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Vie politique - Lahoud refuse de terminer son mandat dans un climat de paralysie au niveau de l’Exécutif Entre Baabda et Koraytem, un nouveau round qui donne le beau rôle à Damas et Berry

Cela dure depuis un peu plus de dix ans. La nouvelle Constitution, issue de l’accord de Taëf, mise en application au début des années 90, prévoit que le pouvoir exécutif est désormais détenu (ou plutôt devrait l’être) par le Conseil des ministres dans son ensemble. Mais cet exercice du pouvoir ne s’est toujours pas traduit dans les faits. Entre la pratique de la « troïka » et le récent « lavage des cœurs », au début de l’année (entre le président Émile Lahoud et M. Rafic Hariri), en passant par la recherche continue d’une « entente cordiale » entre le chef de l’État et le Premier ministre, la gestion des affaires publiques ne cesse de se faire en coulisses, « à la libanaise ».
Le pays pourrait être la semaine prochaine le théâtre d’une nouvelle tentative de replacer l’exercice du pouvoir exécutif là où il est censé être : au sein du Conseil des ministres. Le résultat est cependant loin d’être garanti d’avance. Car c’est sur fond de tiraillements et de vives tensions entre Baabda et Koraytem que risquent de se tenir les prochaines séances du Conseil des ministres. Pour l’heure, tout indique que le président Lahoud et M. Hariri s’apprêtent, une fois de plus, à croiser le fer.
Dès la dernière séance du cabinet, jeudi dernier, le ministre des Télécommunications, Jean-Louis Cardahi, a donné le ton en s’élevant contre le caractère particulièrement futile de l’ordre du jour du Conseil des ministres. Rappelant que la population attend du gouvernement qu’il planche sur les dossiers vitaux afin de tenter de faire redémarrer la machine, M. Cardahi a déploré que, pendant ce temps, les membres du cabinet ne soient saisis que de questions de pure routine.
Le président Lahoud lui-même s’est montré explicite hier sur ce plan en invitant le gouvernement à cesser d’« expédier les affaires courantes ». Le tout nouveau ministre du Développement administratif, Karim Pakradouni (proche du chef de l’État), a abondé lundi dans le même sens en soulignant, lors de la réunion hebdomadaire des instances dirigeantes du parti Kataëb, que l’apaisement n’implique nullement un gel des dossiers en suspens.
C’est précisément ce dernier point que le président Lahoud a soulevé en début de semaine en affirmant qu’il usera désormais de ses prérogatives constitutionnelles pour demander que tous les grands dossiers litigieux soient inscrits à l’ordre du jour des réunions du Conseil des ministres, afin que cette instance assume ses responsabilités et exerce réellement son pouvoir. Quitte à ce qu’en l’absence de consensus, les décisions soient soumises au vote.
Du Brésil où il est en tournée, M. Hariri a paru relever le défi en fixant pour le début de la semaine prochaine (en principe mardi) une réunion extraordinaire du Conseil des ministres, consacrée justement aux problèmes litigieux, dont notamment la privatisation de la téléphonie mobile, la question des expropriations ou les sanctions réclamées par M. Hariri contre la chaîne de télévision NTV (accusée de mener campagne contre le Premier ministre et le royaume saoudien).
Ces démarches pourraient paraître anodines si elles ne reflétaient pas en réalité un fort climat de méfiance entre les deux pôles de l’Exécutif. Les sources proches de Baabda soupçonnent, en effet, M. Hariri de vouloir réduire la période restante du mandat présidentiel (soit près d’un an et demi) en une simple phase d’expédition des affaires courantes. La manœuvre consisterait, affirment les mêmes sources, à ajourner autant que faire se peut les séances du cabinet (en organisant des voyages à l’étranger) ou en limitant l’ordre du jour des réunions du Conseil des ministres à des questions administratives de routine, sans aborder les projets susceptibles de relancer l’activité socio-économique. L’objectif recherché, soulignent certains milieux proches de Baabda, serait de discréditer au maximum le président Lahoud durant le reste de son mandat et d’entretenir le marasme actuel de manière à se poser, encore une fois, en « sauveur » lorsque l’heure de l’échéance présidentielle aura sonné.
Si ces soupçons illustrent la méfiance chronique, voire l’incompatibilité de caractère, entre le président Lahoud et M. Hariri, ils mettent aussi en évidence un problème de fond qui demeure sans réponse depuis plusieurs années : qui du président de la République ou du Premier ministre devrait avoir la haute main sur la gestion de la chose publique pour ce qui a trait aux dossiers vitaux ? Les cercles proches de Baabda ne cachent pas sur ce plan leur irritation face à l’attitude du chef du gouvernement « qui a la fâcheuse tendance à vouloir tout bloquer s’il ne parvient pas à imposer sa volonté ».
Mais au-delà de ce bras de fer qui paraît poindre à l’horizon entre Baabda et Koraytem, de nombreux observateurs n’écartent pas la possibilité que l’on assiste en réalité à l’émergence des indices précurseurs des manœuvres qui précèdent traditionnellement la bataille pour la présidentielle. Encore que le choix du prochain président ou l’option d’une prorogation ou d’une reconduction du mandat du président Lahoud sera très peu (à l’évidence) le fruit de la volonté libanaise.
Dans l’immédiat, les milieux politiques vont donc scruter le climat dans lequel se dérouleront les prochains Conseils des ministres. Puisqu’en l’absence d’un consensus sur les dossiers litigieux, les grandes décisions devraient être soumises au vote, force est de relever que ni le président Lahoud ni M. Hariri ne jouissent d’une majorité au sein du gouvernement. Cela implique que deux pôles seront appelés à faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre : le chef du Législatif, Nabih Berry, et (évidemment) le parrain syrien. Une question se pose dans un tel contexte : pourquoi le président Lahoud a-t-il pris le risque de miser sur la carte du vote ? Les milieux proches de Baabda soulignent, d’abord, que M. Hariri court aussi le même risque, puisque lui aussi ne bénéficie pas de la majorité. Sans compter que le chef de l’État préférerait jouer le jeu à fond plutôt que de terminer son mandat en laissant le Conseil des ministres sombrer dans l’expédition des affaires courantes.
Dans la pratique, l’Exécutif se retrouvera pris dans un jeu à quatre (voire à cinq, en incluant M. Walid Joumblatt), Baabda, Aïn el-Tiné, Koraytem et Damas étant appelés à trouver un modus vivendi pour sortir le pays de la stagnation. Et il est fort à parier que la Syrie et M. Berry donneront à leurs représentants au gouvernement des mots d’ordre au cas par cas (en fonction des dossiers débattus) plutôt que de prendre parti globalement pour Baabda ou Koraytem.
Les prochaines séances du cabinet risquent ainsi d’être quelque peu houleuses. Elles devraient, surtout, refléter un nouveau rapport de forces censé marquer l’action de l’Exécutif au cours des prochains mois. À moins que l’on se trouve face à une volonté (relativement) occulte de provoquer la chute du gouvernement pour une quelconque raison d’État obéissant à des impératifs certainement pas libanais.

Michel TOUMA
Cela dure depuis un peu plus de dix ans. La nouvelle Constitution, issue de l’accord de Taëf, mise en application au début des années 90, prévoit que le pouvoir exécutif est désormais détenu (ou plutôt devrait l’être) par le Conseil des ministres dans son ensemble. Mais cet exercice du pouvoir ne s’est toujours pas traduit dans les faits. Entre la pratique de la «...