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Développement - Huit millions de mètres cubes d’eau pour le Kesrouan et le Metn, et un grand espoir pour le Liban Le barrage de Chabrouh menacé par les zizanies internes ?(PHOTOS)

Le paysage est grandiose et le travail accompli titanesque. Chabrouh, jadis synonyme de bout du monde, est désormais à la pointe du développement, un vent d’espoir pour les habitants du Kesrouan, mais aussi pour ceux du Metn et même de la capitale, qui pourront enfin boire à leur soif et irriguer leurs cultures. Le plus haut barrage du Moyen-Orient est en train d’y être construit, mais il pourrait bien ne pas être achevé. Car, au Liban, rien n’est jamais simple, un tel projet ouvrant des appétits divers et servant peut-être de moyen pour régler des comptes politiques. Entamée il y a près d’un an, la construction du « barrage Émile Lahoud » est aujourd’hui menacée de suspension à cause du manque d’enthousiasme du gouvernement à payer ce qu’il doit aux entrepreneurs et aux sociétés de contrôle du projet.
La naissance du projet avait été difficile. Reportée à plusieurs reprises, la cérémonie d’inauguration avait finalement eu lieu en août dernier, en présence du chef de l’État. On croyait alors la plupart des difficultés aplanies, l’appel d’offres ayant permis de confier à la société Vinci-Moawad-Eddé la construction du barrage, sous la supervision du groupe international, Coyne et Bellier (qui avait dressé les plans il y a plusieurs années déjà), et avec le contrôle financier et technique de la société internationale Véritas. Coût total du projet : 45 millions de dollars, échelonnés sur un peu plus de trois ans, la construction devant être achevée fin 2005.
C’est donc avec un immense enthousiasme que l’entrepreneur a entamé les travaux, en septembre 2002. M. Rafic Saroufim, directeur du projet, a élu domicile sur place, avec ses 400 employés et ses deux cents pièces d’équipement, dont un matériel ultrasophistiqué, pour creuser des galeries en sous-sol. Le spectacle est d’ailleurs impressionnant : au cœur de la montagne, à près de 2 000 m d’altitude, camions, bétonnières, perceuses travaillent sans relâche pour apprivoiser les rochers et rendre utile l’eau, qui provient de la fonte des neiges et de la source « Nabeh el-Laban », et qui depuis des années retourne vers la mer. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une petite quantité, mais bien de 8 millions de m3, 5 provenant de « Nabeh el-Laban » et 3 de la fonte des neiges. De quoi alimenter le Kesrouan, une partie du Metn et décongestionner la capitale. De quoi montrer aussi aux Israéliens et à ceux qui les appuient que le Liban utilise toute son eau et ne gaspille pas cette ressource tant convoitée.
Les équipes de la société ont donc travaillé en plein hiver, lorsque toute la région était recouverte de trois mètres de neige. Déjà deux galeries (sur 5 prévues dans l’ensemble du projet en plus du barrage et du lac artificiel qui y sera aménagé) souterraines pour drainer l’eau ont commencé à être creusées, alors que la montagne a été déblayée pour l’édification du barrage proprement dit. Une carrière spéciale, située à sept kilomètres de là, permet de se procurer les rochers nécessaires à la construction, car il faut une pierre spéciale pour ce genre de projet. L’entrepreneur dispose aussi de son propre matériel pour fabriquer des cailloux, mais le problème actuel ce sont les carrières de sable. Avec la dernière décision du Conseil des ministres, le stock de l’entrepreneur ne suffit plus que pour une dizaine de jours et il faudra sans doute chercher un autre fournisseur, quitte à dépasser les coûts prévus.

Inquiétudes sur la poursuite du projet
Mais face à l’ampleur du projet, ce n’est là qu’un détail mineur. La véritable question, celle qui hante l’entrepreneur, mais aussi les habitants de la région qui attendent depuis 40 ans la construction de ce barrage, ainsi que tous ceux qui tiennent à sa concrétisation, est la suivante : le projet sera-t-il mené à terme ?
La réponse peut paraître évidente si l’on se souvient de l’engagement officiel de l’État libanais, en la personne de son président, mais aussi du ministre des Ressources hydrauliques et électriques de l’époque, M. Mohammed Beydoun, lors de la cérémonie d’inauguration. Mais au Liban, rien n’est jamais simple, surtout lorsque le projet est aussi vital que la construction du barrage de Chabrouh et que des enjeux politiques se greffent sur l’aspect social et financier. Il a d’abord fallu écarter les nombreux candidats sous-qualifiés aspirant à obtenir le contrat. Ensuite, ce fut un combat permanent contre la routine administrative, la lenteur des paiements et les difficultés qui ont jailli en cours de route.
Aujourd’hui, le danger le plus imminent est l’apparent refus du ministère des Finances de payer les frais de la société Coyne et Bellier, chargée de la supervision du projet. Selon des sources proches de la société, le contrat avait pourtant été signé par l’État et celle-ci avait accepté d’ nêtre pas payée en 2002, le budget ayant été voté avant le début de la construction. Aujourd’hui, elle réclame 600 000 dollars à l’État, et son PDG, M. Bernard Tardieu, devrait arriver à Beyrouth le 25 juillet pour réclamer son dû, soit se retirer. Si la société arrête sa contribution au projet, ce dernier serait sans doute compromis, l’entrepreneur ne pouvant concevoir et exécuter à la fois les plans. Sans compter que la crédibilité de l’État libanais par rapport aux sociétés étrangères serait bien ternie. De même, les mêmes sources laissent entendre que l’État refuserait aujourd’hui de payer à la société Véritas, chargée du contrôle technique et financier des travaux, dont la mission est pourtant prévue dans le cahier des charges. Ses honoraires s’élèvent à 800 000 dollars et la société attend toujours une réponse claire. Officiellement, ces sommes n’ont pas été prévues dans le budget alloué à ce projet pour 2003 et qui s’élève à 36 milliards de LL. Pourtant, le ministère en avait réclamé 38, lors du vote de la loi. Comment la somme a-t-elle pu être réduite, nul ne le sait. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut bloquer un projet de cette importance, dont le coût s’élève à 45 millions de dollars, pour deux millions, prévus par ailleurs dans le contrat...
Il serait d’ailleurs question de demander un crédit supplémentaire en puisant dans les réserves du budget, pour financer la suite du projet. Mais il faudrait pour cela que le sujet figure à l’ordre du jour du Conseil des ministres. Ce qui ne semble pas encore le cas. Des sources proches des sociétés se demandent d’ailleurs s’il ne s’agit pas en fait de règlements de comptes politiques internes. Reste qu’il semble impossible de bloquer un projet, et de mettre en doute la crédibilité du Liban, pour des questions aussi personnelles. À Chabrouh, une équipe de 400 personnes travaille sans relâche pour que l’eau, cette richesse si précieuse, puisse être accessible aux citoyens. Et, après Chabrouh, il pourrait y en avoir d’autres, dans la Békaa, au Hermel et ailleurs. L’État répondra-t-il à l’attente des Libanais ?
Scarlett HADDAD
Le paysage est grandiose et le travail accompli titanesque. Chabrouh, jadis synonyme de bout du monde, est désormais à la pointe du développement, un vent d’espoir pour les habitants du Kesrouan, mais aussi pour ceux du Metn et même de la capitale, qui pourront enfin boire à leur soif et irriguer leurs cultures. Le plus haut barrage du Moyen-Orient est en train d’y être...