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CORRESPONDANCE Genève, kilomètre zéro du printemps suisse(photo)

En saurons-nous davantage sur le réchauffement de la Terre grâce au « marronnier officiel » de Genève ? Situé sur la Treille, une esplanade qui, de par son extrême ensoleillement, gagna le nom de Petit Languedoc, ledit marronnier fait l’objet d’une étroite surveillance depuis 1818, et le printemps n’est certifié présent que lorsque le sautier, secrétaire administratif du Grand Conseil de la ville, a vu – de ses yeux vu –, le débourrement de sa première feuille duveteuse. Il en avise alors les médias, ainsi que l’Institut météorologique de Zurich, et inscrit la date de l’éclosion sur un parchemin conservé dans la salle du Conseil d’État. Oui, nous sommes bien dans une cité de banquiers où l’on excelle depuis toujours à tenir des registres et calculer des agios, où tout est dûment chiffré et comptabilisé. Ce furent d’ailleurs des banquiers qui, au début du XVIIIe siècle, plantèrent les premiers marronniers – importés en Europe de Constantinople – rue de la Corraterie. Sur les 6 000 arbres d’alignement de Genève, ils sont aujourd’hui au nombre de 400 et, selon l’Union suisse des parcs et promenades, le sujet « officiel » ne vaut pas moins de 90 000 francs suisses. Devenu trop vieux, il semble promis à l’abattage, et son héritier présomptif s’est déjà rendu célèbre pour avoir intempestivement fleuri en décembre. Les climatologues pourraient méditer avec profit sur la longue kyrielle des dates d’éclosion dès la première feuille : ils y découvriraient une preuve irréfutable des progrès de l’effet de serre ! Le profane, quant à lui, pourra toujours se dire que la nature n’en fait qu’à sa guise. Jean-Jacques et Sissi La Treille présente une autre curiosité : le banc le plus long du monde. Il s’y trouve depuis 1767. Composé de 180 planches, il mesure très précisément 120,21 m. Les touristes japonais ne manquent pas de consigner le record, même s’ils sont d’abord venus pister Jean-Jacques Rousseau en ce lieu où il aimait à s’attarder. Car ils l’idolâtrent autant pour ses idées politiques que pour son amour de la nature et, après s’être pieusement arrêtés devant sa maison natale, 40 Grand-Rue, puis avoir scruté, aux archives cantonales, son contrat d’apprenti chez un maître-graveur de la rue de la Croix d’Or, ils terminent leur pèlerinage sur l’Île Rousseau où l’auteur des Rêveries regarde le lac, paraissant ignorer la ville qui l’avait rejeté tout comme lui-même l’avait honnie. À l’inverse, la statue de Sissi, installée depuis peu quai du Mont-Blanc, tourne ostensiblement le dos au lac. Debout à l’endroit exact où elle fut assassinée par l’anarchiste italien Luigi Lucheni, l’impératrice Élisabeth d’Autriche a les yeux tournés vers la chambre de l’hôtel Beau Rivage où elle succomba à ses blessures. Genève célébra le centième anniversaire de sa mort avec une ferveur où entrait quelque chose comme de la contrition. Les dames catholiques de la ville s’étaient d’ailleurs naguère cotisées pour commander à son intention un vitrail représentant sainte Élisabeth, placé à côté de l’autel du Sacré-Cœur, dans l’église Notre-Dame. On vous répétera ici à l’envi que Sissi fut infiniment plus intéressante que sa légende, en tout cas que l’image d’impératrice à l’eau de rose donnée d’elle par Romy Schneider, et l’on vous apprendra qu’elle légua à la Confédération helvétique ses poèmes où elle célébrait les vertus de la démocratie et prédisait la fin prochaine de la monarchie. Le sculpteur écossais Philip Jackson, qui a choisi de la représenter en tenue de voyage, a retenu qu’elle ne se séparait jamais de son éventail, mais également souligné sa tendance à l’anorexie. Sa maigreur est encore accusée par le voisinage fortuit d’une autre sculpture figurant une femme opulente, et même exagérément fessue ! À la bonne distance Pour qui aime les promenades fantaisistes, ce quai réserve plus d’une surprise : à quelques pas de là, on