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FESTIVAL DE BAALBECK - Fabio Biondi et l’orchestre Europa Galante au temple de Bacchus Élégance et raffinement de la musique baroque italienne(photo)

Les dieux se sont arrêtés de boire un moment… Dès le premier coup d’archet et les premières mesures, le vin n’était plus dans les coupes des bacchanales au temple de Bacchus, mais dans les notes des partitions du violoniste virtuose Fabio Biondi et de l’orchestre Europa Galante qui officiaient entre les vieilles pierres sur une scène dressée pour la circonstance. Une scène éclairée par la lumière vive et rouge des sunlights et des lustres – chandeliers en fer forgé à la lueur vacillante des bougies, posés à même les grands blocs épars sculptés. Public recueilli et sélect pour l’inauguration de ce vingt-sixième Festival de Baalbeck, cru été 2003 où, à travers une musique jaillie des temps passés, régnait une atmosphère feutrée de cour s’étendant des palais de Rome à la Cité des doges en passant par Milan et les frontières de Naples. Au menu homogène, exclusivement réservé au raffinement, la grâce et l’élégance de la musique baroque italienne, oscillant entre narrations relativement emportées ou rêveries mélancoliques, entre brio d’un violon au chant de rossignol ou stravaganza d’un tempérament de feu, des pages choisies de Sammartini, Corelli, Geminiani et Vivaldi.
Ouverture avec le style nerveux et incisif du Milanais Giovanni Battista Sammartini qui contribua largement à la naissance et au développement de la symphonie dans la péninsule. Au programme, pour meubler le silence des nuits de la Békaa, une Sinfonia en fa majeur (une des 68 qui ont survécu) en trois mouvements (presto, andante, allegro assai) où alternent lenteur et vivacité, en un discours léger, percutant et court, de celui qui fut la maître de Gluck et qui jeta un regard intéressé sur les parcours de Jean-Chrétien Bach, de Boccherini et du jeune Mozart... Derrière le parfait équilibre formel, accents contenus et imperturbable lecture rythmique. Sans joliesse ni mièvrerie, est restituée une narration tout en finesse au balancement régulier qui hypnotise.
Suit le Concerto grosso op. 6 n°4 du violoniste virtuose Arcangelo Corelli, alliant la vertu pédagogique à la générosité d’une inspiration féconde. Très proche de son prénom portant l’empreinte de l’archange, Corelli, dans cette musique douce et souriante, fait la part belle bien sûr au violon, dans des lignes mélodiques aux confins d’un froissement d’ailes… Mais par-delà cet aspect suave et paisible d’une écriture calme et sereine, certaines éruptions imprévisibles surgissent et alors une dévorante passion ronge les cordes du violon. Passion et bouillonnement qui vont de pair avec la follia de Francesco Saverio Geminiani, lui-même élève de Corelli (et tout aussi bien de Scarlatti !). Tempo rubato pour ce fougueux musicien violoniste attitré du roi George Ier d’Angleterre qui signa en son temps un ouvrage capital, et qui fit fureur, sur l’art de jouer du violon.
Après un bref entracte, pour terminer, à tout seigneur tout honneur, les Quatre saisons d’Antonio Vivaldi (avec, pour chaque saison, une lumière de couleur différente projetée sur les murs prêtant oreilles attentives aux variations saisonnières), donnant toute la plénitude de la musique préclassique. Du plus illustre des violonistes de la lagune de Venise, du maître incontesté du concerto, du « prêtre roux » qui dirigeait orchestre et chœur au profit des enfants orphelins, une œuvre dont la gloire et l’audience ne se sont jamais démenties. Ici dans le cadre de Baalbeck, enchanteur et magique, cette symphonie descriptive avant le terme prend toute sa dimension colorée, suggestive, dramatique. Quatre concerti pour dire les humeurs des saisons et celles du vent…
Notes gaies et fraîches avec le printemps où dominent le chant des oiseaux, le murmure des sources, les souffles des zéphyrs… Paysage bucolique où, dans un pré en fleurs, gardé par son chien, un chevrier pique un somme… Présence vive du violon en solo imitant le son d’une musette, instrument des pastours, faisant danser nymphes et bergers. Entre pianissimos et fortissimos, contrastes aux nuances subtiles, la nature, aimable et verdoyante, se réveille. Et arrive le deuxième concerto : un été où se prépare l’orage. Houleuses et en tons majeurs sont les phrases de cette évocation enfiévrée où se mêlent les plaintes du berger et la foudre qui décapite le blé…
L’automne et sa palette rousse déploient l’éventail d’un tableau joyeux où résonnent les rires d’une fête paysanne tandis que se font entendre des fanfares de chasse. Frileux, habité de tous les vents mauvais et froids est cet hiver où, au coin d’une cheminée, filent des journées tranquilles tandis que dans l’allegro final se déchaîne la tempête…
Revisité par Fabio Biondi, fabuleux violoniste – il joue sur un violon Ferdinando Gagliano, fabriqué à Naples en 1766 –, sachant donner lustre et patine à ces pages fleurant un siècle turbulent et créatif, ce répertoire de la musique baroque n’aura plus jamais les mêmes intonations… Prestation au-dessus de tout éloge avec des musiciens (quatorze avec le maestro) à la complicité réelle, à la virtuosité et à la solidité du langage rythmique admirable et surtout offrant à l’auditoire médusé une saisissante plénitude des sonorités.
Timbres clairs, acoustique agréable, sans sécheresse ni excès, voilà les atouts premiers de cette interprétation où les notes du violon viennent s’épanouir naturellement au cœur d’un ensemble gardant constamment un excellent équilibre entre orchestre et soliste. Inspiré, d’une maîtrise absolue dans son art, fidèle à la réputation de violoniste hors pair qu’il s’est taillée, Fabio Biondi a littéralement séduit un auditoire subjugué et extrêmement attentif. Après un tonnerre d’applaudissements et en bis, dans ce cadre « merveilleux » (comme l’a souligné le maestro lui-même), comme une note d’orgue, mais dans un registre un peu différent, le Perpetuum mobile de Georg Philipp Télémann, d’une grande vivacité et fuyant comme du mercure.

Edgar DAVIDIAN
Les dieux se sont arrêtés de boire un moment… Dès le premier coup d’archet et les premières mesures, le vin n’était plus dans les coupes des bacchanales au temple de Bacchus, mais dans les notes des partitions du violoniste virtuose Fabio Biondi et de l’orchestre Europa Galante qui officiaient entre les vieilles pierres sur une scène dressée pour la circonstance. Une...