt avait tenu des propos appelant à la cessation des querelles au sein du pouvoir. Ses proches avaient, dans cet esprit, laissé entendre qu’il ne s’opposerait pas à un rabibochage avec Hariri, qu’il a publiquement lâché il y a quelque temps. Finalement, les retrouvailles promises n’ont plus eu lieu et cela aurait dû, sans doute, mettre la puce à l’oreille des observateurs. Il semblait cependant tacitement convenu qu’on laisserait la grogne s’exprimer en ombres chinoises. C’est-à-dire que le débat (télévisé) sur le problème des carrières soulevé par Nicolas Fattouche et sur celui des dépotoirs traité par Akram Chéhayeb aurait bien lieu. Mais sans autre effet pratique que de vagues recommandations, ou un enterrement classique en commissions. Une fois de plus, pensait-on, le remote control allait montrer son efficacité. D’autant que le maître de cérémonie, Nabih Berry, a tout intérêt à défendre un gouvernement au sein duquel il compte tant de ministres, d’alliés et d’amis.
Pour toutes ces raisons, ce sont des interrogations perplexes, répétons-le, qui circulent dans les cercles loyalistes. Le coup est-il dirigé contre les décideurs ? Contre Hariri ? Contre Berry ? Personne ne s’avance à retenir la première hypothèse, surtout après l’audience accordée au leader progressiste en Syrie. Dès lors, la question est de savoir s’il a reçu des encouragements pour se lancer dans l’aventure. En sachant qu’en opérant à partir de la place de l’Étoile, il indisposerait Berry encore plus que Hariri. Certains n’excluent pas cependant une « décision fille de son heure », comme on dit en arabe. C’est-à-dire que Chéhayeb aurait été emporté par la force, l’allant de son élan revendicatif et Joumblatt l’aurait suivi, par conviction comme par déontologie. Car on ne peut désavouer un lieutenant qui a si manifestement raison. Si c’est bien le cas, on classerait rapidement l’affaire comme un incident isolé, sans suites concrètes. Et les décideurs remettraient les pendules à l’heure, entendre le statu quo, dans les heures ou les jours qui viennent. La balle est dans leur camp.
Il reste que Joumblatt a marqué des points. Il a montré qu’il y a toujours une marge de manœuvre pour qui sait y faire. Et comme la fortune sourit aux audacieux, il n’est pas exclu qu’il obtienne des avantages pour prix de son ralliement à la trêve générale. Des avantages ou plutôt, à en croire certains de ses partisans, des réparations. Car, selon ces joumblattistes, le leader de la Montagne se plaint amèrement d’être marginalisé au sein du pouvoir. Il reproche à certains pôles de rendre des services déterminés, hors de sa propre sphère, à des fins électoralistes. Toujours selon les mêmes sources, son but n’est évidemment pas de renverser le gouvernement, puisque les décideurs l’interdisent pour le moment. Mais de secouer le cocotier pour en faire tomber quelques noix à recueillir. Joumblatt a d’ailleurs insisté dans sa conférence de presse sur sa liste de revendications et sur le respect des règles d’un jeu de partage bien compris.
Signalons enfin que, place de l’Étoile, Joumblatt a marqué un autre point. Il a obtenu l’éviction d’un projet auquel il est opposé : la création d’un nouveau mohafazat Jbeil-Kesrouan, proposée par Nehmétallah Abinasr. En fait, Joumblatt n’accepterait un tel découpage que si on lui donnait en échange un autre nouveau mohafazat, Chouf-Aley.
Philippe ABI-AKL
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