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Vie politique - Pakradouni fait prévaloir la primauté, sur les coutumes, d’un décret de 1990 ; Hamadé claque la porte et refuse que l’on marche sur ses plates-bandes Prétendument sauvé des eaux par Damas, le Conseil des ministres se termine, une nouvelle fois, en queue de poisson

Les Libanais pensaient que les bonnes œuvres du chef des services de renseignements syriens au Liban, Rustom Ghazalé, pour rabibocher une énième fois les membres de la troïka – et plus particulièrement les deux pôles de l’Exécutif – avaient porté leurs fruits. Ils pensaient que la trêve entre eux aurait ainsi pu durer ne serait-ce que deux ou trois semaines. Et que, par conséquent, les Conseils des ministres, notamment celui d’hier, pourraient se dérouler sous de bien meilleurs auspices que les précédents. D’autant plus que l’on avait pris la peine de délester leurs ordres du jour de tout sujet qui aurait porté en lui le moindre germe d’un éventuel conflit entre tel et tel responsable politique.

Trois fois hélas, et il semble bien que l’on soit face à l’alternative suivante : soit le nouveau cabinet est tout simplement maudit des dieux, soit ce sont sa cohésion et sa composition, ainsi que la pseudo-trêve qui a semblé prévaloir depuis quelques jours, qui seraient aussi friables et aussi précaires qu’une feuille de papier posée sur le cratère d’un volcan en éruption. Ou alors, « on » voudrait bien dynamiter cette nouvelle équipe qui, rappelons-le, n’a pas encore eu la décence de commencer à faire son travail, « on » voudrait bien, justement, l’avorter.
Quoi qu’il en soit, cette séance censée commencer et finir le plus calmement du monde a vite fait de dégénérer en un nouveau conflit interne – dont la forme et l’irréversibilité ont stupéfait tout le monde – entre, une nouvelle fois, le ministre d’État chargé du Développement administratif, Karim Pakradouni (proche d’Émile Lahoud et, surtout, de Damas), et le ministre (joumblattiste et proche de Rafic Hariri) de l’Économie, Marwan Hamadé, connu pour sa pondération, son calme et sa diplomatie.

Décret n° 553 ou coutumes vieilles de 13 ans ?
Il en ressort que tout a commencé lorsque le vingtième point inscrit à l’ordre du jour de la réunion d’hier a commencé à être débattu, et ce après qu’une quarantaine d’autres points eurent été discutés très normalement. Cette question-là portait sur le nom et la fonction de celui qui ferait office de vice-gouverneur de la Banque centrale et qui représenterait donc le Liban à la Banque mondiale. Le ministre Pakradouni est alors intervenu en brandissant un décret datant de 1990, portant le numéro 553 et qui stipule que la personne apte à représenter le Liban au sein des institutions monétaires internationales est le ministre des Finances, ou alors son directeur général. Et qu’en cas d’absence de ces deux derniers, il revient au Conseil des ministres de désigner la personne qui les remplacerait.
Intervient à ce moment-là le ministre des Finances lui-même, Fouad Siniora, qui rappelle, à juste titre, que depuis le mandat dernier, c’est-à-dire depuis près de treize ans, la coutume veut que ce soit le ministre de l’Économie qui remplace son collègue des Finances en cas d’empêchement de celui-ci, ajoutant qu’un décret avait été publié en ce sens. « Que dit ce décret ? » lui demande alors le chef des Kataëb. Sauf que Fouad Siniora n’a pas eu le temps de répondre, puisque Marwan Hamadé a pris la parole, à l’adresse de Karim Pakradouni : « L’habitude a fait que ce soit le ministre de l’Économie qui représente le Liban au sein des institutions monétaires internationales, alors je ne comprends pas pourquoi c’est maintenant que tu évoques ce sujet (Ghazi Aridi s’est d’ailleurs posé, devant les journalistes, la même question, indiquant en outre qu’un autre point de même nature et tout aussi inapproprié avait également été soulevé au cours de cette séance). C’est à cause d’un manque de confiance en ma personne ? » Pakradouni : « Ce n’est pas une question de confiance, la confiance existe. C’est une question de Constitution, et il faut qu’elle soit appliquée », a-t-il répondu, s’attirant la colère du ministre de l’Économie, qui a protesté vigoureusement contre le raisonnement de son collègue et qui a annoncé illico qu’il quittait la séance du Conseil des ministres. Ce qu’il a fait sur-le-champ.
Son collègue à la Culture, le tout aussi joumblattiste Ghazi Aridi, l’a suivi, en le conjurant de revenir – en l’appelant même par son prénom. Aucune réponse de Marwan Hamadé, qui s’est contenté, une fois arrivé à sa voiture, de lâcher un « Ça suffit, Ghazi. Tout cela est devenu insupportable ». Le troisième représentant du bloc Joumblatt, le ministre des Déplacés Abdallah Farhat, a lui aussi quitté le Conseil des ministres, talonné par ses collègues à l’Éducation nationale et aux Travaux publics, les Tripolitains Samir Jisr et Négib Mikati, ainsi que par le ministre de l’Environnement, Farès Boueiz. Sauf que ces trois derniers ont rebroussé chemin et réintégré la salle de réunions du Conseil des ministres. C’était ensuite le tour du chef de la diplomatie, Jean Obeid, de quitter les lieux, cinq minutes avant que la séance ne soit levée.