tombe sur une fontaine miniature au marbre bien galbé, envoyée en cadeau par les autorités municipales viennoises à leurs homologues genevoises et dont le jet d’eau décrit un W, initiale à la fois de « wasser » (eau) et de Wien. L’astuce est expliquée sur le socle, le passant ayant droit, en outre, à cette information d’un comique bien involontaire : ce sont les Services industriels de la ville qui offrent l’eau de cette fontaine. Un débit minuscule, sinon tout à fait négligeable, comparé aux 30 000 litres/minute nécessités par le fameux jet d’eau du lac, que gèrent ces mêmes services. Ce geste est néanmoins présenté comme une insigne prodigalité ! La haute précision de la machine helvétique tient tout entière dans cet infime détail. Mais il arrive que des électrons libres parviennent à l’enrayer. Ainsi un anarchisme bon teint semble-t-il animer ces jeunes tagueurs qui affirment : « Une seule solution : la révolution ». Ou : « Le commerce tue ». (Noté rue Jean-Petitot). D’autres se réclament apparemment de la philosophie de l’absurde : « Comment s’en sortir sans sortie ? » (Aux environs des Bastions). Mais, le même jour, on relève, rue des Cendriers, un cri enamouré – « Voisine, mon cœur s’envole ! » – prouvant que les placides Genevois savent parfois donner dans le lyrisme. Et l’on se sent passablement rassuré devant ces murs et ces façades qui, il y a seulement quelques années, ne connaissaient pas l’opprobre des graffiti. Ah, se dit-on, voilà les Suisses enfin devenus un peuple comme les autres ! Pour regarder Genève à la bonne distance, rien de tel que d’y déambuler avec un Genevois de souche qui porte sur elle un regard narquois. « Ici, rien n’est interdit, mais bien des choses sont obligatoires », vous confiera-t-il, pince-sans-rire, en guise de préambule. Devant le Mur des réformateurs, vous l’entendrez bougonner de façon sibylline, tout en pointant le doigt en direction de Calvin : « Que ne peut-on lui faire endosser ! » En plus d’un endroit, il vous montrera un horizon constitué de montagnes françaises. Pour aussitôt vous faire observer que, malgré 114 km de frontière commune avec la France – contre quatre seulement avec le canton de Vaud –, on met ici une certaine coquetterie à cultiver le parler romand. Et, parce qu’« il n’y a pas le feu au lac », il vous invitera à poursuivre la promenade, avec cette promesse que vous ne pourrez être que « déçu en bien » ! Mirèse AKAR Carouge, mode d’emploi Il ne faudrait surtout pas prendre Carouge pour un faubourg de Genève,dont seul pourtant le cours de l’Arve la sépare. C’est une ville à part entière, et voulue comme telle par le roi de Sardaigne Victor-Amédée III qui, en 1786, fit appel à des architectes turinois pour la construire. D’où son allure piémontaise avec un plan en échiquier, des maisons basses – il n’y existe qu’un seul et unique ascenseur ! – et des balcons à galerie. Il faisait bon vivre dans cet espace de liberté, sans fortifications ni droits de péage, à l’époque où le Consistoire couvrait la cité de Calvin d’une lourde chape de puritanisme. Les Genevois allaient donc s’y divertir, ce qui lui valut un temps la réputation de lieu de perdition. Aujourd’hui, Carouge aurait plutôt un caractère bon enfant. Restaurée avec soin et classée “ ville d’importance nationale ”, elle est furieusement à la mode avec ses demeures à jardins secrets, ses restaurants à terrasses et ses boîtes branchées. Antiquaires, stylistes, créateurs de bijoux, céramistes, souffleurs de verre et autres artisans d’art en ont fait leur fief. À quelques stations de tramway de Genève, le dépaysement est complet.
En saurons-nous davantage sur le réchauffement de la Terre grâce au « marronnier officiel » de Genève ? Situé sur la Treille, une esplanade qui, de par son extrême ensoleillement, gagna le nom de Petit Languedoc, ledit marronnier fait l’objet d’une étroite surveillance depuis 1818, et le printemps n’est certifié présent que lorsque le sautier, secrétaire administratif du Grand...