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CARNET DE NUITS Du vent dans les fils

Samedi, 19h. Le vent fait tourner les choses accrochées. Les fausses larmes d’un petit lustre cerclé d’un boa en plumes installent leur manège sur le mur. J’éteins une grosse ampoule pour mieux les voir. On s’agite dans le fond de la maison, assez loin. J’attends sur le balcon. Ce soir je n’ai pas envie de courir. Accoudée, je me demande pourquoi la course, tout le temps, encore plus quand la nuit tombe. Le feu au cul. Les pays calmes s’amusent de notre frénésie. La force d’inertie qui doucement nous laboure aux heures chaudes, tièdes se transforme avec une violence de gueule de murène en ce moment même, quand les réverbères s’allument, que les stores en fer s’écrasent sur le trottoir, que les oiseaux se couchent. Moches crapauds qui deviennent sirènes à chevelure interminable, sur des échasses sans fin, millimétrées sur la grande feuille uniforme de la mode. Rideau sur les heures de pacotille à brasser du vent. La dope de l’avant-scène. Gentilles marionnettes que nous sommes, toutes fières devant la baguette de la grande régisseuse en noir, avec ses étoiles brillantes et nos petits bouts de toc sur les oreilles, pauvres connes, pour lui ressembler, paraît-il.
La cendre de ma cigarette s’envole à l’autre extrémité du balcon. Dans la maison d’en face, une Philippine parle avec une autre Philippine. Leurs rires et leur langue incompréhensible me parviennent. C. vient me montrer deux paires de chaussures – la mitraille inexacte des talons sur le carrelage. Elle hésite, dans sa panoplie de «killeuse». Ce soir, ça va tomber un homme, d’accord, comme tous les soirs mais là, la cible est déjà connue. Alors on arrange son rire, les doigts et puis les mains qui vont se poser sur l’avant-bras en chemise à bouton. La musique du samedi soir de daube à fond. Onze heures et je repense au petit vent sur les lampes accrochées. Coincée entre deux paires d’yeux qui se regardent en train de coucher ensemble, je suis entourée d’hommes qui se sont donné un mal de chien pour ressembler aux filles-marionnettes qu’ils connaissent. Je préfère les coulisses, cette nuit. Je coupe les fils. Marionnette qui s’enfuit, jamais très loin, pour jouer à être libre.

Diala GEMAYEL
Samedi, 19h. Le vent fait tourner les choses accrochées. Les fausses larmes d’un petit lustre cerclé d’un boa en plumes installent leur manège sur le mur. J’éteins une grosse ampoule pour mieux les voir. On s’agite dans le fond de la maison, assez loin. J’attends sur le balcon. Ce soir je n’ai pas envie de courir. Accoudée, je me demande pourquoi la course, tout le...