Hamadé puis Hariri
chez Joumblatt
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Marwan Hamadé a souligné qu’il « refuse catégoriquement que l’on marche sur ses plates-bandes », en assénant le constat suivant : « Les Libanais sont en train de tourner en ridicule notre façon de gérer le Conseil des ministres ; tous les sujets prioritaires sont escamotés, et l’on ne s’occupe que des questions de seconde importance. » Déplorant que le bloc Joumblatt n’ait jamais eu, depuis des lustres, de portefeuilles ministériels liés aux services. « Tout n’est qu’héritage familial et clientélisme », a dit Marwan Hamadé. Qui s’est immédiatement rendu auprès du chef du PSP, Walid Joumblatt, suivi quelque temps plus tard par Rafic Hariri lui-même, venu sans doute lui mettre un peu de baume au cœur.
Le Premier ministre qui avait quitté les lieux du Conseil des ministres sans s’adresser, comme à son habitude, aux journalistes. Il s’était cantonné dans le silence, avec juste un petit sourire aux lèvres. Interrogé sur ce que ce sourire pouvait bien vouloir dire, Rafic Hariri a estimé que « la meilleure chose, c’est de sourire ». Sur le point de savoir si son gouvernement allait démarrer un jour, ou si les Conseils des ministres vont se terminer à chaque fois par un conflit, il a refusé de répondre, de même que sur un éventuel départ de cette équipe. Il a également rappelé, sur le point de savoir s’il allait s’entretenir avec le chef de l’État, qu’il venait de le faire (dans le cadre du Conseil des ministres), et qu’il partait en voyage samedi. En soulignant que cette rencontre-là s’était « bien » passée. Dernière question adressée au Premier ministre : peut-on dire aujourd’hui que c’est le gouvernement qui boude au lieu d’indiquer que c’est le chef de ce gouvernement lui-même qui boude ? Réponse : « Moi, je regarde. »

Le communiqué
de Pakradouni
Également interrogé par L’Orient-Le Jour, Karim Pakradouni a nié être sorti, comme l’a affirmé Ghazi Aridi, derrière Marwan Hamadé pour lui parler. « Moi je prépare le Conseil des ministres et son ordre du jour, et mon équipe a trouvé ce décret. Je n’ai rien contre le ministre Hamadé, ni contre le fait qu’il représente le Liban, mais dans ce cas-là, il faudrait que l’on amende le décret. Ou alors on l’applique. Mais on n’a pas à le transgresser », a-t-il ajouté. Assurant qu’il avait essayé de joindre par téléphone son collègue, « mais comme son portable était fermé, je l’ai appelé à la maison, il n’y était pas, alors je lui ai laissé un message »... Tout cela avant, bien évidemment, qu’il ne se rende, hier peu avant minuit, au domicile de Marwan Hamadé (voir par ailleurs).
D’autre part, le bureau de presse du ministre d’État chargé du Développement administratif a distribué un communiqué – auquel il a joint une copie du décret en question – et dans lequel il est dit qu’après l’intervention du ministre Pakradouni, « le ministre Hamadé a refusé qu’il soit mis au même plan que le directeur général du ministère ou de qui que ce soit d’autre. Plusieurs ministres ont ensuite reconnu que la désignation du ministre de l’Économie constitue une violation du décret, tel que présenté par le ministre Pakradouni. Et c’est là (toujours selon le communiqué du bureau de presse du chef des Kataëb) qu’est intervenu le chef de l’État, qui a demandé qu’une attention particulière soit donnée à ce que dit le décret et que la décision à ce sujet soit reportée à une prochaine séance. Il a indiqué qu’un amendement pourrait être introduit à ce décret si cela était nécessaire ».
Pourtant, la séance s’était déroulée jusque-là plutôt sereinement, par une discussion axée sur les derniers rebondissements régionaux – et plus particulièrement sur les sommets de Charm el-Cheikh et d’Aqaba. Le chef de l’État et le ministre des Affaires étrangères sont tous deux intervenus, après que le ministre de l’Énergie et de l’Eau, Ayoub Hmayed, eut évoqué le sujet. Les vans circulant au mazout ont ensuite occupé le cœur des débats. Un grand nombre de ministres ont pris la parole à ce sujet, après avoir entendu le résultat des contacts entrepris par le chef du gouvernement, chargé du suivi du dossier et qui avait rencontré, il y a quelques jours, les propriétaires de vans. Sauf qu’après un long débat, il a été décidé de reporter le sujet à une prochaine séance, « le temps qu’il soit étudié encore plus minutieusement ». Quant à l’ensemble des autres points inscrits à l’ordre du jour, ils ont été traités à la vitesse de l’éclair, au vu de leur caractère particulièrement routinier.
Signalons par ailleurs que c’est le ministre de la Culture, Ghazi Aridi, qui a remplacé, au porte-parolat du gouvernement, le ministre de l’Information, Michel Samaha, absent hier. « Ce n’est pas pour raisons de santé, mais par rapport au dossier de l’information, et plus particulièrement à l’affaire NTV », ont indiqué des sources officielles. Quoi qu’il en soit, Ghazi Aridi, qui a donné lecture des résolutions officielles, a reconnu devant la presse que « certains aspects » du problème posé par la multiplication des conflits en Conseil des ministres ont été examinés durant la réunion. « On a mis l’accent sur la nécessité de la solidarité et de l’entente pour que les séances soient plus productives », a-t-il dit, tout en minimisant l’importance des désaccords en Conseil des ministres. Estimant en outre que le climat général dans le pays restera négatif si le gouvernement continue d’être productif.
À noter qu’à l’issue de ce Conseil des ministres, le seul à avoir répondu aux questions des journalistes était le ministre de l’Environnement – dont on célébrait, hier à Beyrouth, la Journée mondiale –, Farès Boueiz. « Changer ce gouvernement est plus difficile que de le garder en place », a-t-il ironisé. Quant à son collègue de la Justice, Bahige Tabbarah, il a été le seul à déployer un optimisme qui a semblé presque saugrenu dans le cadre de la soirée d’hier : « Ce gouvernement, inch’allah, démarrera. » S’il le dit...
Les Libanais pensaient que les bonnes œuvres du chef des services de renseignements syriens au Liban, Rustom Ghazalé, pour rabibocher une énième fois les membres de la troïka – et plus particulièrement les deux pôles de l’Exécutif – avaient porté leurs fruits. Ils pensaient que la trêve entre eux aurait ainsi pu durer ne serait-ce que deux ou trois semaines. Et que, par...